Qui est Olavo de Carvalho, le gourou du président brésilien Bolsonaro ?
L’ultraconservateur Olavo de Carvalho dispense » cours de philosophie » et admonestations sur Internet. Plusieurs de ses disciples entourent le président.
Parvenu au sommet de l’Etat brésilien grâce à sa maîtrise des réseaux sociaux, c’est sur Facebook que Jair Bolsonaro a prononcé son premier discours, après sa victoire, le 28 octobre 2019. Bien en évidence devant lui, le président d’extrême droite avait placé quatre ouvrages : la Bible, la Constitution de son pays, les Mémoires de guerre de Winston Churchill, et le livre d’un auteur brésilien, Olavo de Carvalho, Le Minimum que vous devez savoir pour ne pas être un idiot.
Pourfendeur du » marxisme culturel « , cet autodidacte est la figure de référence de la nouvelle droite brésilienne, et l’un des idéologues qui ont le plus influencé Bolsonaro. Deux mois et demi après son investiture, à l’occasion de sa première visite à la Maison-Blanche à l’invitation de Donald Trump, le 17 mars, le dirigeant brésilien a profité de l’occasion pour recevoir Olavo de Carvalho à la résidence de l’ambassadeur du Brésil à Washington, en compagnie de Steve Bannon, chantre du populisme de droite et ex-conseiller de Trump.
Tous ne goûtent pas son style, souvent vulgaire
Installé aux Etats-Unis depuis 2005, Olavo de Carvalho, 71 ans, dispense réflexions politiques et » cours de philosophie » sur Internet depuis Richmond, capitale de la Virginie. Le parcours de cet ultraconservateur a été sinueux. Après le lycée, au temps de la dictature militaire (1964-1985), il milite quelques mois durant au Parti communiste. Il se passionne ensuite pour l’astrologie, fonde une école où il enseigne cette matière, avant de rejoindre une secte soufie, inspirée par l’ésotérisme du Français René Guénon et de l’Allemand Frithjof Schuon. Sa fille Heloisa, en froid avec lui, est l’une de ses huit enfants nés de trois mariages successifs. Selon elle, son père, polygame, vit alors en communauté. Ce qu’il dément. Après quelques années en Roumanie, Olavo de Carvalho revient au Brésil et trouve sa voie : l’anticommunisme.
Il multiplie les anathèmes contre le u0022Marxisme culturel.
Journaliste et chroniqueur dans plusieurs médias, il est » l’un des premiers conservateurs brésiliens à considérer que l’axe de la bataille politique s’est déplacé vers les questions sociétales « , selon Camila Rocha, spécialiste de la droite brésilienne à l’université de São Paulo. Dès le début des années 1990, il vilipende une » supposée domination de la gauche sur la vie culturelle du pays « , précise-t-elle. Dans L’Imbécile collectif, publié en 1996, il dénonce le » faux prestige universitaire » et les » sophismes » du discours intellectuel dominant. Quelques années plus tard, il fonde le site Médias sans masque, dont l’objectif est de démontrer l’emprise des idées progressistes sur la presse.
Deux ans après l’élection en 2003 de Luiz Inácio Lula da Silva à la présidence, le polémiste s’exile aux Etats-Unis. De là, il poursuit ses anathèmes contre le » marxisme culturel » grâce auquel la gauche tente, selon lui, de miner la société traditionnelle. » En détruisant la propriété privée, les marxistes pensaient anéantir la famille « , remâche-t-il dans l’une de ses innombrables vidéos. Mais ça s’est avéré plus compliqué que prévu, alors » ils ont pris le problème à rebours et entrepris de saper d’abord la famille « .
» Au milieu des années 2000, période de boom économique, la popularité de Lula est au plus haut, et rares sont ceux qui osent critiquer l’ancien syndicaliste, souligne Fanny Vrydagh, doctorante à l’ULB. Olavo de Carvalho devient alors la boussole de cette minorité. «
Peu à peu, son audience s’élargit. Paru en 2013, un recueil de ses articles, Le Minimum que vous devez savoir pour ne pas être un idiot, s’est vendu à plus de 320 000 exemplaires. Auteur de 19 livres, il prêche aussi sur Facebook, YouTube et Twitter contre le multiculturalisme et le » globalisme « .
