Révolte en Iran: huit portraits d’héroïnes
Depuis la mort de Mahsa Amini après son arrestation par la police des mœurs, les femmes sont à l’avant-garde de la révolte contre l’arbitraire du pouvoir. Les slogans «Femme, vie, liberté» et «à bas le dictateur» se mêlent pour menacer, comme rarement, le régime. Certaines le paient de leur vie.
Masha Amini : morte pour une mèche de cheveux
En visite à Téhéran, cette jeune Kurde de 22 ans est arrêtée en rue, le 13 septembre, alors qu’elle est accompagnée de son frère. Une «patrouille de la guidance» lui reproche une tenue «inappropriée», une mèche de cheveux dépassant de son foulard. Elle est conduite dans le centre de détention de Vozara, puis emmenée le même jour dans un hôpital de Téhéran. Une photo d’elle sur un lit d’hôpital, intubée et présentant des ecchymoses au visage, est diffusée sur les réseaux. Son décès est annoncé le 16 septembre. Le ministère de l’Intérieur invoque des «problèmes antérieurs au cerveau». A la BBC, des témoins racontent qu’elle a été frappée dans un fourgon de police. Les funérailles de Mahsa Amini dans la ville de Saqqez, au Kurdistan iranien d’où elle est originaire, donnent lieu à des manifestations qui prennent pour cible le régime. C’est le début de la révolte.
Hadis Najafi : la liberté étouffée
Lors d’une manifestation à Mehrshahr, près de Karaj, une ville située à une cinquantaine de kilomètres au nord-ouest de Téhéran, une vidéo montre Hadis Najafi, une jeune fille de 22 ans, attacher ses cheveux libres de tout voile. Un peu plus tard, elle est tuée par balle. Selon sa famille, elle a été touchée par au moins vingt balles, au visage, au cou, aux mains, à l’abdomen… Les autorités soutiennent qu’elle a été abattue par des armes appartenant aux manifestants et pas aux policiers qui ont réprimé le rassemblement. Après Mahsa Amini, elle deviendra une autre icône de la lutte des femmes contre le régime des ayatollahs.
Elnaz Rekabi : l’escalade risquée
Elnaz Rekabi participe, le 16 octobre, à la finale de sa discipline aux championnats asiatiques d’escalade à Séoul, en Corée du Sud. Rien d’étonnant pour cette championne expérimentée si ce n’est qu’elle apparaît bandeau sur la tête mais sans voile lors de l’épreuve. Aussitôt, le geste est perçu comme une expression de solidarité avec la révolte des femmes dans son pays, déjà exprimée par plusieurs sportifs iraniens, dont les joueurs de l’équipe nationale de football. Deux jours plus tard, alors que des pressions à son encontre sont suspectées, elle déclare publiquement que, dans la précipitation, son voile est tombé au moment de participer à la finale de Séoul et que son geste n’était pas intentionnel. Le 19 octobre, de retour à Téhéran, elle est accueillie à l’aéroport par un millier de supporters. Ses «gardes» du corps.
Hengameh Ghaziani : l’actrice dévoilée
Une des plus célèbres actrices iraniennes, Hengameh Ghaziani, a exprimé sa solidarité avec le mouvement de contestation de ses compatriotes. Sur Instagram, elle a posté une vidéo qui la montre de face, tête découverte, marchant dans une rue de Téhéran, se retournant et nouant une queue de cheval dans ses cheveux comme le font les jeunes filles partant manifester. Pour ces gestes anodins, elle a été arrêtée le 20 novembre et relâchée sous caution une semaine plus tard. D’autres personnalités du monde de la culture ont aussi été inquiétées pour avoir soutenu les manifestants, comme les actrices Katayoun Riahi et Maryam Boubani, l’autrice Atefeh Chaharmahalian, ou la musicienne et poétesse Mona Borzouei. Cette dernière pour avoir diffusé un poème en hommage à Mahsa Amini qui dit notamment: «Nous reprendrons notre terre natale de votre emprise.»
Sarina Esmail Zadeh : pourquoi pas nous?
L’ adolescente de 16 ans a été tuée lors d’une manifestation à Karaj, au nord-ouest de Téhéran, le 23 septembre. Elle a été rouée de coups de matraque à la tête, selon sa famille. «Elle s’est suicidée», prétendront les autorités. YouTubeuse, Sarina Esmail Zadeh avait exprimé, avant le début de la révolte, l’injustice qu’elle ressentait par rapport à la situation des femmes dans le pays. «Nous souffrons des restrictions plus que les garçons, notamment sur la question du port du voile. On ne peut même pas entrer dans les stades. Nous le savons tous. Ce n’est pas comme il y a vingt ans où les adolescents en Iran ne connaissaient rien à la situation de leurs pairs ailleurs. On voit les gens qui profitent de leur vie. On se demande pourquoi nous, nous ne pouvons pas faire pareil.»
Nika Shakarami : jamais revenue
Le 20 septembre, la jeune fille de 17 ans quitte le domicile de sa tante et de son oncle où elle vit à Téhéran. Elle leur cache qu’elle va participer à une des nombreuses manifestations en faveur de la liberté des femmes dont l’Iran est le théâtre depuis le meurtre de Mahsa Amini. Au cours du rassemblement, elle brûle son hijab. Puis, elle disparaît. Huit jours plus tard, sa famille est invitée à identifier son corps retrouvé officiellement au pied d’un bâtiment. Elle présente des fractures au crâne et au nez. Les autorités avancent l’hypothèse d’une chute d’un immeuble, scénario endossé par sa tante et son oncle, un temps arrêtés, dans une déclaration à la télévision avant que la première ne se rétracte et affirme que sa nièce a été assassinée.
Niloofar Hamedi : sa journaliste courageuse
Le 16 septembre, la journaliste de Sharq (à g. sur la photo), qui enquête sur l’arrestation de Mahsa Amini, se rend à l’hôpital Kasra de Téhéran où la jeune fille a été admise. Elle est en vie, mais inconsciente. Au sortir de l’établissement, Niloofar Hamedi prend une photo de ses parents, éplorés et en colère, et la poste sur Twitter. Le décès de la jeune fille, arrêtée par la police des mœurs, est annoncé quelques heures plus tard. Ainsi naît «l’affaire Mahsa Amini» qui créera une onde de choc dans tout le pays. Le 21 septembre, Niloofar Hamedi est arrêtée et détenue à la prison d’Evin, réputée pour les violences qu’y subissent les prisonniers politiques. La journaliste est accusée d’«association et collusion en vue de commettre un crime contre la sécurité» et risque la prison à vie. Sa collègue du journal Ham-Mihan, Elaheh Mohammadi, a subi le même sort pour avoir couvert les funérailles de Mahsa Amini dans sa ville de Saqqez, et rapporté que la police avait chargé contre les participants.
Minoo Majidi : sexagénaire et manifestante
Minoo Majidi était une manifestante de la première heure. Elle a été tuée, le 22 septembre, lors de la répression d’un rassemblement à Kermanshah, ville du centre-ouest de l’Iran. Elle avait 63 ans… «Ils ont tué ma mère à bout portant. C’était une manifestation pacifique. Ils l’ont tuée en lui tirant dans le dos. On a dû l’enterrer entourés par des forces de sécurité», a témoigné sa fille Roya Piraie, qui, depuis, s’est coupée les cheveux par solidarité. L’ activisme et la mort de Minoo Majidi démontrent que la révolte qui ébranle l’Iran depuis la meurtre de Mahsa Amini ne se limite pas à la jeunesse.
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