Qui étaient vraiment les » douze apôtres » ?
Pourquoi le Christ les a-t-il choisis ? Etaient-ils les seuls à ses côtés ? Contre-enquête sur ceux qui suivaient le Messie.
Douze. Le nombre est symbolique. Les juifs vivent en effet dans l’attente de la réunion des douze tribus d’Israël autour du Messie. Cette espérance s’appuie sur la reconstruction de l’histoire de Judée comprise comme la mise à part d’un peuple à partir d’Abraham, Isaac et Jacob, la réunion de ce peuple sous David, puis sa dispersion après la mort de Salomon. Ces temps davidiques sont vécus comme un âge d’or qu’il s’agit de retrouver. Jésus, en choisissant les Douze, veut donc montrer qu’il est bien le Messie qui rassemblera les douze tribus d’Israël. Fruit d’une décision personnelle de Jésus, les Douze ne sont pas simplement le « premier cercle » de ses intimes, ils sont aussi la manifestation de sa nature messianique.
Ces douze apôtres sont choisis dans des milieux sociaux différents. Pierre et son frère André, Jacques et son frère Jean sont des pécheurs de Galilée, Matthieu-Lévi est collecteur de taxes, Judas pourrait être originaire de Judée, Simon appartient à un mouvement religieux, les « zélés ». Comme les disciples, ils suivent Jésus, entendent ses paroles, voient ses actes et surtout vivent avec lui : dans l’Antiquité, cette vie commune a une très grande importance ; être disciple de quelqu’un (que ce soit de Jésus, de Platon, d’Epicure ou d’Aristote), ce n’est pas uniquement suivre son enseignement, mais c’est aussi habiter avec lui. Les Douze apparaissent la plupart du temps comme un groupe indéterminé, même si des individualités se distinguent : Pierre, qui fait un peu figure de chef ; Jacques et Jean, qui s’illustrent par l’ardeur de leurs convictions ; Thomas, célèbre pour avoir exprimé des doutes sur la réalité corporelle des apparitions de Jésus après la Résurrection.
Seules les femmes se retrouvent sous la croix
Les jours qui précèdent la mort de Jésus et ceux qui s’ensuivent immédiatement furent d’une importance cruciale pour ce groupe des Douze : ils constituent une sorte d’épreuve décisive. L’un des Douze, Judas, « livra » son maître. Malgré des siècles d’infamie, il est impossible de répondre à quatre questions essentielles à propos de ce qui se passa à la veille de la Pâque.
1. Quelles étaient les motivations de Judas ? Si l’Evangile de Jean cherche, tardivement, à expliquer son geste par sa rapacité, celle-ci ne concorde pas avec la faible somme de 30 deniers dont parle Matthieu.
2. Que signifie « livrer Jésus » ? Le rabbi de Nazareth était connu comme le loup blanc à Jérusalem. Et tout le monde savait où il reposait : le mont des Oliviers était un lieu de repos fréquent pour les pèlerins de Galilée montant à Jérusalem pour la fête de Pâque. Pourquoi Judas aurait-il eu besoin de le désigner ?
3. Pourquoi Jésus n’a-t-il rien fait pour empêcher la trahison ? Les quatre Evangiles s’accordent en effet pour dire que Jésus savait ce que Judas avait en tête, l’avait même désigné au cours du dernier repas, et pourtant n’a pas cherché à le dissuader.
4. Quel est le destin ultérieur de l’apôtre ? Chez Marc et Jean, Judas disparaît du récit sans autre forme de procès. L’auteur de l’Evangile de Luc nous explique, dans le livre qu’il a aussi rédigé, les Actes des apôtres, qu’il s’est acheté un terrain avec le montant de la livraison de Jésus et qu’il y est mort, d’une répugnante rupture des entrailles, qui est bien symbolique car elle évoque le châtiment des misérables dans l’Antiquité. Matthieu, au contraire, nous décrit son remords. Se rendant compte tardivement de la portée de son geste, il court rendre l’argent aux grands prêtres et, voyant leur dédain, va se pendre. Ces deux morts contradictoires posent une question sans réponse : comment expliquer qu’on ait pu oublier les circonstances de la mort d’un personnage aussi central dans l’histoire de Jésus ?
