Le président sortant mobilise tout l’appareil d’Etat en vue de sa réélection. © getty images

RDC: comment Félix Tshisekedi compte forcer sa réélection

François Janne d'Othée

Félix Tshisekedi est bien parti pour entamer un second mandat comme président de la République démocratique du Congo (RDC). Il y a mis les moyens, aussi. Face à lui, Moïse Katumbi rêve d’une consécration lors des élections du 20 décembre.

Candidat à sa propre succession, Félix-Antoine Tshisekedi, surnommé Fatshi, 60 ans, cinquième président de la République démocratique du Congo, tentera de décrocher un second mandat le 20 décembre. La tension sera à nouveau maximale, d’autant qu’il n’y a qu’un seul tour.

Quarante-quatre millions d’électeurs sont enrôlés, mais l’abstentionnisme risque d’atteindre des records. Ce scrutin fixera aussi les députés nationaux et provinciaux, ainsi que les conseillers communaux des chefs-lieux de province. Les gouverneurs et bourgmestres seront donc élus de façon indirecte. Les sénateurs, eux, seront choisis par les députés provinciaux en 2024.

Le «candidat numéro 20»

Pour la présidentielle, 26 candidats sont en lice, dont deux femmes. Au pouvoir depuis 2018, le fils de l’opposant historique Etienne Tshisekedi n’a dû son accession à la «magistrature suprême» qu’à la faveur d’un tour de passe-passe avec son prédécesseur Joseph Kabila (2001-2018), alors que Martin Fayulu était sorti vainqueur des urnes. A l’époque, la Ceni – la Commission électorale nationale indépendante – s’était refusée à publier le moindre chiffre pour justifier la victoire de Tshisekedi.

Le 20 décembre prochain, le «candidat numéro 20» trouvera sur son chemin deux rivaux coriaces: Moïse Katumbi, le revenant politique, et Martin Fayulu, qui voudrait rééditer sa victoire de 2018, mais reconnue cette fois.

Tshisekedi, lui, tente à nouveau le passage en force. Non content de s’acheter les faveurs d’une majorité de parlementaires après la rupture, en 2021, de son pacte avec Kabila, il a ainsi imposé son poulain Denis Kadima, Kasaïen comme lui, en tant que président de la Ceni. C’est également un Kasaïen qui préside la Cour constitutionnelle, laquelle devra proclamer le nom du vainqueur. «Non au tribalisme», proclame pourtant le chef de l’Etat sur ses affiches.

Le président avait pourtant placé la paix comme priorité. On assiste à une surmilitarisation, et la violence n’a pas cessé.

Contraintes logistiques

«On a de sérieuses craintes que ce scrutin ne sera pas d’une qualité acceptable, estime Trésor Kibangula, analyste politique à Ebuteli, un institut congolais basé à Kinshasa. A chaque étape du processus électoral, il y a eu des problèmes. Ainsi, les Eglises ont réclamé un audit du fichier électoral pour le débarrasser de ses électeurs fictifs, cela a été refusé. La Ceni a finalement fait appel à des experts d’Afrique australe dont le rapport n’a pas été jugé crédible. Pour le financement des élections, c’est la même opacité. Personne n’a vu le budget, ni le plan de décaissement. Il en résulte un grand déficit de confiance

Le dernier couac en date fut la fin prématurée de la mission d’observation de l’Union européenne, alors qu’elle venait de débarquer… à l’invitation des autorités de Kinshasa. Les observateurs étaient censés se déployer dans la plupart des 26 provinces, mais les services de renseignement ont confisqué les téléphones satellitaires, rendant la mission impossible.

En outre, les contraintes logistiques dans ce pays gigantesque, où les moyens de transport sont plus qu’aléatoires, n’ont pas pu toutes être traitées dans les temps. Certains évoquent encore un report du scrutin. «Le pouvoir n’y a pas intérêt, car cela nécessiterait d’ouvrir un dialogue politique, autrement dit un partage du pouvoir», commente Trésor Kibangula.

Martin Fayulu veut sa revanche sur 2018.
Martin Fayulu veut sa revanche sur 2018. © getty images

Tshisekedi et la lutte contre la corruption

Dans ses meetings et interviews, Fatshi claironne que son principal succès est la gratuité de l’enseignement primaire, ce qui a permis le retour de cinq millions d’élèves. «Les Congolais reconnaissent que c’est un succès, et pas un candidat n’envisage de détricoter cette mesure, note l’analyste. Avant, les parents devaient payer, et parfois choisir parmi leurs enfants qui irait à l’école. Désormais, elle est ouverte à tous. Mais peut-être aurait-on dû y aller graduellement. Ainsi, il n’y a pas eu de mesures d’accompagnement pour construire de nouvelles salles de classe ou améliorer le salaire des enseignants. Ils gagnaient davantage quand les parents réglaient, et se retrouvent devant des classes surpeuplées.» Jusqu’à cent élèves par classe!

