Qui sont les Houthis, les rebelles du Yémen, qui « profitent » de la guerre Israël-Hamas ? (interview)
Les Houthis, rebelles yéménites, n’agissent pas qu’au service de l’Iran. Pour l’anthropologue Franck Mermier, ils cherchent aussi à asseoir leur légitimité.
LE CONTEXTE
Le risque d’extension du conflit entre Israël et le Hamas était principalement redouté en Cisjordanie, au sud du Liban, au sud de la Syrie ou en Irak, après le massacre de 1 200 militaires et civils israéliens par le groupe islamiste palestinien Hamas, le 7 octobre. Il se concrétise surtout aujourd’hui à partir du nord-ouest du Yémen, à deux mille kilomètres d’Israël. Extension régionale, voire mondiale. Mais qui sont les rebelles houthis ?
Les rebelles houthis agissent-ils en service commandé pour l’Iran ou défendent-ils des intérêts propres?
Le fait que les Houthis soient présentés comme un groupe politico-militaire fortement lié à l’Iran, notamment par l’idéologie et l’armement, peut laisser penser qu’ils sont un instrument du régime de Téhéran dans le cadre de conflits régionaux. En réalité, ils sont un mouvement nationaliste qui a pour visée de prendre le pouvoir au Yémen et un mouvement idéologique anti- impérialiste. Leur slogan est «Victoire à l’islam, malédiction sur les Juifs, mort à Israël, mort aux Etats-Unis». Ils se sont inscrits dès leur création en opposition frontale avec le régime yéménite de l’époque, celui de Ali Abdallah Saleh qui a pris fin en 2011, et avec son alignement sur les Etats-Unis. Dans le même temps, inspirés par la révolution iranienne, puisque eux-mêmes appartiennent au zaïdisme qui est une branche du chiisme, ils ont le soutien iranien mais aussi une autonomie d’action importante. Ils ont des objectifs intérieurs et régionaux propres par rapport à la guerre au Yémen. Leur action contre Israël s’inscrit dans celle de l’«axe de la résistance» qui allie l’Iran, la Syrie, le Hezbollah libanais, les milices chiites irakiennes en solidarité avec la lutte du Hamas contre l’armée israélienne. En même temps, leur pouvoir est contesté au sein du Yémen puisqu’ils ont pris la capitale, Sanaa, après un coup de force en septembre 2014 et que depuis, ils sont en lutte contre un gouvernement légitime reconnu par la communauté internationale qui occupe une autre partie du pays. Ils mènent donc aussi un combat pour leur légitimité non reconnue à l’échelon international et déniée par une partie de la population yéménite. Le combat contre Israël s’inscrit aussi dans cette lutte pour asseoir leur légitimité intérieure, sachant que la cause palestinienne est très populaire dans la population des deux camps.
L’opinion saoudienne est en faveur des Palestiniens, et donc de l’action des Houthis en mer Rouge.» Franck Mermier, anthropologue, directeur de recherche au CNRS, et spécialiste du Yémen.
Cette confrontation avec Israël ne dessert-elle pas plus qu’elle ne sert la position des Houthis alors que des négociations sont en cours pour trouver une issue au conflit?
La dernière réunion en date entre l’Arabie saoudite et les Houthis s’est tenue en septembre 2023 à Riyad. Il y a donc une volonté très grande de l’Arabie saoudite de se désengager de la guerre au Yémen comme l’ont fait les Emirats arabes unis en 2022. Cela explique pourquoi Riyad se garde jusqu’à présent de rejoindre la coalition internationale formée par les Etats-Unis pour assurer la sécurité du transport maritime en mer Rouge. Si les Saoudiens apparaissaient dans cette alliance contre les Houthis, cela signifierait qu’ils réenclencheraient les hostilités. Les Houthis tablent sur cette volonté des Saoudiens de se retirer du Yémen. D’autant plus que l’opinion saoudienne est en faveur des Palestiniens, et donc de l’action des Houthis en mer Rouge.
Les marines occidentales ont jusqu’à présent intercepté des missiles ou des drones des Houthis. Si elles opéraient des actions plus offensives, cela pourrait-il entraîner l’Iran dans une guerre?
L’Iran a condamné la mise en place de cette coalition. Les Houthis bénéficient du parapluie iranien, symbolique. Téhéran irait-il jusqu’à intervenir militairement? Ce n’est pas certain si la coalition répond de façon graduée. Si elle intervient seulement sur certains sites militaires, comme les îles de Kamaran et de Taqfach au large d’Hodeida à partir desquelles on peut tout à fait bloquer le passage de la navigation, et qu’elle évite de frapper les populations civiles des grandes villes, Hodeida et Sanaa, les représailles peuvent être limitées et efficaces. Les bases nautiques des Houthis sont connues. Et ce bras de fer permettrait d’essayer – parce qu’il n’est pas certain que cela réussisse – de faire baisser la menace réelle des Houthis. En revanche, si les puissances en charge de cette sécurité, principalement les Etats-Unis, la France et le Royaume-Uni, ne font rien, cela veut dire qu’ils laissent finalement un groupe rebelle et un gouvernement non reconnu par la communauté internationale dominer la mer Rouge, ce qui est totalement intolérable sur le plan international.
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