Référendums d’annexion à la Russie: un chantage juridiquement sans effet, militairement lourd de menaces (analyse)
L’organisation, dans les territoires ukrainiens occupés, de référendums sur une annexion à la Russie prépare à l’utilisation par Moscou de “tous les moyens de légitime défense”. Un chantage juridiquement sans effet, militairement lourd de menaces.
Mis en échec sur le terrain militaire, peu soutenu sur le théâtre diplomatique, le président de la Russie Vladimir Poutine dégaine l’arme de référendum d’annexion pour tenter de reprendre la main dans la guerre en Ukraine. Amorce d’une réplique d’envergure ou chant du cygne ?
Le 20 septembre, les autorités prorusses des provinces ukrainiennes de Louhansk, Donetsk, Zaporijia et Kherson ont successivement annoncé la tenue d’un référendum sur leur territoire, entre le vendredi 23 et le mardi 27 septembre, portant sur un rattachement à la Russie. Peu importe que le pays soit en pleine guerre, que ces territoires soient sous occupation, que des populations soient déplacées, y compris en Russie… De toute façon, les consultations seront truquées et aucun pays autre que la Russie, hormis ses satellites serviles comme le Belarus, n’en reconnaîtra les résultats. L’enjeu est ailleurs.
“Justice historique”
L’ancien président Dmitri Medvedev en a ébauché le sens dans un premier commentaire de la décision. “Les référendums dans le Donbass sont d’une grande importance non seulement pour la protection systémique des habitants […] mais aussi pour le rétablissement de la justice historique […] Empiéter sur le territoire de la Russie est un crime et s’il est commis, cela vous permet d’utiliser toutes les forces de légitime défense”. Qu’entend par “toutes les forces de légitime défense” celui qui apparaît désormais souvent comme plus radical que Vladimir Poutine ?
Le président russe en a donné un aperçu le mercredi 21 septembre dans un discours, enregistré, à la nation. Il a annoncé une mobilisation partielle, qui concerne les réservistes et tous ceux qui ont déjà servi dans l’armée. Le ministère russe de la Défense a cité le chiffre de 300 000 personnes. Ces processus d’annexions virtuelles préparent aussi l’invocation de la légitime défense de la part des Russes puisque des territoires qui leur appartiendraient officiellement à leurs yeux seraient directement attaqués par l’Ukraine. Les dirigeants de Kiev ont d’ailleurs annoncé, le 20 septembre, que la nouvelle posture de Moscou ne changerait en rien leur intention de reconquérir l’entièreté de leur pays.
Annexion, le précédent de la Crimée
L’argument de la légitime défense n’a pourtant pas été utilisé par la Russie cet été quand des attaques de l’armée ukrainienne ont frappé plusieurs sites en Crimée. Or, pour Moscou, la péninsule est territoire russe depuis l’accord signé entre Vladimir Poutine et les dirigeants criméens le 17 mars 2014, au lendemain de l’approbation par la population, avec 96,77 % des votes, du rattachement à la Russie au terme d’un référendum. L’annexion, fondée sur une consultation populaire considérée comme illégale et non libre, n’a pas été reconnue par la communauté internationale. L’inclination prorusse d’une grande partie de la population de la presqu’île suggère cependant qu’un référendum régulier aurait aussi abouti, même si dans une moindre proportion, à une issue favorable au rattachement.
L’usage de l’arme de l’annexion est une réponse de Vladimir Poutine aux succès engrangés par la contre-offensive de l’armée ukrainienne à partir du 6 septembre surtout au sud de la deuxième ville du pays Kharkiv en direction de l’oblast de Louhansk, et dans une moindre mesure, autour de Kherson, au sud du pays. Ces derniers jours, la progression a été ralentie sur les deux fronts. Sur le premier, les Ukrainiens se sont heurtés à une poche de résistance russe à hauteur de la ville de Koupiansk.
Dans ce contexte, la voie des annexions choisie par la partie russe peut apparaître en réalité comme un aveu de faiblesse du maître du Kremlin. Incapable de répliquer aux Ukrainiens sur le théâtre militaire, il lui fallait trouver une autre forme de représailles. Et si, comme l’a indiqué le 20 septembre le président français Emmanuel Macron en marge de l’Assemblée générale des Nations unies à New York, “les référendums n’ont aucune conséquence du point de vue juridique” et relèvent de la “provocation”, ils consacrent “une escalade” dans le conflit, accusation formulée par l’Otan.
Les inquiétudes des alliés
Encore faudrait-il que les Russes soient en capacité de monter en puissance militairement. Or, il ne semble pas qu’ils le soient. La mobilisation partielle ne produirait ses effets qu’à moyen terme, sans garantie, qui plus est, de l’efficacité des effectifs venus renforcés des soldats fatigués par six mois de conflit et atteints moralement par les revers récemment subis.
Les espoirs placés dans l’aide des alliés n’ont pas non plus semblé répondre aux attentes de Moscou. La réunion de l’Organisation de coopération de Shangaï (1) à Samarcande en Ouzbékistan le 16 septembre a surtout donné lieu à des mises en garde à Vladimir Poutine sur les risques d’un conflit long en Ukraine. Le président chinois Xi Jinping a exprimé ses “préoccupations” à ce sujet à son homologue russe. Et le Premier ministre indien Narendra Modi a été encore plus clair. L’heure n’est pas à la guerre, a fait part en substance celui-ci à Vladimir Poutine. Lequel lui a répondu : “Je connais votre position concernant le conflit en Ukraine, vos inquiétudes… […] Nous allons tout faire pour que tout se termine le plus vite possible.”
Le chantage à l’annexion et à l’escalade de la violence, énoncé le 20 septembre, ne répond évidemment pas à cette promesse. D’autant qu’une dernière hypothèse se dessine derrière la surenchère militaire annoncée, celle de l’usage d’une arme nucléaire, le cas échéant tactique, ou la menace d’y recourir, qui, à défaut de moyens conventionnels suffisants, pourrait la traduire. Vladimir Poutine, acculé et affaibli, envisage-t-il cette fuite en avant ?
(1) Elle regroupe huit Etats-membres (Chine, Russie, Kazakhstan, Kirghizistan, Ouzbékistan, Tadjikistan, Inde et Pakistan), quatre Etats observateurs et six “interlocuteurs”.
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