En matière de lutte contre la corruption, Tshisekedi aurait fait mieux que tous les régimes précédents, se targue Patrick Muyaya, porte-parole du gouvernement sortant. A la tête de l’Inspection générale des finances, Jules Alingete est en effet devenu une référence en Afrique. Mais, accuse la société civile, cette lutte s’est avérée très sélective, épargnant les proches du camp présidentiel.

La tentation autoritaire

Quant aux infrastructures construites à l’initiative de «Fatshi Béton», si des centres de santé ou des routes de desserte agricole ont vu le jour, l’Agence France Presse a relevé que plusieurs photos illustrant tel stade ou tel pont ont en réalité été prises… dans d’autres pays. Côté négatif, les ONG congolaises pointent la tentation autoritaire du chef de l’Etat, avec la répression de manifestations, l’arrestation de journalistes ou d’opposants politiques, la persistance de cachots clandestins…

La grosse ombre au tableau reste la situation à l’est du pays. La promesse de Félix Tshisekedi d’y ramener la paix ne s’est pas concrétisée. La rébellion du M23, soutenue par le Rwanda, s’est emparée de nombreux villages du Masisi et du Rutshuru, où le scrutin ne pourra pas se tenir à cause de l’insécurité.

On craint que ce scrutin ne soit pas d’une qualité acceptable. A chaque étape du processus électoral, il y a eu des problèmes.

Tshisekedi n’a pas ramené la paix

«Le président avait pourtant placé la paix comme priorité, commente Trésor Kibangula. Il a tenté de créer un état-major intégré avec les pays voisins, ça n’a pas fonctionné, il a noué des accords bilatéraux avec le Rwanda pour éliminer les FDLR (NDLR: Forces démocratiques de libération du Rwanda, partisans des anciens génocidaires de 1994), avec l’Ouganda pour combattre les ADF (NDLR: Allied Democratic Forces,affiliéesà l’Etat islamique), mais toutes ces alliances ont compliqué la donne: on assiste à une surmilitarisation, et la violence n’a pas cessé.»

Le docteur Mukwege peine à mobiliser.
Le docteur Mukwege peine à mobiliser. © belgaimage

La responsabilité rwandaise

Le Rwanda, source de tous les maux? «L’agression est bien réelle, et c’est très documenté, affirme l’analyste congolais. Mais il n’y a pas que le M23. D’après le dernier décompte, on enregistre 121 groupes armés locaux. Beaucoup avaient décidé de déposer les armes, mais sans contrepartie financière, ils ont quitté les centres de démobilisation, en les emportant

Entre-temps, les troupes de l’East African Community ont été priées de plier bagage car leur inefficacité s’est avérée encore plus flagrante que celle de la Monusco, la mission de l’ONU, elle aussi sur le départ. «Le Congo se tourne à présent vers les pays de la SADC (NDLR: la communauté des pays d’Afrique australe), mais tout cela manque de vision globale. Certes, il existe une responsabilité rwandaise dans la crise, mais elle n’explique pas tout.»

La résurrection de Katumbi

Assimilés parfois à des Rwandais, alors qu’ils sont Congolais, les Tutsis banyamulenge du Sud-Kivu continuent, eux aussi, d’être victimes de persécutions: villages incendiés, bétail massacré… Pour le président, c’est encore une fois la faute du Rwanda, qui provoquerait ces crises à répétition.

Au passage, cela lui permet de tacler son principal adversaire, Moïse Katumbi, qualifié d’«agent de l’étranger». «Comment peut-on les identifier? Ils ne condamnent pas nommément le Rwanda», a-t-il déclaré lors d’un discours au stade des Martyrs, à Kinshasa. Dans la foulée, le président se gausse de son rival qui prévoit de mettre fin à la guerre à l’est en six mois, «alors qu’elle sévit depuis environ trois décennies».

Moïse Katumbi peut compter sur le ralliement d’autres candidats.
Moïse Katumbi peut compter sur le ralliement d’autres candidats. © getty images

Le « bon manager »

Propriétaire du Tout Puissant Mazembe, club de football le plus titré du pays, et ancien gouverneur du Katanga, Moïse Katumbi attire les foules dans ses meetings, avides de découvrir un homme d’affaires qui rassure déjà sur un point: il ne cherchera pas à s’enrichir car sa fortune est déjà faite.

