Que raconte le brûlot sur Trump ?
Le livre Fire and Fury, de Michael Wolff, se vend comme des petits pains. Sauf qu’il n’y a pas que le contenu sur Donald Trump qui est controversé. Analyse.
Ce livre ne devait paraître que mardi. Mais lorsqu’un avocat a annoncé qu’il allait, au nom de Trump, tenter de faire interdire sa sortie, l’éditeur a tout simplement avancé la date de parution. « A quelle adresse je dois envoyer une boîte de pralines ? », se demande l’auteur, Michael Wolff. Car c’est bien entendu là tout le paradoxe. Le livre tant honni par Trump aurait été beaucoup moins lu et vendu si le sujet principal n’avait pas réagi de façon aussi véhémente.
Pour l’auteur, une telle réaction ne fait d’ailleurs que confirmer l’un des fondamentaux de son livre : le président américain se comporte comme un enfant. Un homme pour qui tout ne tourne qu’autour de sa petite personne et qui n’envisage rien d’autre que la satisfaction immédiate. Ou pour le tourner autrement : « il est comme une bille de flipper ».
Un auteur controversé
Michael Wolff (64) n’est pas un journaliste au sens classique du terme, comme l’est par exemple Bob Woodward du The Washington Post. Si Woodward publie un livre sur le président, ce à quoi il s’attèle au moment de lire ces lignes, on sait que chaque citation est enregistrée et datée. Rien ne sera non plus rajouté au propos sans que cela soit précisé. Et surtout ce qui est « off the record », le reste.
Rien de tout cela chez Wolff. « Il crée plus les scènes qu’il ne les retranscrit », dit Michelle Cottle, qui a réalisé son portrait en 2003 pour The New Republic.
Il n’a aucune ambition journalistique et dit de lui-même qu’il aime se voir comme une mouche qui observe et interprète. « Il se borne à donner sa version des faits et à les commenter » dit encore Cottle. « Ce n’est pas un chouette type » précise encore Kirsten Powers.
Wolff a critiqué de nombreux collègues, car il les trouvait trop négatifs envers le président fraîchement élu. Il a aussi abondé dans le sens de Trump lorsque celui-ci a tiré à boulets rouges sur les Fake News. Il a même été jusqu’à publier une interview dithyrambique de Steve Bannon dans Hollywood Reporter. Tout cela dans l’unique but de s’attirer les grâces de Trump ? « J’ai dit ce qui était nécessaire pour avoir accès à l’histoire » dit-il laconique.
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Du miel pour enrober l’acide
S’il n’a pas vraiment obtenu une invitation à la Maison-Blanche, Bannon va lui donner régulièrement un badge. Et pas n’importe lequel. De ce genre de badge qui donne un large accès. C’est de cette façon qu’il avait, selon ses propres dires, un siège semi-permanent dans un sofa. Un endroit où il a pu des heures durant observer, écouter et parler aux gens. Il va de cette façon , toujours selon ses dires, effectuer près de 200 interviews et ce y compris du président. Trump nie formellement cette allégation.
Les premiers mois, l’ambiance à la Maison-Blanche était tellement chaotique que personne ne s’est demandé ce que quelqu’un comme Wolff faisait là. Il avait pourtant déjà une réputation sulfureuse, après son livre sur le magnat des médias Rupert Murdoch qui n’a été que très peu apprécié par le principal intéressé.
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— CBS News (@CBSNews) January 7, 2018
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Il n’y pas que les moyens d’obtenir des infos qui est contestable. Le fond aussi pose problème. Wolf cite des gens qu’il n’a pas rencontrés en personne. Il s’agit donc de conversation de seconde main. Plus gênant, ce genre de témoignages occupe une place importante du livre. Par ailleurs, il utilise des discussions en « off », mais ne se gêne pas pour citer nom et fonction.
Il y a aussi des erreurs manifestes. Il dit par exemple que Trump ne connaît pas l’homme politique John Boehner , alors qu’il a été plusieurs fois joué au golf avec ce dernier.
Or s’il y une faute, il y a des chances que le livre soit truffé d’erreur. D’autant plus que, de l’aveu même de Wolff , il a entendu beaucoup d’histoires contradictoires à la Maison-Blanche. Et que dans ces cas-là, il a opté pour une version, celle qui lui semblait la meilleure.
Ce que l’on savait et ce qui est neuf
Néanmoins, même parmi les journalistes qui ont fait l’objet de ses critiques en début de mandat, comme Maggie Haberman du The New York Times, on reconnait que dans les grandes lignes le portrait correspond.
