Carte blanche
Précisions de la Cour de Justice de l’Union européenne sur le voile dans l’entreprise
L’arrêt va intéresser nombre de manager du fait religieux au sein de l’entreprise. Il est d’autant plus fondamental que la Cour de cassation française a elle-même saisi la Cour de justice de l’Union sur le fondement d’une question préjudicielle portant sur la question de savoir si un client pouvait demander à ce qu’un prestataire de services demande à son salarié de ne pas porter le voile lorsqu’il exerce une mission au sein de l’entreprise dudit client.
Des sollicitations répétées de la CJUE
Pour rappel, cette affaire concernait une salariée, ingénieur, qui avait été autorisée par son employeur a porté le voile, mais le prestataire chez qui elle exerçait certaines missions y était opposé (Cass. Soc. 9 avr. 2015, FS-P+B+I, n° 13-19.855). L’affaire est toujours en cours d’instruction devant la Cour de Justice. Toutefois, une autre affaire vient d’être jugée, qui rappelle de plein fouet la jurisprudence Baby Loup de l’Assemblée Plénière de la Cour de cassation française.
Une salariée en Belgique fut licenciée de son entreprise de sécurité, aux motifs qu’elle portait le voile. La Cour de Justice fut saisie sur question préjudicielle de la Cour de cassation belge. Elle posait la question du licenciement fondé sur des motifs religieux. L’avocat général de la Cour de répondre :
« L’interdiction du port du voile peut être admissible dans les entreprises, si elle est basée sur un règlement général qui interdit le port ostensible de symboles religieux, philosophiques et politiques sur le lieu de travail. Une telle interdiction est justifiée si elle permet à l’employeur d’assurer le respect de la politique de neutralité religieuse et idéologique ».
En conséquence, la Cour semble consacrer la notion d’entreprise de tendance. Si l’entreprise revendique, dans son règlement général, une prohibition de tout signe religieux ostentatoire, ce règlement devra être appliqué. Il conviendra toutefois d’apprécier la teneur et la précision du règlement qui ne devra pas opérer de discrimination entre les religions concernées.
Car la tentation est en effet grande de ne se concentrer que sur le voile qui fait particulièrement débat dans deux pays d’Europe : la France et la Belgique. La rédaction du règlement est en conséquence une étape cruciale qui ne doit pas aboutir à une infraction pénale de la part de l’employeur.
Vers une multiplication des discriminations ?
Une telle décision va pousser une série d’entreprises à adopter des mesures particulières dans leurs règlements intérieurs. Il faudra bien veiller à ne pas commettre une discrimination, directe ou indirecte, dans le règlement, mais également à se rapprocher de structures qui se sont spécialisées dans la gestion du fait religieux.
Surtout, et comment, gérer des personnes dont le signe religieux fait partie intégrante de leur identité (une musulmane, un juif ou encore un sikh pouvant très bien le considérer ainsi) ?
Car l’interdiction, bien qu’elle soit autorisée, ne demeure qu’une option. Si les employeurs voient que leurs entreprises n’en nécessitent pas une, ils peuvent toujours suivre la recommandation papale : si une femme musulmane souhaite porter le voile, elle doit pouvoir le faire !
Asif ARIF, Avocat au Barreau de Paris, Enseignant en Libertés Publiques, Directeur de la collection religions & laïcités aux éditions l’Harmattan. Auteur d’un livre 50 Fiches pour comprendre la laïcité : édition Bréal à paraître.
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