Quelles suites possibles à l’attaque du Hamas? « Israël doit se focaliser sur trois choses » (interview)
Le Hamas veut s’imposer comme le seul représentant des Palestiniens. Mais survivra-t-il aux représailles israéliennes ? Pari risqué, pour Didier Leroy (ERM).
Didier Leroy est chercheur à l’Ecole royale militaire et professeur à l’ULB. Il analyse les suites possibles de
l’attaque du Hamas contre Israël. Selon lui, le groupe islamiste espère pousser les Palestiniens de Cisjordanie à fomenter des troubles, notamment à Jérusalem, comme par le passé.
Un des objectifs du Hamas dans cette attaque est-il de s’imposer comme le seul véritable représentant de la cause palestinienne face à Israël, aux dépens des dirigeants de l’Autorité palestinienne?
L’opération que le Hamas a lancée est un pari très risqué. Les représailles israéliennes sont en cours et
elles vont se prolonger. Le Hamas subira des pertes extrêmement lourdes. En même temps, il espère établir une fois pour toutes sa suprématie sur les populations palestiniennes, qu’il s’agisse des Gazaouis, des Cisjordaniens ou des citoyens israéliens d’origine palestinienne. C’est avec cet objectif qu’il a appelé, à l’occasion de cette attaque, à une mobilisation populaire maximale. Les propos ont été extrêmement clairs : « Si vous avez un couteau, une arme, c’est le moment de les sortir. Si vous avez un véhicule, un camion, c’est le moment de le projeter sur des cibles israéliennes. » C’est un appel à une troisième intifada, rien de moins, même si on vivait déjà dans un contexte d’intifada de basse intensité depuis que le nouveau gouvernement israélien a multiplié les incursions antiterroristes en Cisjordanie, notamment à Jénine… Le Hamas tente le tout pour le tout afin de donner un ultime coup de boutoir à l’autorité résiduelle du Fatah et de Mahmoud Abbas. C’est un secret de Polichinelle. Tout le monde sait que si des élections avaient lieu en Cisjordanie, le Hamas les remporterait haut la main. On vit ce moment clé où l’Autorité palestinienne est en décrépitude et où le Hamas essaie de se profiler comme le seul acteur véritablement à même de défendre les intérêts des Palestiniens et, surtout, de changer la donne avec les Israéliens.
Cela passe-t-il par une extension de l’attaque de Gaza à la Cisjordanie et aux villes arabes israéliennes ?
Tout le monde observe avec attention le succès de cet appel à la mobilisation. De celle-ci dépend sans doute l’entrée en scène d’autres acteurs, comme le Hezbollah. Le mouvement chiite libanais est capable d’embraser le front nord d’Israël. Il ne l’a fait que symboliquement jusqu’à présent. Quelques projectiles ont été tirés sur des positions militaires de Tsahal dans la zone des fermes de Chebaa, à la hauteur du Golan syrien. Le Hezbollah a juste réitéré son soutien au Hamas et l’a félicité pour l’« action héroïque » entreprise à partir de Gaza. Mais il n’a pas lancé d’offensive de grande envergure. La contagion prônée par le Hamas en Cisjordanie fonctionnera-t-elle ou pas ? C’est ce que le Hezbollah scrute.
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La position de l’armée israélienne en serait d’autant
plus compliquée ?
Israël doit se focaliser sur trois choses. Frapper très fort le Hamas à Gaza parce que c’est ce qui est attendu et c’est dans l’ordre des choses. Récupérer les otages : c’est la principale difficulté pour la stratégie d’Israël. Elle va contraindre Tsahal à entrer dans la bande de Gaza et à y mener des opérations terrestres, ce qui est toujours extrêmement dangereux. Ils ne peuvent pas se limiter à des frappes aériennes dans la mesure où ils pourraient eux-mêmes occasionner la mort de certains otages. Le scénario a été étudié par le Hamas qui sait qu’il n’y a que cette méthode qui, historiquement, a fonctionné avec Israël. Toutes les concessions que le Liban a obtenues au cours du conflit ont été permises à travers une monnaie d’échange unique, celle des otages. Troisième objectif pour les Israéliens, ils doivent empêcher la contagion à la Cisjordanie. L’appareil sécuritaire interne israélien, les forces de police, est sans doute mobilisé de manière maximale en ce sens, pour empêcher que la tache d’huile se répande et embrase les villes de Jénine, Jéricho, Tulkarem, Naplouse, etc. Dans ce contexte, la « cerise sur le gâteau » pour le Hamas serait de voir des clashs dans Ramallah entre ses partisans et des éléments pro-Fatah. Donc, il tente de soulever la Cisjordanie contre le Fatah et de multiplier autant que possible les actes de terrorisme et de violence urbaine dans les villes mixtes d’Israël, afin de polariser encore davantage la société israélienne déjà affaiblie, à l’échelle des citoyens juifs, dont certains ont manifesté comme jamais ces derniers mois contre la réforme judiciaire et contre le gouvernement d’extrême droite et ultraorthodoxe.