Autoproclamé professeur de philosophie, bien qu’il n’ait jamais achevé ses études dans ces universités qu’il honnit, Olavo de Carvalho dispense des cours en ligne de cette matière. Pas moins de 12 000 élèves se seraient inscrits à son programme, affirme-t-il.
Bolsonaro et les siens se retrouvent dans ses idées. A plusieurs reprises, le député de Rio de Janeiro et ses fils participent à des échanges filmés avec le maître à penser conservateur, en faisant le déplacement à Richmond ou à distance, en 2012, en 2014 et en 2017, notamment.
En 2016, la campagne pour l’ impeachment de Dilma Rousseff, la successeur de Lula, voit grossir les rangs de la nouvelle droite. Nombre des nouveaux militants se reconnaissent dans les idées du » guide » de Richmond, même si tous ne goûtent pas son style, souvent vulgaire, ses approximations, ses théories fumeuses. Revenu au catholicisme, il assure que » la notion d’Inquisition est une invention des protestants « .
Le nazisme, une idéologie de gauche
Pendant la récente campagne pour la présidentielle au Brésil, il soutient sur Facebook que Fernando Haddad, l’adversaire de Bolsonaro, a défendu l’inceste dans un livre de jeunesse, avant de retirer le post quand se multiplient les démentis. C’est lui aussi qui professe, dès les années 2000, que le nazisme était une idéologie de gauche, allégation reprise pendant la campagne électorale, puis par le président brésilien à l’occasion de son récent voyage en Israël.
Une fois Bolsonaro élu, l’oracle de Richmond propose ses services comme ambassadeur aux Etats-Unis. Sans succès. Le gouvernement compte en revanche plusieurs de ses disciples, les » olavetes « . Ernesto Araújo, propulsé au ministère des Affaires étrangères, prétend que le réchauffement climatique est un complot destiné à favoriser la Chine. A l’Education, champ de bataille favori de Carvalho, son zélateur, Ricardo Vélez Rodríguez, ne tient que deux mois : le 8 avril, Bolsonaro annonce son limogeage via Twitter. Partisan du retour de l’éducation morale à l’école, il a multiplié les couacs, provoquant la démission d’une vingtaine de hauts fonctionnaires de son ministère.
Certains entrevoient le début d’une guerre d’influence, autour de Bolsonaro, entre le clan des militaires – 8 maroquins sur 22 – et celui des olavetes. Signe des temps, le mois dernier, en marge de la visite du président brésilien à Washington, le gourou, reçu à la Trump Tower par Steve Bannon, a qualifié d' » idiot » le général Mourão, vice-président du Brésil. Désignant le militaire parmi les » traîtres » qui, selon lui, entourent Bolsonaro, il l’accuse d’être devenu » proavortement, antiarmes et pro-Maduro » – une allusion, sans doute, au fait que le général a exclu une intervention militaire pour déloger le dictateur du Venezuela. » Si ça continue, présage-t-il, dans six mois, c’est fini. » Pas de quoi ébranler le général, qui tacle au passage l' » astrologue de Virginie « . Ambiance.
Est-ce pour préserver l’équilibre des factions de son entourage ? Bolsonaro a choisi de remplacer le titulaire à l’Education par un autre des disciples de Carvalho, l’économiste Abraham Weintraub, spécialiste de la sécurité sociale, pour qui l’introduction du crack au Brésil est un complot communiste. Pendant ce temps, à Richmond, le 9 avril, derrière sa webcam, Carvalho s’en est à nouveau pris à l’armée, accusée d’avoir » permis que le communisme s’empare du pays « . Rancunier, le philosophe du Web.
Par Catherine Gouëset.
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