Notamment que le président a la capacité de concentration d’un enfant. « Ne donnez pas à Donald trop matière à réfléchir » était le conseil de l’ancien patron de Fox News, Roger Ailes, avant qu’il ne décède.
On savait aussi que Trump ne lisait jamais un livre ou un dossier et qu’il préférait parler qu’écouter. Mais aussi qu’il optait souvent pour le point de vue de la dernière personne qui lui avait parlé. Au point que ses collaborateurs essayaient systématiquement de savoir qui était la dernière personne à l’avoir eu au téléphone histoire d’avoir une idée de quel côté penchait la balance. Steve Bannon était particulièrement doué pour prévoir et éviter les crises de colère du président, mais cette incohérence le rendait fou, lui qui était chargé de la ligne politique de la Maison-Blanche.
Tout cela aussi ce n’est cependant pas nouveau. Plus novateur est le fait que le président se couche tous les soirs à 18h30. Qu’il se nourrit d’un hamburger et a fait installer pas moins de trois postes de télévision supplémentaires. Et qu’il les regarde en téléphonant à ses amis. Peu connu, peut-être, mais est-ce relevant pour autant ?
Plus révélateur, sans pour autant être d’une grande nouveauté, est le fait qu’il se moque de ses collaborateurs et même de ses propres enfants devant témoin, qu’il s’appuie en permanence sur des évaluations réalisées par ces mêmes collaborateurs et qu’il attend d’être flatté tout en se méfiant des flatteurs.
Ce qui est plus surprenant, par contre, c’est que ses collaborateurs et même ses enfants se moquent aussi de lui, voire l’insultent. Wolff a établi toute une série de termes peu flatteurs qui étaient utilisés pour le désigner.
Pour Steve Mnuchin et Reince Priebus il est un idiot , pour Gary Cohn « dumb as shit » (aussi crétin que la merde) . Pour H.R. McMaster c’est une chouette.
Toutes les personnes citées, et même tout l’entourage de Trump, estiment qu’il n’a pas les capacités mentales pour une telle fonction. En citant Bannon comme source l’auteur va même plus loin et dit que ses capacités ont même régressé depuis qu’il est président, car il ne reconnait pas certains vieux amis lorsqu’il se rend à son club Mar-o-Lago.
Cette partie du livre fait d’ailleurs trémousser de joie les opposants de Trump. Car c’est un élément qui peut être utilisé pour le destituer.
Néanmoins, plus intéressante et plus plausible, est l’affirmation de Bannon que c’est les affaires d’argent noir de la famille Kushner qui pourrait faire tomber Trump. Le beau-fils de Trumps, Jared Kushner, s’est lourdement endetté pour acheter un immeuble à Manhattan et il ne serait resté à flot que grâce à de l’argent russe blanchi par la Deutsche Bank. Des fonds que le conseiller spécial Robert Mueller tenterait aujourd’hui d’exposer dans le cadre de l’enquête sur l’ingérence russe dans la politique américaine.
Est-ce un bon livre ?
Tout dépend de la crédibilité qu’on veut bien lui accorder. Si ce qu’il raconte est proche de la vérité, ce livre est déconcertant. Par exemple ce que dit l’ancien chef d’état-major adjoint Katie Walsh. Travailler avec Trump, dit-elle, « c’est comme essayer de comprendre ce que veut un enfant ». Et l’indécision et l’immobilité ne sont pas limitées au président. Elle a interrogé Jared Kushner pour connaître les trois objectifs principaux de la Maison-Blanche. Il n’avait pas de réponse, mais pensait que c’était une bonne question. Walsh nie ces propos, Wolff dit qu’il a des enregistrements.
Les relations entre les différents protagonistes, les manoeuvres pour obtenir faveur et discrédit font penser à l’empereur de Ryszard Kapuscinski.
Le livre est aussi par moment très drôle. En août Anthony Scaramucci (alias The Mooch) a été pour quelques jours le responsable de la communication du président. Mais il ne tiendra que 11 jours. Il devra démissionner suite à une sortie virulente et enregistrée envers un journaliste du The New Yorker. Il a notamment dit « je ne suis pas Steve Bannon, je n’essaye pas de sucer ma propre bitte » sic.
Si l’anecdote est fausse, elle est, comme le reste du livre, particulièrement bien trouvée. Si ce n’est pas un chef-d’oeuvre, l’ouvrage est à tout du moins divertissant et agréable à lire.
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