Joseph Ndwaniye
Réapprendre à respirer de Santa Cruz à La Paz (chronique)
Le vol Bruxelles-Santa Cruz avait duré plus de quinze heures, escale à Madrid comprise. La ville s’ éveillait lorsque nous avons atterri. Située dans les plaines de l’est de la Bolivie, la température, à 6 heures du matin, y était plutôt agréable: 18°C. Mais très vite, le thermomètre grimpa jusqu’à afficher 35°C au milieu de la matinée. Un fameux choc thermique quand on vient de quitter l’hiver européen, en plein mois de décembre. Encore un dernier vol pour atteindre ma destination finale, La Paz, capitale du pays. Durant les premières minutes, émerveillé par le spectacle des montagnes et des rivières brunes qui les ceinturent, je réussis à garder les yeux ouverts. Puis, le sommeil qui m’avait fui toute la nuit me terrassa jusqu’à ce que de violentes secousses me réveillent à nouveau.
L’avion, qui effectuait la liaison entre les deux villes, était soumis à de grosses turbulences qui ne semblaient inquiéter que moi. Dans un message à peine audible, l’hôtesse demanda aux passagers de garder leur ceinture attachée. Mon voisin immédiat essaya de me rassurer: « C’est à cause de l’altitude, nous y sommes habitués. Cela explique d’ailleurs pourquoi les gros avions internationaux ne desservent pas l’aéroport de La Paz. »
A l’amorce de l’atterrissage, je crus que le pilote s’était trompé de trajectoire et qu’il allait directement s’écraser sur l’agglomération. Mon voisin bienveillant tenta de me rassurer à nouveau: « L’aéroport se situe juste à côté du quartier populaire d’El Alto, mais il n’y a jamais eu d’accident. » J’ai gardé les yeux fermés jusqu’à ce que les roues touchent le tarmac. Soulagé, mais pour un temps seulement.
A l’ouverture des portes, saisi par l’air glacé et raréfié en oxygène, j’arrachai brusquement mon masque malgré les consignes sanitaires. En seulement quarante-cinq minutes, nous étions montés de 400 à 4 061 mètres d’altitude et la température avait chuté de vingt-neuf degrés. Réapprendre à respirer…
Peu après, alors qu’il tentait de nous extraire des embouteillages monstres de l’agglomération d’El Alto, je demandai au chauffeur ce que je devais faire pour m’adapter à cette ville qui semblait m’accueillir avec tant d’hostilité. En guise de réponse, il gara son taxi en double file et commanda deux tisanes de maté de coca. « Tenez, avalez ça, ça va vous aider à supporter les effets de l’altitude. Pour le reste, c’est La Paz qui impose son rythme. Il faut juste l’apprivoiser. »
A l’arrêt depuis quelques minutes, je soupçonnai d’abord le chauffeur d’avoir choisi ce parcours pour doubler le prix de la course mais je pris vite conscience de la foule qui encombrait toutes les rues de ce quartier populaire. Mon regard était attiré par les femmes qui transportaient leurs marchandises dans un tissu de couleurs vives appelé « aguayo », noué autour du cou. Elles portaient un chapeau haut et rond, le bombín, duquel ressortent deux longues tresses, une jupe composée de plusieurs couches superposées et des sandales. « Ce sont les « Cholitas », me précisa le chauffeur. Elles ne sortent jamais sans leur tenue traditionnelle. Elles défendent leur identité indigène. »
En jetant un oeil au tableau de bord, je réalisai que tout était écrit en japonais. « Vous parlez le japonais? » « Non. » « Comment faites-vous pour déchiffrer ce qui est indiqué? » « J’y arrive, ça fait huit ans que j’ai la voiture. No te preocupes… » Nous avions mis plus d’une heure pour parcourir les quelques kilomètres qui séparent l’aéroport du centre-ville situé 461 mètres plus bas. Réapprendre à respirer…
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici