Railway to heaven: l’île de Skye, la meilleure manière de profiter autant du voyage que de la destination
Entre Highlands sauvages et paysages côtiers à couper le souffle, gagner l’île de Skye en train est la meilleure manière de profiter autant du voyage que de la destination.
«Bienvenue au Kinloch Lodge!», sourit Dan, le barman de ce charmant hôtel de Skye. Entre le début de notre périple en Belgique et le moment où l’on arrive enfin sur l’île et où on accepte avec joie la coupe de champagne qu’il nous propose, trois jours se sont écoulés – non pas en raison de retards ou autres grèves, mais bien parce qu’on a choisi de prendre notre temps. Réputés pour leur beauté, certains itinéraires ferroviaires écossais ne sont en effet pas simplement un moyen de relier deux destinations mais bien un voyage à part entière.
Lequel commence dès Bruxelles-Midi, avec un Eurostar à destination de Londres. Entre expositions, promenade le long de la Serpentine et bonnes tables, 36 heures dans le bouillonnement permanent de la capitale anglaise constituent le tonique parfait avant d’entamer un périple à travers le pays. En gare d’Euston, on monte à bord du Caledonian Sleeper, un des meilleurs trains de nuit au monde, selon le guide Lonely Planet. Depuis la capitale, il faut compter six heures pour gagner Edimbourg, avant que le Sleeper ne soit divisé en trois trains qui poursuivent leur route vers Aberdeen, Inverness et Fort William, notre destination. Alors que le soleil se couche sur la banlieue londonienne, le wagon-salon offre le cadre idéal pour siroter un whisky Isle of Jura en rêvant au reste du voyage. Parmi les voyageurs, l’ambiance est délicieusement électrique, l’excitation de traverser le pays tout entier faisant vibrer le train d’une énergie communicative. En effet, il ne s’agit pas ici d’un simple voyage, mais bien d’un périple dont chaque étape se révélera plus impressionnante que la précédente.
Secret bien gardé
La preuve dès le réveil et l’ouverture de la porte de notre couchette. Impossible de ne pas rester bouche bée face au spectacle des sommets brumeux des collines entourant le Loch Long, dont la surface lisse comme un miroir reflète le paysage. Histoire de ne pas perdre une miette de la vue, le petit déjeuner est englouti debout dans le couloir, qui offre le point de vue idéal pour admirer les panoramas qui se succèdent. Plus que tout autre moyen de transport, le train n’est pas tant une question de destination que de voyage, et la West Highland Line en est un rappel spectaculaire. Après avoir franchi le viaduc de Horseshoe, le Caledonian Sleeper prend un virage serré dans la vallée de Tyndrum et, à partir du Loch Tulla, la voie ferrée s’enfonce dans la nature, suffisamment à l’écart des routes et des villages pour apercevoir un groupe de cerfs paissant paisiblement en bord de voies à Rannoch Moor.
Pour descendre à Corrour, la gare la plus isolée du pays, il s’agit de bien se positionner. En effet, le quai n’accueille qu’un seul wagon, celui de queue en l’occurrence, dont on désembarque en plein cœur des Highlands. Londres a beau être à dix heures seulement, elle semble à des années lumières du calme spectaculaire qui règne dans ces paysages époustouflants. Construit à la fin du XIXe siècle, lorsqu’un riche propriétaire terrien du coin a autorisé le passage d’un train sur ses terres à condition qu’il ait sa propre gare, le lieu comprend aujourd’hui un restaurant mais aussi des chambres dans le poste d’aiguillage. Accessible uniquement en train ou par une route privée, l’endroit semble non seulement hors du temps mais aussi hors de la civilisation: le rêve pour les voyageurs en quête de déconnexion.
A bord du Poudlard Express
Une promenade pour s’imprégner de l’ambiance magique des lieux plus tard, le train pour Mallaig entre déjà en gare. Avec, à son bord, une horde de fans de Harry Potter, car il s’agit là aussi de l’itinéraire suivi par le Poudlard Express. Entre l’élégant viaduc de Glenfinnan et le fait qu’à la station suivante, nous sommes à côté du Jacobite, le légendaire train à vapeur touristique, tout ce tronçon de la West Highland Line fait honneur à sa réputation d’être l’une des plus belles lignes ferroviaires au monde. Lochs et canyons, montagnes et châteaux, et même vues magistrales sur la mer – une tristesse similaire à celle que l’on peut ressentir au moment de finir un bon livre étreint les voyageurs à l’approche de la gare de Mallaig. Heureusement, le ferry pour Skye nous attend.
La possibilité d’une île
Sur l’île, faute de train, il faut bien se résoudre à louer une voiture et rouler à gauche. Destination, le Kinloch Lodge, un de ces hôtels de luxe qui donnent l’illusion de séjourner chez des amis fortunés au goût exquis. Pas étonnant puisqu’à l’origine de cet établissement vieux de 50 ans, on retrouve la famille Macdonald, qui a décidé d’ouvrir au public les portes de son pavillon de chasse sur le Loch na Dal. Tant l’emplacement que l’accueil et les talents en cuisine de Lady Claire ont fait de l’hôtel un point de chute prisé d’une clientèle exigeante, habituée au plus haut niveau de qualité. Ici, on n’a pas attendu l’avènement du concept de quiet luxury pour proposer aux clients une vision élégante de l’opulence. Dans le salon, la beauté de la vue rivalise avec le moelleux des canapés, tandis que dans la salle à manger, on savoure la cuisine locaphile et inventive du chef Jordan Webb sous l’œil attentif des ancêtres de la famille, immortalisés sur les majestueux portraits qui ornent la pièce.
Isabella Macdonald, qui a grandi dans l’hôtel familial, partage avec enthousiasme ses lieux et adresses préférés sur l’île, et une fois la peur de conduire à gauche surmontée, on choisit judicieusement les endroits à visiter. Si les sites populaires tels que les cascades de Fairy Pools, le château de Dunvegan ou les formations rocheuses de The Old Man of Storr sont bondés, la route vers le village de pêcheurs d’Elgol, l’île voisine de Raasay ou encore la baie de Talisker sont épargnés par les touristes. Avec ou sans soleil pour l’illuminer, Skye est paradisiaque, riche de ce genre de paysages qui font ralentir le rythme cardiaque et intensifient chaque respiration. Des paysages pour lesquels la technique de l’aquarelle semble avoir été inventée, afin d’immortaliser les mouvements constants de la lumière sur les vallées et les montagnes qui découpent le relief de l’île. Une terre faite de nuances infinies de vert, de bruyère violette, d’algues orange et de moutons beiges, comme une invitation à prendre le pinceau et à jouer du nuancier.
Méditation ferroviaire
«Ce n’est pas un train pour les banlieusards», rit Isabella lorsqu’on lui demande pourquoi le premier train de Kyle of Lochalsh, juste de l’autre côté du pont de Skye, ne part qu’à midi. Aussi légendaire que celle des West Highlands, la ligne ferroviaire de Kyle offre, elle aussi, son lot de paysages sublimes. Au détour d’une pause ravitaillement dans la petite ville d’Achnasheen, notre route croise celle d’Ali, un touriste tellement féru de la région qu’il a baptisé son chien Midge, du nom de l’insupportable insecte qui pullule dans les Highlands. Lorsqu’on lui annonce avoir opté pour la lenteur, et un voyage de plusieurs jours pour rejoindre Bruxelles, il s’étonne et avoue, hilare, que cela fait bien trop de trains pour lui. Pourtant, loin d’être un simple moyen de transport, les trains sont faits pour la méditation, assurait le poète britannique John Betjeman. Il n’a pas tort.
