Hervé Hasquin
Poutine et Orban. Des Siamois? (carte blanche)
L’académicien Hervé Hasquin recense les nombreuses ressemblances troublantes entre les chefs d’Etat russe et hongrois. Exaltation des valeurs chrétiennes et nationalisme exacerbé.
La ressemblance physique laisse à désirer. Les origines sont assez dissemblables. A priori rien ne prédispose Vladimir Poutine – il aura 69 ans le 7 octobre – et Victor Orban – il a eu 58 ans le 31 mai – à partager le goût des valeurs conservatrices.
Le Russe, polyglotte – il maîtrise parfaitement l’allemand et un peu moins l’anglais – a fait carrière au KGB. Enfant, il a été secrètement baptisé. Cela aurait pu valoir les pires châtiments à ses parents dans l’URSS de l’époque. Le jeune adulte – il est juriste – fait ses classes dans les services de sécurité à Léningrad. Puis à Moscou. Spécialité: espionnage. Major, il officie à Dresde en République démocratique allemande. Retour à Léningrad après la chute du Mur de Berlin. Il joue un rôle important en qualité de « conseiller pour les affaires extérieures » dans la nouvelle Saint-Pétersbourg. Cynisme. Efficacité. Sens poussé des affaires … Voilà ses marques de fabrique. Il est recommandé à Boris Eltsine en 1996. Il devient l’homme-clef de la présidence. Le 31 décembre 1999, Eltsine lui passe le témoin. Le voilà président de la Fédération de Russie! Une ascension fulgurante! Le Hongrois suit une trajectoire aussi rapide. Juriste également. Il combat le régime communiste. En 1989, il part en stage de spécialisation à Oxford. Son mécène? La Fondation Soros! Du nom de ce milliardaire américain, d’origine hongroise. Un chantre des droits de l’homme et de la démocratie qu’il déteste aujourd’hui. Orban, de culture protestante, mais sa femme est catholique, est élu député en 1990 dès les premières élections démocratiques. Un champion du libéralisme. N’est-il pas propulsé en 1992 à la vice-présidence de l’Internationale libérale? 1998. Il accède une première fois au poste de premier ministre. Il a 35 ans. Après une éclipse de huit ans, il redevient premier ministre en 2010. Mais, idéologiquement, un basculement s’est opéré. Désormais christianiste, ou national-chrétien, il est l’avocat de l’illibéralisme!
Voilà deux chefs d’Etat à l’idéologie proche. Nationalisme et valeurs chrétiennes constituent leur socle idéologique. Une nostalgie indiscutable du passé. De la grandeur.
Poutine n’hésite pas à regretter l’éclatement, la désintégration de l’URSS. Il y a d’abord les symboles. En 2000, l’Hymne national russe reprend la musique de l’Hymne de l’Union soviétique – passé à la trappe en 1991 -, avec toutefois de nouvelles paroles. Et puis, il y a les revendications territoriales avouées. Main basse sur la Crimée en 2014. Soutien aux séparatistes ukrainiens dans la guerre du Donbass à l’Est. Contrôle de plus en plus strict sur la Biélorussie. La Russie soutient les sécessions de l’Abkhazie et de l’Ossétie du Sud. De facto, le territoire de la Georgie, d’où Staline était originaire, est amputé de 20 %!
Bien qu’on ne puisse comparer les étendues dans l’histoire tant elles étaient disproportionnées, la Hongrie n’a toujours pas digéré sa terrible amputation de 1920. Le traité de Trianon lui a fait perdre les 2/3 de ses territoires. Des millions de Hongrois se sont retrouvés au-delà des nouvelles frontières. De quoi entretenir les feux nationalistes. Périodiquement, Budapest est parcourue par des cortèges extrémistes qui réclament l’abolition du Traité. En 2011, Orban a fait fort. Il a accordé la nationalité aux Hongrois dispersés dans les pays voisins. La Roumanie. La Slovaquie. Mais aussi l’Ukraine … En 2017, la tension est devenue extrême en Subcarpatie où vivent environ 150 000 Hongrois de souche … Et l’Ukraine refuse la double nationalité …
L’inimitié partagée à l’égard de Kiev n’est qu’un aspect des affinités des deux Chefs. L’exaltation des valeurs chrétiennes est un autre point commun essentiel.
Chaque Eglise orthodoxe est autocéphale. Nationale. Etroitement liée, ou soumise, selon les circonstances, au pouvoir politique. La rancoeur de Moscou à l’égard de Kiev est d’autant plus grande que depuis 2018, l’Eglise d’Ukraine a été reconnue autocéphale. Soustraite donc à l’influence de Moscou. Avec la bénédiction du patriarche de Constantinople!
Les Eglises orthodoxes? Un terreau de nationalisme échevelé. Malmenée, spoliée, humiliée par le communisme, elle a retrouvé tout son lustre avec Poutine. Depuis 20 ans, il reconstruit des centaines d’édifices religieux détruits par les Soviets. Le patriarche de Moscou a un solide allié. Et ce dernier profite au maximum de l’influence exercée par l’orthodoxie sur des populations restées très attachées aux traditions en dépit des interdits et vexations communistes. Et donc un « ticket » redoutable maintient cet immense pays sous sa coupe.
Orban n’est pas un affidé du pape. Il transcende les nuances du christianisme. Il évoque sans cesse les racines chrétiennes d’un pays considéré dès le Moyen Age comme le bouclier de la Chrétienté face à l’Islam. Depuis son retour au pouvoir, il a imprégné la Constitution de 2011 de son idéologie nationale – chrétienne et conservatrice. Dérive autoritaire. « Vertu unificatrice de la chrétienté pour notre nation ». Le mariage est « union de vie entre un homme et une femme ». Protection de la vie dès la conception. Différence avec la Constitution précédente : elle supprime l’interdiction de discrimination selon l’orientation sexuelle. Avec quelques années de retard, Poutine suit un chemin analogue dans la nouvelle Constitution de 2020. Mention de « la foi en Dieu » de la population russe. Interdiction du mariage homosexuel. Enseignement patriotique à l’école. Interdiction de dénigrer « les défenseurs de la patrie »…
Les deux compères se sont déjà rencontrés au moins une dizaine de fois depuis qu’ils sont au pouvoir. Poutine a besoin d’une Hongrie rebelle au sein de l’Union européenne. Rien de tel pour perturber ce géant économique, dominé militairement par l’OTAN. Dans le même temps, la dépendance énergétique de la Hongrie à l’égard de la Russie est devenue colossale … Et la Hongrie reste traversée par les craintes formulées déjà vers 2000. Oui à l’OTAN. Réserve et prudence quant à l’insertion dans l’Union européenne. Une crainte avouée déjà à l’époque. Se retrouver dans un nouvel ensemble susceptible de brider les initiatives nationales. L’UE comparée à l’ancien Comecon, le Conseil d’assistance économique mutuelle de l’ère soviétique … !
Les chars russes ravagent Budapest en 1956. Ce n’est plus qu’un lointain souvenir. En revanche, on est à l’heure d’un retour en force du militantisme politico-religieux en Europe orientale. Encore un mot. Le film Benedetta qui évoque les amours de deux religieuses lesbiennes, vient d’être interdit par la censure russe. Il ne faut pas choquer les croyants!
Hervé Hasquin
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