Les 5 hypothèques sur le pouvoir de Benjamin Netanyahou: peut-il y résister?
Le plan de cessez-le-feu de Joe Biden met le Premier ministre israélien dans l’obligation de choisir entre ses partenaires du centre et d’extrême droite. Au risque de perdre le pouvoir.
Le plan pour un cessez-le-feu et la libération des otages, présenté le 31 mai par le président américain Joe Biden, a relancé l’espoir d’un apaisement des souffrances de milliers de Palestiniens soumis aux bombardements et aux opérations terrestres de Tsahal et de celles de dizaines d’Israéliens détenus depuis le massacre et le kidnapping du 7 octobre 2023. Il ne lève cependant pas plusieurs hypothèques de nature à perpétuer les combats au cours de sa deuxième phase annoncée.
Une trêve de six semaines, le retrait de Tsahal de zones densément peuplées, la sortie des geôles israéliennes de centaines de prisonniers palestiniens, l’acheminement d’une aide humanitaire importante en contrepartie de la libération des captifs parmi les plus vulnérables détenus à Gaza: tels seraient les paramètres de la première phase de l’accord. La deuxième prévoirait l’élargissement à tous les otages contre le retrait total de l’armée israélienne du territoire palestinien. Au cours d’une troisième phase, un plan de reconstruction serait mis en œuvre.
Dans l’entendement américain, le plan impliquerait une cessation définitive des affrontements, une perspective inenvisageable par les Israéliens sans satisfaction de leur principal objectif de guerre, l’éradication du Hamas. Mais il est difficile d’envisager que le groupe palestinien apporte son blanc-seing à un plan qui signifierait sa destruction. Le projet vaut donc surtout pour la réalisation de sa première séquence. Mais même celle-là suscite des débats, plus au sein du pouvoir israélien qu’au Hamas, qui a jugé «positive» l’initiative américaine. Elle met, à vrai dire, Benjamin Netanyahou au pied du mur, perspective qu’il a toujours essayé de repousser. Cédera-t-il à ses alliés d’extrême droite ou s’en écartera-t-il pour rallier des partenaires centristes? Revue des questions que pose ce moment peut-être crucial dans la conduite de la guerre à Gaza en compagnie d’Alain Dieckhoff, directeur du Centre de recherches internationales (Ceri) à Sciences Po Paris, et auteur de Israël-Palestine. Une guerre sans fin? (Armand Colin, 2022)
1. La pression américaine à son paroxysme?
«Elle suit une gradation. Il y a quelques semaines, la suspension de la livraison de certaines bombes a été annoncée. C’était un signe, même timide. Aujourd’hui, c’est plus net, analyse Alain Dieckhoff. Dans son intervention du 31 mai, Joe Biden a été assez clair. De son point de vue, il y a désormais un plan sérieux. Un plan sur lequel il s’était certainement accordé avec Netanyahou, même si, par la suite, celui-ci a semblé revenir en arrière en raison de la position de certains membres de sa coalition. Mais Joe Biden a annoncé la couleur: ce plan permettra de mettre fin à l’épisode guerrier que l’on vit depuis huit mois avec un Hamas qui, à l’évidence, sera diminué. C’est le plan le plus idoine pour le moment.»
Le questionnement du côté israélien s’explique aussi par le mode de fonctionnement du Premier ministre Netanyahou depuis le début de la guerre. «Il est évident qu’il fait beaucoup de choses tout seul. Ensuite, il y a le cabinet de guerre. Et puis, le gouvernement. Il existe différents niveaux de pouvoir. Le gouvernement n’a pas été consulté dans cette affaire. Les ministres les plus extrémistes ont été mis devant le fait accompli.»
2. Le gouvernement Netanyahou en sursis?
Le Premier israélien est exposé à deux menaces. Celle de ses ministres d’extrême droite: Itamar Ben-Gvir, en charge de la Sécurité nationale, et Bezalel Smotrich, à la tête des Finances et ministre délégué à la Défense, ont prévenu qu’ils quitteraient la coalition si Netanyahou approuvait l’accord. Et celle de son allié centriste: Benny Gantz, ministre sans portefeuille dans le cabinet de guerre et chef du Parti de l’unité nationale, envisage de déposer un projet de loi de dissolution de la Knesset.
«Benjamin Netanyahou est pris dans des injonctions contradictoires, décrypte Alain Dieckhoff. Itamar Ben-Gvir et Bezalel Smotrich veulent continuer la guerre coûte que coûte. Benny Gantz pense qu’il est temps de sortir de cette conflictualité violente qui, finalement, n’offre aucune porte de sortie politique. Lui et Yoav Gallant, le ministre de la Défense, déclarent depuis quelques semaines qu’il faut penser au jour d’après. Ce qui implique, d’une façon ou d’une autre, qu’un cessez-le-feu intervienne. Mon sentiment est que l’heure du choix arrivera bientôt pour Netanyahou.»