Pour les disciples, la mort de Jésus constitue aussi un moment clef : les quatre Evangiles concordent pour dire que tous ont fui, à l’exception peut-être d’un disciple que l’Evangile de Jean nomme « le disciple que Jésus aimait ». Seules les femmes – et en particulier les deux Marie, Marie mère de Jésus et Marie de Magdala (Marie-Madeleine) – se retrouvent au pied de la croix : si Judas a trahi activement Jésus, ses confrères ne valent guère mieux. Et le bouillant Pierre lui-même, qui s’était déclaré peu avant prêt à suivre son maître jusqu’à la mort, n’ose pas reconnaître qu’il faisait partie de ses disciples lorsque l’interroge une servante sans importance.
Ce sont surtout les apparitions du Christ ressuscité qui constituent le moment décisif de la vie des compagnons de Jésus. Si la Résurrection est un fait qui échappe à l’Histoire, tous les témoignages s’accordent – y compris chez les adversaires des chrétiens – pour dire que les disciples ont toujours affirmé avoir rencontré leur maître vivant après sa mort. Cette rencontre capitale les a déterminés à propager partout la bonne nouvelle (Evangile) du salut. En effet, comme l’expliquera vingt ans plus tard l’apôtre Paul, si Jésus est ressuscité, alors la mort, que les juifs considéraient comme le salaire du péché, est vaincue, et donc Dieu a sauvé Son peuple.
Si Jacques fils de Zébédée et frère de Jean fut décapité à Jérusalem en 44 par le roi Hérode Agrippa et si Jacques frère de Jésus demeura à Jérusalem et y fut lapidé en 62, on connaît mal le destin des compagnons de Jésus après la Pentecôte. La tradition veut qu’ils se soient partagé le monde pour y annoncer l’Evangile, mais cela correspond sans doute aux revendications universalistes de l’Eglise après 70. Les apôtres dont on connaît avec certitude le destin sont Pierre et Paul. Pierre quitta Jérusalem vraisemblablement après 44 pour gagner Antioche-sur-l’Oronte (la moderne Antakya), où il demeura un certain nombre d’années, tout en réalisant des tournées en compagnie de sa femme, notamment à Corinthe (comme nous l’apprend Paul). Il mourut au cours des années 60 à Rome et y fut enterré. Paul, après un grand nombre de voyages missionnaires, fut emprisonné à Jérusalem, puis à Césarée. Il mourut, lui aussi, à Rome, au début des années 60. Ephèse a toujours été considéré comme le lieu de la sépulture de Jean et Hiérapolis (l’actuelle Pamukkale), le lieu de celle de Philippe. Mais les Pères de l’Eglise ont souvent confondu Jean fils de Zébédée avec l’auteur de l’Apocalypse et du quatrième Evangile, ainsi que le Philippe apôtre connu par les Evangiles et le Philippe diacre connu par les Actes des apôtres : quel Jean et quel Philippe reposent donc dans leurs tombeaux respectifs ? Une tradition très ancienne de l’Eglise syriaque veut que Thomas soit mort en Inde et qu’il ait été rapatrié à Edesse (la moderne Anl?urfa de Turquie), où il fut vénéré jusqu’à l’époque musulmane : on ne peut que constater l’importance de son culte. Pour le reste des apôtres, on ignore à peu près tout de leur destin.
Régis Burnet
Professeur de Nouveau Testament à l’Université catholique de Louvain
Dans Le Vif/L’Express de cette semaine, trente pages de dossier « La grande histoire de la chrétienté ». Avec :
– Le christianisme, cet ascenseur social.
– La genèse de l’Eglise.
– L’odyssée du Nouveau Testament.
– L’histoire de la papauté.
– Le rôle des cathédrales.
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