Dans le train, le monde défile et ne demande qu’à être admiré puisqu’il n’y a rien d’autre à faire. Les yeux rivés sur le paysage, on a le loisir de laisser l’esprit vagabonder, bercé par le cliquetis des roues et le doux roulis des wagons. Pour le philosophe Michael Marder, il existe une notion de temps qui ne s’embarrasse d’aucune heure ou autre temps de trajet: le temps du passager. Autrement dit, si le voyage semble long, c’est peut-être parce qu’il est ennuyeux ou qu’on trépigne d’arriver à destination. Sur la ligne Kyle, au contraire, le temps file à toute vitesse, et on a à peine le temps de profiter de la beauté du trajet qu’il faut déjà débarquer.
Luxe ultime
Les trajets à travers l’Aberdeenshire, l’Angus et le Fife sont charmants, mais n’offrent pas le spectacle des Highlands. Qu’à cela ne tienne, c’est le moment parfait pour sortir un livre – à remiser à l’approche d’Edimbourg et de l’embouchure de la rivière Firth, qui voit le train traverser le plus beau pont du monde. Les pylônes et piliers rouges du pont de Forth défilent devant les fenêtres pour la plus grande joie des passagers, et leur spectacle danse encore devant nos yeux au moment d’entrer en gare de Waverley, en plein cœur d’Edimbourg. Deux volées d’escalier plus tard, le portier en kilt du Balmoral nous ouvre les portes d’un des grands noms de l’hôtellerie de luxe. Ce bâtiment majestueux a ouvert ses portes au début du siècle dernier pour offrir un havre approprié aux passagers huppés des trains qui faisaient escale dans la ville. De Laurel et Hardy à Sophia Loren en passant par la reine mère, il a accueilli son lot d’illustres noms, et aujourd’hui encore, un air de raffinement se dégage de l’établissement. C’est qu’entre la baignoire avec vue sur la vieille ville et le high tea servi avec force gâteaux et minisandwichs dans le Palm Court, difficile de ne pas avoir l’impression d’appartenir à l’élite.
C’est donc avec regret qu’on quitte l’hôtel pour prendre le train en direction de Londres. Les cinq heures de route vers le sud permettent d’enchaîner les sites touristiques. Les bâtiments médiévaux et les ponts modernes de Newcastle, l’Ange du Nord d’Antony Gormley, le cheval blanc de Kilburn – tant pis pour la lecture, le paysage exige d’être admiré. Et pour rester dans le thème, une fois entré en gare, rien de tel que poser ses valises au St Pancras Renaissance Hotel. Au siècle dernier, les gens fortunés et importants circulaient dans des wagons privés et ne les quittaient que pour séjourner dans ce genre d’hôtels grandioses. De nos jours, avec ou sans étapes cinq étoiles, voyager en train, c’est faire le choix du luxe. Celui de prendre son temps, d’être surpris, d’admirer des paysages exceptionnels et de multiplier les rencontres.
En pratique
TrainsVoyagez vers Londres avec l’Eurostar, à partir de 44 euros l’aller simple.
Le Caledonian Sleeper vous emmène d’Euston vers diverses destinations écossaises, ou vice versa. A partir de 45 livres sterling l’aller simple pour des sièges ordinaires et dès 135 livres pour les cabines couchettes.
Scotrail propose des cartes journalières et hebdomadaires, mais il est aussi possible d’acheter des billets en ligne ; le prix du trajet de deux heures et demie entre Corrour et Mallaig s’élève à 30 euros.
HôtelsLe Kinloch Lodge, à Skye, est un hôtel charmant comprenant un excellent restaurant. Dîner à 95 livres sterling, chambres à partir de 630 euros la nuit.
Le Balmoral, à Edimbourg, est un hôtel Rocco Forte, avec des chambres à partir de 290 euros la nuit.
L’hôtel St Pancras Renaissance appartient au groupe Marriott. Chambres à partir de 430 euros. Vous pouvez lire notre compte-rendu sur l’hôtel sur weekend.levif.be.
Location de voituresDrive Skye offre un excellent service, des prix abordables et quatre pages de conseils sur les andonnées et les restaurants locaux.
InformationsSur visitbritain.com et visitscotland.com
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