Christian Makarian
« Rêves et mirages russes en Afrique «
Vladimir Poutine a défini sa prochaine cible. Sitôt après avoir conclu un accord avec Recep Tayyip Erdogan, par lequel les forces russes et l’armée de Bachar al-Assad veulent prendre le contrôle de la zone que les Kurdes de Syrie avaient reprise à Daech, le président russe a reçu à Sotchi, à grand renfort de médias, une quarantaine de chefs d’Etat africains.
L’intérêt des dirigeants russes pour l’Afrique renvoie à une période où l’URSS exerçait une mainmise idéologique importante sur ce continent, dans le sillage de la décolonisation. Après quoi un recul d’influence global a accompagné les transformations de la Russie ; c’est ce reflux que Poutine a endigué en multipliant les visites sur place. Un pas significatif a été accompli en Egypte, où la diplomatie russe a habilement tiré parti des erreurs commises par Barack Obama, trop engagé dans la défense de l’ancien président Mohamed Morsi, issu des rangs des Frères musulmans. Dès que les militaires ont repris le pouvoir, en juillet 2013, emmenés par le maréchal al-Sissi, Poutine s’est engouffré dans la brèche et a signé depuis lors de nombreux contrats avec l’Egypte. Auparavant, il en avait fait de même avec l’Algérie, dans l’espoir de restaurer une vieille relation. Avec le retrait affiché des Occidentaux (refus des Américains de s’engager davantage sur le continent africain, rejet des mauvaises pratiques de la Françafrique réaffirmé par Emmanuel Macron), le maître du Kremlin ne cesse d’élargir la palette de ses clients potentiels.
Sauf que ce penchant africain se traduit par un diptyque peu productif : annulation des dettes préalables de la part de la Russie et livraisons d’armements. En 2019, ce sont ainsi vingt pays africains qui ont reçu des armes russes pour un montant total de 3,5 milliards d’euros. L’éventail est très large : l’Ouganda, le Rwanda, le Mozambique, l’Angola ont bénéficié de matériels divers (missiles antichars, véhicules blindés, différents types d’équipements) ; le Nigeria a culminé avec l’achat d’une douzaine d’hélicoptères MI-35. L’objectif est évidemment de vendre à ces pays des moyens performants de lutter contre le terrorisme, en particulier les groupes djihadistes, mais aussi de leur permettre de se doter d’instruments de répression plus dissuasifs.
Ce n’est pas suffisant pour doper la croissance russe, ni pour désenclaver un pays qui demeure frappé par les sanctions européennes et américaines. Globalement, les échanges de la Russie avec l’Afrique représentent vingt milliards de dollars, contre 204 milliards pour la Chine et un peu plus de 51 milliards pour la France. Les promesses faites par Poutine en matière d’exploitation des matières premières, dont l’Afrique regorge, ne produiront pas beaucoup d’effets au regard de l’offensive commerciale et technologique chinoise. De même, les participations russes annoncées à grand fracas auront du mal à se traduire concrètement dans les chiffres. En réalité, Poutine se borne à afficher son ambition, à la signaler au monde entier et à créer une sorte de rendez-vous de chefs d’Etat susceptible d’étendre le champ des opportunités. C’est dans ce sens qu’il faut aussi interpréter le développement de médias tels que la chaîne de télévision Russia Today en langue française ou portugaise.
La Russie de Poutine n’est plus l’Union soviétique, tant s’en faut ; elle n’a plus de portée idéologique, ni de relais politiques locaux, et encore moins de possibilités d’investissements suffisantes dans les grands projets. Le fait d’avoir repris racine au Moyen-Orient par le biais très sanglant du conflit syrien n’est pas de nature à entraîner une dynamique nouvelle. Moscou n’a tiré aucun bénéfice réel des différents conflits internes qui agitent le continent noir – ni au Soudan, ni en République centrafricaine, ni au Nigeria, ni en Afrique du Sud (pays que Poutine privilégie), ni même en Algérie. Poutine est bien vu de certains dirigeants africains, mais il est encore loin d’être l’ami de l’Afrique.
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