Amandine Crespy
Relance de l’Europe: le double échec d’Emmanuel Macron
La semaine dernière fut une semaine européenne pour Emmanuel Macron. Mardi 17 avril, il s’est exprimé pour la première fois devant les députés européens à Strasbourg et, deux jours plus tard, il se rendait à Berlin pour tenter de sortir de l’enlisement les discussions franco-allemandes sur la réforme de la zone Euro. A l’issue de cette semaine, il est clair que la stratégie européenne du Président français est dans l’impasse.
Une rhétorique qui sonne creux
A Strasbourg, le Président a servi aux députés son discours, désormais connu, de « bon européen ». Ne désirant pas appartenir à une « génération de somnambules » oeuvrant à la ruine des grandes réalisations des prédécesseurs, il a tenu un vibrant plaidoyer pour la démocratie libérale, préférant « l’autorité de la démocratie » à la « démocratie autoritaire ». Il a appelé écouter les peuples, à créer un véritable espace public européen, et à faire émerger une souveraineté européenne afin de répondre aux « désordres du monde » que sont le changement climatique, les migrations et les conflits.
Et d’égrainer un programme de réformes visant à renforcer la capacité d’action de l’Union européenne : programme européen de soutien aux collectivités qui accueillent de réfugiés, taxes numérique et environnementale permettant de dégager de nouvelles ressources propres pour l’Union, politique commerciale plus protectrice, fonds européen de défense, convergence fiscale et sociale, etc.
Mais dans le contexte actuel, une rhétorique grandiloquente, voire convenue, de la démocratie (« notre meilleure chance est la démocratie européenne ») tout comme les propositions de réformes ambitieuses sont condamnées à tomber à plat. Si l’on peut pointer du doigt le contexte, il est vrai, peu favorable à une relance du projet européen, on peut aussi s’interroger sur la pertinence de l’action du Président français.
Des mots aux actes, le bât blesse
La matrice idéologique et stratégique d’Emmanuel Macron, qui consiste à exacerber le clivage entre les « bons européens » libéraux et centristes et les « mauvais européens » populistes de tous bords, n’est pas efficace d’un point de vue politique.
Les visées macronniennes ne peuvent rallier les députés de la droite conservatrice et eurosceptique, qui ne veulent ni souveraineté européenne, ni réforme permettant une plus grande intégration économique, fiscale ou sociale. Ceux-ci, très nombreux au Parlement européen, voient en outre les rapports de force évoluer en leur faveur partout en Europe et peuvent ainsi tranquillement laisser le Président français s’agiter en vain.
Emmanuel Macron ne peut non plus convaincre les progressistes qui souhaitent une réorientation profonde du projet européen vers une Europe plus solidaire, plus sociale et plus démocratique. Car le bilan d’un an de présidence Macron révèle avec acuité la réalité de son action politique. Les ambitions de grandes réformes équilibrées (« ni gauche, ni droite ») et modernisatrices pour la France se résument pour l’essentiel à une néolibéralisation à marche forcée de l’hexagone (réforme fiscale bénéficiant aux entreprises et aux plus riches, flexibilisation du marché de l’emploi, réformes a minima de la formation professionnelle et de l’assurance chômage qui ne bénéficieront qu’à une petite partie des millions de français concernés). En matière d’accueil des migrants, le Président Macron assume les vieux penchants français pour l’Etat policier d’une République en repli, très loin des discours de démocratie et de solidarité.
L’impuissance face à l’Allemagne
Le second échec d’Emmanuel Macron concerne son dialogue avec l’Allemagne d’Angela Merkel. Certes l’immobilisme des sept derniers mois est en partie dû à la longueur des négociations pour la formation d’un gouvernement de coalition suite aux élections de l’automne dernier. Mais l’essentiel n’est pas là. Les discussions actuelles montrent à quel point les conservateurs allemands, effrayés par la montée de l’extrême droite, se montrent intransigeants, et les sociaux-démocrates faibles dans leur soutien froid à quelque réforme de l’Union européenne.
Les partenaires allemands refusent ainsi toute réforme significative de la zone Euro, comme la création d’un budget et d’un ministre européen des finances voulus par Emmanuel Macron. Quant à sa démocratisation par un contrôle parlementaire, il ne s’agit plus que d’une lointaine idée de campagne. Les discussions se concentrent aujourd’hui sur le renforcement de l’Union bancaire et la transformation du Mécanisme européen de stabilité en Fonds monétaire européen soutenant les banques par des garanties, mais les allemands sont réticents et insistent sur le maintien d’une gouvernance reposant sur l’unanimité et donc la possibilité de veto unilatéral.
La feuille de route du mois de juin qui devait relancer le projet européen s’annonce donc comme une série de réformettes à minima du fonctionnement actuel de l’Union. Des grandes ambitions démocratiques aux discussions techniques sur les banques. C’est le message que s’apprêtent à communiquer Emmanuel Macron et Angela Merkel aux peuples en colère.
Emmanuel Macron a fait le pari qu’une fois la « compétitivité » du pays améliorée, la France aurait regagné en crédibilité et serait en mesure de négocier des réformes sur un pied d’égalité avec son voisin d’Outre-Rhin. Ce calcul s’est avéré à la fois erroné et naïf.
Un train de réformes, même lancé à grande vitesse, ne produit pas en quelques mois des effets susceptibles d’effacer dix ans de faiblesse économique et politique. D’autre part, Emmanuel Macron semble avoir oublié que le rôle historique de la France en Europe est de faire contrepoids à l’Allemagne, en défendant une culture politique et économique historiquement différente capable de rassembler derrière elle d’autres Etats, notamment au Sud de l’Europe. Céder d’emblée à la doxa socio-économique dont l’Allemagne de Merkel est pétrie, au nom de la supposée réussite d’un modèle qui serait l’unique voie à suivre pour tous les pays européens, et qui ne sert qu’à mieux assoir la suprématie économique et politique de l’Allemagne et ses alliés (Autriche, Pays-Bas, Finlande notamment), c’est se mettre d’emblée en position d’infériorité stratégique et condamner l’Union européenne au statut quo.
Ainsi Emmanuel Macron a-t-il commis la même erreur qu’avait commise Nicolas Sarkozy en son temps, le mimétisme politique stérile, en y associant celle commise par François Hollande, le refus timoré de la confrontation.
Dans l’Union européenne comme ailleurs, la politique est une affaire d’idées et de rapport de force. Emmanuel Macron n’a ni su convaincre avec les premières, ni su créer le second.
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