Herman Matthijs
« Que ce soit Clinton ou Trump, il y aura de toute façon un changement de décor pour l’Europe »
Le professeur Herman Matthijs (Université de Gand et VUB) donne un cours sur les États-Unis dans les deux universités. « Quelle que ce soit la personne qui dirige le nouveau gouvernement, Washington adoptera une position différente sur le libre-échange et la défense européenne », écrit-il.
Cette campagne présidentielle américaine n’a pas vraiment tourné autour du contenu d’un programme. Le moins que l’on puisse dire, c’est que cette course à la Maison-Blanche était plutôt un soap semblable à la série télévisée « Amour, Gloire et Beauté ». On a parlé du financement de « fondations », d’affaires de femmes de Bill Clinton et Donald Trump, les e-mails d’Hillary Clinton… et puis l’intervention finale inattendue du FBI. Il ne fait aucun doute que cette campagne 2016 fera l’objet de plusieurs épisodes de « House of Cards ».
Les candidats
Si Clinton s’est assurée de la nomination démocrate, elle a dû régler son compte à un adversaire coriace : Bernie Sanders. Pourtant, c’est Trump qui a créé la surprise, en remportant la nomination républicaine sans crier gare. L’estabishment des deux partis éprouve beaucoup de mal à cerner les souhaits des membres du parti.
Clinton est le produit politique de l’establishment de Washington et doit surtout espérer qu’un maximum d’Américains aille voter. Cependant, elle n’est pas la femme politique la plus populaire du pays. Pour elle, il est primordial que les électeurs de Sanders la soutiennent et qu’elle arrive à persuader 9 Afro-Américains sur 10, tout comme Obama. Une fuite électorale des électeurs vers le parti libertarien (Gary Johnson) ou les verts (Jill Stein) peut lui être fatale. En cas de défaite, ce sera la fin du pouvoir Clinton au sein du parti et les démocrates pourront se préparer à un grand nettoyage.
Trump compte sur les électeurs blancs et les nombreux insatisfaits. Il doit faire en sorte de réaliser un meilleur score que Mitt Romney en 2012 (206 Grands Électeurs sur 538), car alors il subira moins de reproches. Par rapport à Clinton, Trump a politiquement moins à craindre de cette élection, car en ce moment son emprise sur le parti républicain et sa position de pouvoir politique ne représentent pas grand-chose.
Swing states
Le système présidentiel électoral américain provient d’un héritage historique confédéral. Les états déterminent le choix via les Grands Électeurs. Les candidats n’ont aucun intérêt à remporter le plus grand nombre de voix au niveau national ou à gagner dans la majorité des états. La seule chose qui compte, c’est de remporter au moins 270 Grands Électeurs sur 538. Ce seront surtout les 10 ‘swing states’ sur 12 (les plus combattus) qui détermineront qui gagnera. Au sein de ce groupe, c’est la Floride (29 Grands Électeurs) qui est la plus importante. Une victoire dans l’État du Soleil ouvre une voie royale vers la Maison-Blanche.
Les sondages
Les sondages ne révèlent pas vraiment de résultats crédibles. Ce sont des mouvements yoyo, liés aux informations. Et ces derniers mois, les sondages se sont déjà trompés partout – pensez au Brexit, à l’accord de paix en Colombie et le week-end dernier aux élections parlementaires en Islande. Pour le dire avec une boutade : le seul véritable sondage reste le résultat de l’élection.
Effectivement, les toutes dernières élections fédérales étaient celles du Congrès et une partie des états de novembre 2014. Il y a deux ans, les républicains ont renforcé la majorité dans la Chambre des représentants des États-Unis (247 sur 435) et ils ont remporté la majorité au Sénat (54 sur 100). Ce dernier baromètre indique une majorité en faveur de Trump.
L’Europe
Il va de soi que l’élection du 45e président des États-Unis d’Amérique entraînera un changement de décor pour l’Europe. Quelle que soit la personne qui dirige l’administration fédérale américaine, Washington adoptera une position différente sur le libre-échange et la défense européenne. Premièrement, la grande époque du libre-échange mondial est révolue. Trump est contre ce genre d’accords et Clinton – mise sous pression par Sanders – a adapté sa position sur ce sujet. En plus, l’Europe devra investir davantage dans sa Défense, car le temps où les contribuables américains payaient la défense européenne est passé. Troisièmement, il faut voir ce que la Banque centrale des États-Unis (FED) fera du taux d’intérêt. Une hausse serait logique pour la FED, mais ne serait pas une bonne nouvelle pour la zone euro. Néanmoins, le prochain président devra combler un déficit budgétaire de 3% et tenter de baisser une dette publique de 104% du PIB.
Un chef d’État impuissant
Ce n’est pas parce qu’on remporte les élections présidentielles, que tout le pouvoir politique se concentre dans la Maison-Blanche. Un président ne peut réaliser quelque chose que si une majorité du Congrès est d’accord de soutenir sa politique, car si Hillary devient présidente et que le Congrès est républicain, elle ne pourra pas faire bouger les choses. En plus, si c’est pour contrer Clinton, la division au sein des républicains à propos de Trump tournera à une unité sans précédent. Si la majorité reste républicaine au Congrès, ils ne manqueront pas de lancer une procédure d’impeachment au sujet des e-mails d’Hillary. Le dernier président à avoir subi une telle procédure s’appelle… Bill Clinton.
Et si Trump l’emporte, il doit également pouvoir diriger avec un Congrès républicain. Mais ici se pose une question supplémentaire : comment sera sa relation avec un parti républicain à ce point divisé ?
Conclusion
Le choix des électeurs américains en faveur d’un 45e président et d’un 48e vice-président le 8 novembre prochain n’est pas uniquement important pour les États-Unis, mais aussi pour le reste du monde, car jusqu’à nouvel ordre c’est Pennsylvania Avenue et Wall Street qui déterminent en grande partie le cap économique, monétaire, militaire et politique du reste du monde.
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici