Québec, souvenir d’indépendance
Il y a cinquante ans, la Belle Province sortait de la période la plus violente de son combat contre le pouvoir anglophone, prises d’otages, attentats… Aujourd’hui, le contexte n’est plus très propice au désir de souveraineté.
Cette histoire a commencé comme un polar, le 5 octobre 1970. Alors que les Montréalais profitent de l’été indien, un groupe de militants du Front de libération du Québec (FLQ) enlève l’attaché commercial de Grande-Bretagne, James Cross, dans sa luxueuse demeure montréalaise de Westmount. Les révolutionnaires récidivent le 10 octobre. Ils kidnappent le ministre du Travail, Pierre Laporte. Le FLQ est un groupuscule radical connu au Québec. Le Belge Georges Schoeters, un aventurier arrivé au Canada à 21 ans, a été l’un de ses fondateurs en 1963.
Les « felquistes » formulent quatre conditions pour libérer les deux otages: la libération des prisonniers politiques de leur mouvement arrêtés dans les années 1960, un sauf-conduit pour Cuba ou l’Algérie, le versement d’une « taxe volontaire » de 500 000 dollars, et la lecture dans les médias du « Manifeste du FLQ », un pamphlet contre les autorités. Si le projet révolutionnaire du FLQ est flou, mal ficelé, une phrase du Manifeste en résume pourtant la pensée: « L’indépendance seule ne résoudrait rien. Elle doit à tout prix être complétée par la révolution sociale. »
L’opinion publique francophone prend fait et cause pour les jeunes révolutionnaires. Ils ont entre 25 et 30 ans, certains sont professeurs, d’autres sont étudiants. Divisés en plusieurs cellules, ils déjouent la police. Une partie a reçu un entraînement à la guérilla en Algérie. Les anglophones fulminent. Le premier ministre Pierre Elliott Trudeau, père de l’actuel chef de gouvernement Justin Trudeau, proclame la loi sur les mesures de guerre au Québec le 16 octobre 1970. L’occasion est trop belle pour en finir avec la fronde séparatiste. La police arrête près de 500 journalistes, écrivains et syndicalistes, soupçonnés de sympathies indépendantistes. Sans mandats. Le gouvernement suspend les droits civils.
Le Belge Georges Schoeters a été l’un des fondateurs en 1963 du Front de libération du Québec.
Plus de 8.000 soldats canadiens, parfois francophones, un crève-coeur pour beaucoup d’entre eux, occupent la ville. Les chars sont dans les rues de Montréal. Cette présence des militaires a lourdement marqué les Québécois. « Les gens ont plus eu peur de la police, de l’armée, que des felquistes », confie le journaliste et écrivain Daniel Samson-Legault, auteur d’une biographie, Dissident, sur Pierre Vallières, l’un des leaders du FLQ (Québec Amérique, 2018). Dans La Vraie Histoire de la crise d’octobre (article du quotidien Le Devoir, 2010), un autre, Louis Fournier, témoin des événements de 1970, dénonce: « Je ne pourrai jamais oublier l’arrestation et la perquisition sans mandat et arbitraire dont j’ai été victime le 8 octobre 1970, à mon domicile, où la police de Montréal a même saisi ma machine à écrire. Et ce, uniquement parce que la veille, à la radio, j’avais fait mon travail de journaliste en lisant le manifeste du FLQ, au nom du droit du public à l’information. »
Citoyens de seconde zone
La crise d’octobre est l’aboutissement de deux siècles de conflits larvés entre anglophones et francophones. En 1760, la France perd la Nouvelle-France. L’empire britannique s’impose au Québec, souvent violemment. Malgré les persécutions, les Québécois conservent le français comme langue, avec l’aide du clergé catholique. L’Eglise ne pousse guère ses ouailles à faire des études. Les Canadiens français sont des paysans ou des ouvriers pauvres. Certains tentent de se rebeller contre l’occupant anglais, comme en 1838, lors de la Révolte des patriotes. Les rebellions sont à chaque fois matées dans le sang.
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Après la Seconde Guerre mondiale, le Québec traverse une période sombre, la Grande noirceur, marquée par une période d’ultraconservatisme. L’économie québécoise est aux mains des anglophones ou d’entreprises américaines. Le Québec s’émancipe du clergé au début des années 1960. La province francophone fait sa « révolution tranquille ». En une décennie, une société très religieuse devient laïque et prend conscience de son existence en tant que nation. Le premier ministre Jean Lesage, dont les slogans électoraux ont été aussi bien « Maîtres chez nous » que « C’est le temps que ça change », favorise l’indépendance économique de la province. Une réussite? A moitié, car le chômage et les inégalités avec les anglophones restent élevés.
