Que se passe-t-il en Pologne et en Hongrie? « Ils souhaitent devenir les leaders de l’Europe de demain »
La Hongrie et la Pologne mènent de plus en plus une politique de confrontation par rapport à l’UE. « Elles partent du principe qu’en 2020 l’Union européenne n’existera plus sous sa forme actuelle » explique le politologue hongrois Péter Krekó.
Ce mardi, le parlement européen a débattu sur l’enquête de la Commission européenne à propos de l’état de droit polonais. Le politologue hongrois Péter Krekó explique à nos confrères de Knack.be pourquoi la démocratie y est en perte de vitesse et quels sont les motifs de l’écart entre l’Europe de l’Est et l’Europe de l’Ouest. « Les pays de l’Europe de l’Est basent leur stratégie politique sur l’idée que l’Union européenne n’existera plus sous sa forme actuelle en 2020. » Le budget de l’UE pour les nouveaux états membres, tels que la Pologne, est fixé jusqu’en 2020. « Ces pays profitent un maximum de ce budget, car ils estiment qu’après ils n’auront plus d’argent. »
Ils ne voient donc pas d’avantages à leur affiliation à l’UE?
Krekó: Non, c’est pourquoi leur priorité politique n’est pas d’être un état membre exemplaire. En plus, Orbán et Jaroslaw Kaczynski espèrent être les leaders de l’Union européenne de demain. Et celle-ci rejettera les valeurs clés de l’Union européenne d’aujourd’hui.
Vous croyez aussi que l’Union européenne va se désintégrer ?
Je pense qu’il faut attendre le référendum britannique. Les conséquences d’un Brexit sont imprévisibles. L’UE risque de couler et le Royaume-Uni pourrait entraîner d’autres pays avec lui. Pour moi, le Royaume-Uni restera dans l’UE, mais en ce moment c’est difficile à dire, car l’impact de la crise des réfugiés est difficile à évaluer.
J’ai plus peur pour le traité de Schengen et la cohésion de l’Union européenne, qui sont en danger. En 2020, l’Europe sera plus faible. D’ici là, il n’y aura peut-être plus de Schengen et les ambitions pour des « Etats-Unis d’Europe » pour lesquels plaident certains politiques, auront certainement disparu.
Dans une interview accordée au quotidien néerlandais Trouw vous mettez en garde contre la montée de gouvernements composés d’un seul parti, comme en Hongrie. Pourquoi ?
Il ne s’agit pas tant du fait qu’il n’y a qu’un seul parti dans le gouvernement. Le danger, c’est que les dirigeants du gouvernement Orbàn et Kaczynski aient tiré une leçon de leurs défaites électorales après leurs premières législatures : à l’époque, ils étaient trop démocratiques, ils auraient dû influencer les institutions. C’est ce qu’ils veulent rectifier maintenant.
Ce cap choisi par ces gouvernements s’explique-t-il en partie par le fait que ses habitants se sentent des citoyens de seconde zone en Europe ?
En Europe de l’Est, le sentiment règne que le passage du communisme à la démocratie a donné une société injuste. Alors que les habitants espéraient qu’ils auraient le même niveau de vie que les gens en Europe occidentale. Malheureusement, ce n’est pas le cas, et il y donc beaucoup d’insatisfaction au sujet de la démocratie et du marché libre.
Ce sentiment d’être un citoyen de seconde zone ravive la flamme du nationalisme polonais. En plus, il y a un sentiment hostile historique à l’égard de l’Allemagne et de la Russie. Les politiques en profitent pour mener une campagne eurosceptique contre une Union européenne forte et dominante.
Voyez-vous un écart entre l’Europe de l’Est et l’Europe occidentale?
Oui. Cela se voit surtout dans les relations au sein de l’Union européenne. La crise des réfugiés constitue un bel exemple. Même si la politique Orbán demeure taboue, depuis Paris et Cologne, elle a de plus en plus de succès.
En fait, on peut même parler d’écart entre les anciens et les nouveaux états membres. Les « anciens » états membres affirment que les « nouveaux » états membres sont trop contents de percevoir et de dépenser de l’argent, mais ne sont pas prêts à faire des sacrifices et à aider l’Europe occidentale avec la crise migratoire. Et ils souhaitent punir les états membres d’Europe de l’Est qui ne respectent pas les mesures de l’UE.
La conséquence, c’est que la Hongrie, la Slovaquie et la Pologne font bloc, un peu comme le Benelux, et qu’ils s’isolent.
Que peut faire l’Union européenne pour résoudre ce problème?
Quand Bruxelles attaque un pays de l’Europe de l’Est à cause de ses mesures mesquines, les dirigeants font passer cela pour des critiques à l’égard de leur nation. Ils transforment l’UE en ennemi. Il est donc important que l’Union européenne évite les généralisations au sujet des habitants de ces pays.
Au lieu de critiquer en public, les dirigeants européens feraient mieux d’exercer leur pression en silence. Si les politiques sentent qu’ils ont beaucoup à perdre, ils réfléchiront à deux fois avant d’instaurer une mesure.
Vous avez une vision pessimiste de la démocratie en Europe de l’Est.
Dans l’Europe de l’Est, la démocratie et le marché libre sont illusoires, et certainement depuis la crise économique. On y pense aussi de plus en plus qu’il faut des leaders politiques plus dominants, parce qu’un leader fort est plus efficace que la démocratie.
Ce n’est d’ailleurs pas uniquement le cas en Europe de l’Est, c’est une tendance européenne. La façon dont les gouvernements français et italien ont traité les Roms démontre, par exemple, qu’il n’y a pas que les institutions d’Europe d’Est qui pratiquent la discrimination. Ou regardez la crise des réfugiés : la Hongrie n’est pas la seule à vouloir empêcher la venue de réfugiés. Le Royaume-Uni aussi a fermé ses portes. Et certains pays d’Europe du Nord, pourtant adeptes d’une politique ouverte, ferment peu à peu leurs portes.
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