Quatre candidats se sont déjà désistés en sa faveur. En 2018, il avait été empêché de se présenter à l’élection présidentielle à cause d’une condamnation dans une affaire de spoliation immobilière. Joseph Kabila l’avait également accusé de collusion avec des mercenaires, et de posséder un autre passeport alors que la nationalité est une et exclusive. Il s’est alors exilé et n’est retourné au pays qu’en 2019.

Les Congolais croient en la démocratie mais plus dans la façon dont elle est mise en œuvre.» Trésor Kibangula, politologue.

«Son atout est qu’il a été un bon manager, notamment du TP Mazembe, commente Trésor Kibangula. Or, au Congo, foot et politique sont très liés. Les exploits du Mazembe lui ont apporté une aura nationale. Katumbi a également été le dernier gouverneur du Katanga, la province la plus riche du pays, avant qu’elle soit morcelée. Ses actions ont eu des échos dans les provinces qui n’avançaient pas. Les Congolais ont également vu en lui un homme qui a eu le sursaut patriotique de déclarer, après le rejet de sa candidature en 2018, qu’il soutiendrait Martin Fayulu, car celui-ci avait été désigné candidat de l’opposition, alors qu’il était plus proche de Tshisekedi.»

Mauvais timing

Son point faible, comme celui du chirurgien Denis Mukwege, autre candidat, est d’être entraîné sur le terrain nationaliste du président sortant, qui inocule des suspicions de déloyauté en assénant que Katumbi est le «candidat étranger», tandis que Mukwege est celui «de l’étranger».

Moïse Katumbi, né d’un père grec d’origine juive et d’une mère congolaise, est visé par un projet de loi sur la «congolité» déposé par Noël Tshiani, autre candidat, qui stipule que seuls les Congolais nés de deux parents congolais seraient admis aux plus hautes fonctions.

Quant au docteur Denis Mukwege, prix Nobel 2018 pour son action en faveur des femmes violées dans le Kivu, on dit qu’il est davantage connu à Paris et Bruxelles qu’à Kinshasa et Kisangani.

Mukwege a-t-il mesuré les enjeux ?

«Depuis longtemps, Mukwege caresse le rêve de diriger le pays, enchaîne Trésor Kibangula. Lorsqu’il a décidé de poser sa candidature, son défi était de créer une dynamique autour de lui. Mais s’il a une stature internationale, il manque de relais locaux. Il a eu du mal à démarrer sa campagne. Dans les réunions de l’opposition à Genève et Pretoria, Mukwege aurait pu saisir l’occasion de convaincre ses concurrents mais il arrive à un moment très délicat: Katumbi ne veut pas s’effacer car il vit une sorte de résurrection politique, tandis que Martin Fayulu rêve de revanche. Aucun des deux ne peut consentir à suivre Mukwege. Je ne sais si le docteur a bien mesuré ces enjeux…»

Le risque d’absentionnisme

L’élection à un tour favorisera Félix Tshisekedi, servi par tout l’appareil gouvernemental, de quoi pleinement occuper le terrain d’une campagne électorale qui ne dure qu’un mois. L’abstentionnisme, qui devrait dépasser la moitié des électeurs, jouera également en faveur du président sortant.

Le 20 décembre, qui n’est pas un jour de congé, de nombreux citoyens désenchantés préféreront assurer leur survie quotidienne plutôt que de perdre des heures à déposer un bulletin dans l’urne. «Les Congolais croient en la démocratie mais plus dans la façon dont elle est mise en œuvre», analyse Trésor Kibangula.

Kabila et la « dictature » de Tshisekedi

«Avec une opposition en ordre dispersé, une guerre à l’est qui privera de vote une partie de l’électorat, plutôt déçue par les promesses de paix non tenues, et un chaos logistique prévisible, le président sortant peut espérer sortir vainqueur des élections, certes bâclées, mais qui auront eu le mérite de se tenir dans les délais constitutionnels», résume Christophe Rigaud, directeur du site afrikarabia.

D’autant que sur le plan politique, le chef de l’Etat est soutenu par une vaste coalition de partis cornaqués par des poids lourds de la vie politique congolaise, comme le MLC de Jean-Pierre Bemba, bien implanté en Equateur.

Le candidat bénéficie aussi de l’appui de l’UDPS, le parti présidentiel, et d’une série d’ex-députés kabilistes. Joseph Kabila lui-même a décidé d’ignorer le scrutin. Celui qui est désormais sénateur à vie a dénoncé la «dictature» de Félix Tshisekedi et décrété que les conditions n’étaient pas réunies pour de «bonnes élections».

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