3. Un gouvernement remodelé?
Entre le départ des partis d’extrême droite du gouvernement et des élections qui aboutiraient à la chute de Benjamin Netanyahou, il y a une solution transitoire, que pourraient justifier l’exécution de l’accord de cessez-le-feu et, après, la conduite de la guerre. Yaïr Lapid, le chef de Yesh Atid (Il y a un futur), le principal parti d’opposition à la Knesset, s’est dit prêt à suppléer le départ des formations Force juive et Sionisme religieux, d’Itamar Ben-Gvir et Bezalel Smotrich. «L’élimination du Hamas peut attendre, pas les otages», a plaidé le dirigeant centriste.
Dans le même temps, les dirigeants de deux partis religieux, composantes du gouvernement, le Judaïsme unifié de la Torah et Shas, ont déclaré approuver le feu vert que donnerait Benjamin Netanyahou à l’application du plan américain. Fort de ce socle et de l’apport des 24 députés de Yesh Atid, le Premier ministre conserverait une majorité au Parlement. Si, toutefois, il parvient à convaincre l’ensemble de ses parlementaires du Likoud de se rallier à sa position. La question est en effet tellement sensible qu’elle divise, y compris à l’intérieur des partis. L’installation d’un nouveau gouvernement Netanyahou d’urgence n’est donc pas certaine.
«L’alternative à Netanyahou ne pourra apparaître que s’il y a des élections.»
4. Une alternative à Netanyahou?
Le plan de Joe Biden scellera-t-il finalement le sort de Benjamin Netanyhou? Encore faudrait-il qu’une alternative existe. «Elle ne pourra apparaître que s’il y a des élections. C’est peut-être aussi une des raisons pour lesquelles, au cours des dernières semaines en particulier, Benjamin Netanyahou a traîné des pieds, souligne Alain Dieckhoff. Pour lui, les élections sont à hauts risques, d’un point de vue purement politique, parce qu’il s’exposerait à être sanctionné d’une façon ou d’une autre, et à l’aune des procès qui lui pendent au nez. Il a moins intérêt à des élections que l’opposition, mais aussi que Benny Gantz.»
Le traumatisme du 7-Octobre et la guerre dans la bande de Gaza ont développé naturellement l’esprit d’unité nationale et fait taire les divergences politiques. Mais plus le conflit dure, voire s’enlise, plus les interrogations surgissent sur les buts de guerre. Elles se traduisent par un retour du débat politique et par la possibilité d’une reconfiguration. Dans celle-ci, se dessine potentiellement une alternative au centre et à gauche de l’échiquier. Elle s’exprime notamment par l’élection à la tête du Parti travailliste de Yaïr Golan, ancien chef d’état-major adjoint de l’armée israélienne et héros du 7-Octobre pour avoir sauvé nombre de rescapés du massacre du Hamas. Le Parti travailliste est devenu quasi confidentiel, ne disposant plus que de quatre députés à la Knesset. Mais son prestige et celui de son nouveau leader sont grands.
«Les sondages, qu’il faut toujours prendre avec précaution, semblent donner un crédit à une voie un peu plus modérée. Mais il est difficile d’en parler tant que l’on ne sait pas quand auraient lieu ces élections, estime Alain Dieckhoff. Ce qui est sûr, c’est que Yaïr Golan n’a pas fait mystère de sa volonté de réunifier la gauche, en particulier avec le parti Meretz, qui n’a pas eu de représentant à la Knesset lors des dernières élections. Ce camp, très faible, représente la gauche classique. Yaïr Lapid et Benny Gantz se situent au centre, plus à gauche pour le premier, plus à droite pour le second. La réunion de ces tendances pourrait dessiner une alternative aux partis actuellement au pouvoir. Mais cela dépend du timing.»
5. Finir la guerre sans éradiquer le Hamas?
Les actuels et futurs dirigeants israéliens peuvent-ils imaginer mettre un terme au conflit sans avoir mis complètement hors d’état de nuire le Hamas, une volonté exprimée par une majorité d’Israéliens? La question dépend peut-être de ce qu’on entend par «élimination du Hamas». Pour appuyer son plan, Joe Biden a expliqué que le groupe islamiste palestinien n’avait d’ores et déjà plus la capacité de perpétrer un massacre comme celui du 7 octobre dernier.
«Je pense que cet objectif était illusoire. De ce point de vue, Joe Biden a raison, souligne l’expert de Science Po. Le Hamas est diminué, cela ne fait pas l’ombre d’un doute. Mais disparu complètement, non. Les Israéliens ont été obligés de le reconnaître eux-mêmes. Ils avaient présenté l’offensive militaire dans le sud autour de Rafah comme la dernière phase après les combats dans le nord. Sauf qu’ils ont dû partiellement réinvestir le nord, dans certains endroits autour de la ville de Gaza, où des combattants étaient de nouveau présents. Ces développements montrent bien qu’il est illusoire d’imaginer mettre complètement hors d’état de nuire le Hamas.» Cette conviction de plus en plus répandue ne devrait cependant pas empêcher d’envisager une alternative au Hamas dans la bande de Gaza. Une dimension qui fait aussi défaut dans le plan américain.
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