Les Québécois souffrent alors d’un sentiment de déclassement. La jeunesse n’est plus prête à l’accepter. Daniel Samson-Legault précise: « Les anglophones étaient très méprisants envers les francophones. Tout se passait en anglais. Dans une nation majoritairement francophone, les panneaux étaient écrits en anglais. Les Québécois se sentaient comme des citoyens de seconde zone. » Ces injustices provoquent la colère d’une partie d’une population jusqu’ici soumise. Des jeunes intellectuels créent des mouvements indépendantistes au début des années 1960. Parmi ceux-ci, le FLQ. Aux côtés de Georges Schoeters, né à Anvers, deux indépendantistes québécois, Raymond Villeneuve et Gabriel Hudon. Puis bien d’autres. Le FLQ sombre vite dans une spirale de violence en faisant sauter des bombes près des symboles du Canada anglais ou du capitalisme, tels que les casernes ou la Bourse de Montréal. Pour se financer, le mouvement attaque les banques. Plusieurs figures du mouvement, dont Georges Schoeters ou Pierre Vallières, sont arrêtées, mais le FLQ continue ses actions jusqu’à ce mois d’octobre 1970.
Une image ternie
Le 17 octobre 1970, le ministre du Travail est retrouvé mort dans un coffre de voiture. Certains attribuent son décès au FLQ, d’autres à des agents de la gendarmerie royale du Canada. La disparition de Pierre Laporte marque un tournant. L’image du mouvement est ternie dans un Québec opposé à la violence meurtrière. Les médias québécois, soumis aux pressions d’Ottawa, présentent les felquistes comme des criminels de droit commun. « Le FLQ sème la terreur », titre Le Journal de Québec. Le FLQ est traqué en novembre par la police, mais il conserve un atout de poids, James Cross. La cellule qui détient le diplomate négocie un sauf-conduit pour Cuba le 3 décembre en échange de la libération du Britannique le même jour.
Grâce aux réformes survenues depuis les années 1960, des progrès énormes ont été accomplis.
Les felquistes s’envolent vers La Havane. Certains iront vivre en France ou en Algérie. Ils reviennent au Québec à la fin des années 1970, condamnés à quelques années de prison. Le 28 décembre 1970, les derniers militants du mouvement sont arrêtés à Montréal. La fronde québécoise est matée. L’un des chefs du mouvement, Jacques Lanctôt, exilé à Cuba dans les années 1970, a écrit récemment dans Le Journal de Montréal: « A l’époque, le mot qui faisait peur, ce n’était pas terroriste, mais bien révolutionnaire […] Le FLQ ne visait pas à faire peur, à terroriser ; il cherchait à libérer le Québec pour en faire un vrai pays. Maladroitement sans doute, mais il faut tenir compte, aujourd’hui, de l’époque dans laquelle ce mouvement révolutionnaire s’inscrivait, celle des luttes de libération nationale en Asie, en Afrique et en Amérique latine. » Si la jeunesse québécoise partageait les idées du FLQ, elle demeurait pacifiste, au point que les militants actifs du mouvement n’ont jamais dépassé une centaine de membres.
Deux référendums, pas de séparation
Les événements de la fin 1970 marqueront durablement les esprits. Ils contribuèrent à l’institutionnalisation du mouvement indépendantiste. L’arrivée au pouvoir de ce dernier en 1976 crée un véritable cataclysme chez les anglophones du Québec. Nombreux s’exilent au Canada anglais. Lors de deux référendums, les Québécois ont pourtant refusé de se séparer du Canada. Si la première consultation de 1980 a été un échec retentissant pour les séparatistes, la seconde, en 1995, n’a été perdue que de quelques milliers de voix. Non sans polémique. « On sait aujourd’hui que le référendum du 30 octobre 1995 a été proprement volé aux Québécois, notamment par la naturalisation accélérée de milliers de nouveaux immigrants », juge le diplomate québécois Bernard Dorin, dans un ouvrage collectif, Histoire des relations internationales du Québec (VLB, 2006).
Depuis 1995, le Canada a resserré les conditions nécessaires pour une séparation du Québec. Dans une province respectueuse du droit, la souveraineté semble plus que jamais une utopie. Avec le temps, le projet indépendantiste est devenu flou. Le Parti québécois n’ose plus parler d’indépendance, mais de souveraineté. Un sondage de l’institut Léger réalisé le 30 octobre 2020 révèle que 54% des Québécois voteraient aujourd’hui contre la souveraineté et que 59% ne croient plus que le Québec deviendra un jour souverain. Pour ne rien arranger, le poids des francophones diminue au Québec. A Montréal, bien des commerçants asiatiques ne parlent plus français.
Il suffirait d’un leader charismatique ou d’une provocation du Canada anglais pour relancer la fibre indépendantiste. En novembre, la Chambre des communes, majoritairement anglophone, a rejeté une motion des députés souverainistes demandant des excuses pour les arrestations d’octobre 1970. Les jeunes Québécois, eux, connaissent peu la crise d’octobre. Louis Fournier conclut: « Grâce aussi aux réformes et aux changements de fond survenus dans la société depuis les années 1960, des progrès énormes ont été accomplis […]. Mais le combat n’est pas encore terminé. Le sera-t-il jamais un jour pour ce petit peuple francophone en quête d’un pays en Amérique du Nord? »
Un article de Ludovic Hirtzmann.
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