Québec : un hôpital pour les Inuits, à 2000 km de chez eux!
Pour pallier les carences médicales du Nunavik, dans le Grand Nord, le Québec a construit une clinique pour les Inuits près de… Montréal. Un pis-aller.
Le vol d’Air Inuit d’Ivujivik, le village le plus septentrional du Québec, est arrivé ce soir à l’aéroport de Montréal, après des escales dans les petits aérodromes de six bourgades inuites. Une expédition de près de 2 000 kilomètres. Dans la langue des Inuits, l’inuktitut, Ivujivik signifie «là où les glaces s’accumulent en raison des forts courants».
Les autochtones du Nunavik vivent dans quatorze villages, dans la région arctique du Québec, au nord du 55e parallèle. A l’ouest la baie d’Hudson, à l’est la baie d’Ungava. Au pays des treize mille Inuits du Nunavik, il n’existe pas d’hôpital. Chaque jour, des patients venus du froid prennent place dans un des Havilland Dash 8 de la compagnie inuite. Ils convergent d’un désert blanc, vaste comme la Belgique et la France réunis, vers une jolie clinique. Ullivik, le premier hôpital pour Inuits, est situé à une heure du centre-ville de Montréal, à quelques minutes de l’aéroport de la métropole.
Des décennies durant, les autochtones du Grand Nord ont été les grands oubliés des services de santé. Depuis fin 2016, les Inuits se retrouvent donc à Ullivik. La clinique reçoit des personnes atteintes de cancers, en attente de chirurgie ou d’un don d’organe, et des femmes enceintes. Elle dispose des services d’une petite clinique, mais n’a pas les structures de santé d’un hôpital. Ullivik signifie d’ailleurs «un endroit pour rester où attendre». Cette structure unique fait office de résidence pour les Inuits. Ils sont ensuite soignés dans des unités spécialisées des hôpitaux montréalais pour tous les traitements majeurs. Chaque année, environ cinq mille Inuits se rendent bon an, mal an dans la clinique après un long voyage.
Je me suis retrouvé à faire un massage cardiaque à dix mille pieds d’altitude.
Une maison loin de la maison
Une vieille Inuite vient à Montréal pour se faire opérer des genoux. Pourtant, la seconde ville du Canada n’est pas sa tasse de thé. Trop grande, trop impersonnelle. L’aînée confie être impatiente de rentrer chez elle. Ullivik a donc une autre mission, intimement liée à son slogan: «A home away from home» («une maison loin de la maison»). Dans cet établissement unique au Canada, qui compte 143 lits, 91 chambres et 120 soignants, l’ambiance est bien différente des autres établissements de santé. Les patients ont une cuisine à disposition où ils préparent des plats inuits. On vient du Nunavut avec ses quartiers de phoque ou de béluga. Dans la cuisine, une jeune Inuite, couteau de chasse en main, prépare un morceau de caribou.
«Le Grand Nord est un autre monde. Jeune médecin, je me suis trouvé un jour face à un patient inuit qui nécessitait d’être transporté rapidement vers le sud. Plutôt que de faire venir un avion hôpital, nous sommes partis à bord d’un petit appareil. Le patient a fait un infarctus en vol. Je me suis retrouvé à faire un massage cardiaque à dix mille pieds d’altitude», confie le Montréalais, aujourd’hui loin du monde des Inuits. Près de la salle d’attente d’Ullivik, une immense vitrine rend hommage aux artistes de l’Arctique. Dans les couloirs de l’hôpital, des clichés en noir et blanc retracent l’histoire inuite. Sur une photo datée de 1928, un hydravion Fokker Universal apporte des vivres aux villageois. Aujourd’hui encore, le pays des Inuits reste le pays du vide.
L’Arctique canadien comprend les Territoires du Nord-Ouest et le Yukon, le Nunavut et le Nunavik, d’immenses étendues de presque quatre millions de kilomètres carrés pour à peine plus de cent mille habitants. La majorité des Inuits vivent au Nunavut, devenu, en 1999, un territoire autonome, avec pour capitale Iqaluit et ses températures inhumaines. D’autres habitent le Nunavik (nord du Québec), le Nunatsiavut (nord du Labrador) et l’Inuvialuit (Territoires du Nord-Ouest).
Drogue, alcool et contaminants
Le centre Ullivik est l’exception dans un monde inuit négligé. Il n’est pas non plus exempt de critiques de la part des résidents. Au-delà de l’apparence soignée du bâtiment, les Inuits qui y logent se plaignent fréquemment de discrimination de la part du personnel québécois. Une réalité dans une province où le racisme envers les autochtones est fréquent. Ces dernières années, des infirmières ont été épinglées pour avoir refusé de soigner des Amérindiens et causé leur mort.
La liste des griefs est longue. Les Inuits d’Ullivik assurent qu’ils trouvent parfois des punaises de lit dans certains couchages ; elles sont une réalité dans des milliers de logements et hôtels à Montréal et très difficiles à éradiquer. Comme Ullivik ne dispose pas de suffisamment de chambres pour loger tous ses patients, la clinique en loue dans un hôtel tout proche, qui serait lui-même infecté. Les Inuits, volontairement ou pas, apportent aussi des maladies. Ils sont des dizaines à vivre sur les trottoirs de la métropole montréalaise, dans des conditions d’hygiène horribles. A quelques centaines de mètres de la prestigieuse université McGill, avenue du Parc, un Inuit, les yeux dans le vague, drogué, avance en ce début mai tel un automate. Ses congénères, assis en groupe à côté d’un petit tas d’immondices, lancent des mots incompréhensibles. Ces scènes se répètent depuis des années sans émouvoir personne.
Les maux du Grand Nord sont nombreux: le manque de logements, de services de santé et les difficultés d’accès à l’éducation. Ottawa a été régulièrement épinglée par l’ONU pour son inaction. La situation de plusieurs communautés du Nunavut est toujours digne du tiers-monde. Le taux de suicide, la consommation de drogue et d’alcool chez les jeunes demeurent élevés. On est jeune au Nunavik, 26 ans en moyenne, mais on meurt jeune, quinze ans de moins qu’ailleurs au Canada. La mortalité infantile inuite est élevée. Outre les mauvaises conditions socioéconomiques, les petits autochtones seraient exposés à des contaminants, aux conséquences de l’alcool prénatal et à la fumée de cigarette. Au Nunavik, 25% des familles attendent un logement décent. La responsabilité des autorités québécoises est aussi flagrante. Un commerçant a installé un bar à six cents mètres d’Ullivik peu après l’ouverture du centre, avec la bénédiction administrative du gouvernement québécois pour obtenir un permis. Dans cet endroit éloigné du centre-ville, les Inuits sont la seule clientèle cible du tenancier du bar.
On meurt jeune au Nunavik, quinze ans de moins qu’ailleurs au Canada.
Un fort taux de tuberculose
Dans le Grand Nord, l’influence et le comportement des Blancs ont été historiquement criminels. Le gouvernement canadien a enlevé des milliers d’enfants inuits à leurs parents à partir du milieu du XIXe siècle et jusqu’en 1996 pour les placer dans des familles blanches, avec la complicité des autorités gouvernementales et des Eglises, afin d’en faire de «bons Blancs» et une main-d’œuvre bon marché. Les Inuits n’ont pas échappé aux politiques d’Ottawa. Le gouvernement les a relocalisés dans l’extrême nord de l’Arctique dans les années 1950, en vertu d’une logique d’occupation territoriale. Sans rien à manger, les familles n’y ont pas survécu. Ce n’est pas le seul scandale.
Selon le gouvernement du Canada, «le taux de tuberculose chez les Inuits est trois cents fois plus élevé que celui de la population des non-autochtones nés au Canada». Atteints de nombreuses maladies, les Inuits ont une espérance de vie de 67 ans, contre 82 ans pour les Canadiens. Le dépistage de la tuberculose commencera en septembre 2023 dans certaines communautés du Nunavut et se poursuivra jusqu’en novembre 2023. «J’encourage tous les membres de la collectivité à procéder à ce dépistage, car tout le monde peut être touché», a déclaré, début mai, le ministre de la Santé du Nunavut, John Main. «Les taux de tuberculose sont plus élevés au Nunavut en raison du surpeuplement des logements, de l’insécurité alimentaire et des obstacles à l’accès aux services de santé. J’exhorte tous les Inuits du Nunavut qui ont de la fièvre, des sueurs, une perte d’appétit ou des crachats de mucosités ou de sang à subir un test de dépistage», a ajouté Aluki Kotierk, la présidente de Nunavut Tunngavik, la société représentante des Inuits.
Lors d’un voyage à Iqaluit en 2019, Justin Trudeau a présenté «des excuses officielles pour la gestion par le gouvernement fédéral de l’épidémie de tuberculose dans l’Arctique des années 1940 aux années 1960». A l’époque, les Inuits ont été envoyés dans des sanatoriums en Ontario pour souvent ne jamais en revenir. Au-delà de ce mea culpa, le gouvernement québécois pourrait construire prochainement un hôpital au Nunavik. La directrice générale de la Régie régionale de la santé du Nunavik, Jennifer Munick-Watkins, a conclu récemment lors d’une interview à Radio-Canada: «J’en entends parler depuis des années, depuis que je suis toute petite.»
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