L’Iran est-il derrière l’attaque du Hamas ?
C’est certain parce que l’Iran est le fournisseur exclusif d’armements du Hamas. Tout l’arsenal du mouvement est soit de provenance iranienne, soit de manufacture artisanale locale. Il n’y a pas de doute à ce sujet. En outre, je crois que la dernière réunion entre de hauts représentants d’Iran, du Hamas, et du
Hezbollah s’est déroulée à Beyrouth il y a moins d’un mois. A cette occasion, la coordination entre les parties a atteint de nouveaux niveaux. L’autre assistance au Hamas, politique et financière, provient du Qatar. Si le Hamas est capable de payer les salaires de ses cinquante mille fonctionnaires, c’est grâce à l’aide financière du Qatar. Iran et Qatar se félicitent de voir la question israélo-palestinienne ramenée sur le devant de la scène pour initier un jeu d’éclipses envers d’autres dossiers internationaux.
Un des objectifs du Hamas et de ses alliés est-il aussi de contrarier le rapprochement amorcé entre l’Arabie saoudite et Israël ?
Il est déjà acquis, sur le plan régional, que le Hamas a complètement plombé le processus de normalisation entre Israël et l’Arabie saoudite. Il a déjà verbalisé la chose ; ce n’est pas mon interprétation. Il a affirmé que l’attaque était un message aux autres acteurs qui penseraient à normaliser leurs relations avec Israël. Il s’agit évidement de l’Arabie saoudite. Si une contagion des violences se produit à grande échelle, le message sera envoyé que le Hamas ne s’est pas trompé et qu’une fenêtre d’opportunité est ouverte pour que tous les ennemis d’Israël sortent de leur inaction et contribuent à l’effort de guerre. A ce moment-là, le Hezbollah pourrait également mettre davantage son poids dans la balance. Et on sait à quel point il peut avoir de l’importance. Si, en revanche, Israël parvient à maintenir le calme dans les villes de Cisjordanie, à contenir les violences dans les villes mixtes sur son territoire, et à créer une sorte de cordon sanitaire qui fait que les violences se poursuivraient uniquement à l’intérieur et à la proximité de la bande de Gaza, cela voudra dire que le Hamas a raté son « coup ».
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Le contexte intérieur libanais peut-il aussi influer sur l’attitude du Hezbollah ?
La pression interne au Liban est aussi très forte. Le Hezbollah a militairement et politiquement la volonté d’en découdre avec Israël. Mais il doit composer avec la moitié de la population du Liban qui n’est pas en
phase avec son agenda anti-israélien. L’ultime gardefou du Hezbollah, c’est la situation économique au
Liban. Il y a quelques jours, l’exploitation des champs gaziers y a été lancée. Voilà une manne de rentrées
financières que toutes les communautés du pays attendent. La moitié de la population du Liban qui ne
s’aligne pas sur les positions du Hezbollah vivrait très mal de voir qu’une guerre détruirait une nouvelle fois toute l’infrastructure du pays et reporterait de plusieurs mois, voire de plusieurs années, l’exploitation
de ce gaz naturel dont tout le monde au Liban est supposé bénéficier. C’est l’ultime garde-fou pour une
implication importante du Hezbollah, qui va sans doute d’abord jauger le degré de succès de la contagion de l’appel à la mobilisation par le Hamas.
La nouvelle donne pourrait-elle remettre en question les accords d’Abraham entre Israël et certains pays arabes ?
Elle est en tout cas vouée à les ébranler. Ils ont déjà été affectés par la détente irano-saoudienne négociée par la Chine et signée au mois de mars dernier. Mais cela ne les a pas remis en question. En tout cas, les deux colosses du Conseil de coopération du Golfe, l’Arabie saoudite et les Emirats arabes unis, se
retrouvent dans des postures diamétralement opposées face à la violence qui se déploie actuellement.
La première peut freiner sa propre tendance à normaliser les relations avec Israël. Elle n’a pas intérêt à
voir cette guerre prendre de l’ampleur. La priorité du prince héritier Mohammed ben Salmane est l’aboutissement du chantier Vision 2030, dont la principale pièce est le développement du nord-ouest du territoire, avec le projet de ville du futur Neom. Ce projet pourrait s’effondrer si la région israélo-palestinienne se transformait en zone de guerre de grande intensité. L’Arabie saoudite ne veut pas en entendre parler. Mais elle va jouer la carte de la solidarité avec les Palestiniens. C’est beaucoup plus compliqué pour les Emirats arabes unis, l’acteur arabe qui a été le plus loin dans le processus de rapprochement avec Israël, y compris sur des coopérations militaires et de technologies de défense.
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