Poutine

« Poutine est devenu un serial killer »

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

«Les attaques meurtrières contre des objectifs civils ne peuvent que marginaliser un peu plus Vladimir Poutine, devenu un serial killer», estime l’ancien officier français Guillaume Ancel.

Ancien officier, écrivain connu pour ses livres questionnant le rôle de la France au Rwanda et auteur du blog Ne pas subir, Guillaume Ancel commente l’état de l’armée russe et l’évolution du conflit au regard de la contre-offensive ukrainienne, de l’attaque du pont de Kertch le 8 octobre et des représailles russes sur l’ensemble de l’Ukraine deux jours plus tard.

Après les percées des Ukrainiens sur les fronts est et sud depuis début septembre, certains observateurs ont évoqué un possible effondrement de l’armée russe. Partagez-vous cette analyse?

Je pense que l’on peut parler de signes de faillite de l’armée russe. Pour plusieurs raisons. Elle a été très médiocre sur le plan tactique. L’ invasion de Kiev s’est terminée en déculottée. Dans le Donbass, elle a consacré d’énormes moyens, au moins deux mille canons, massacré des villes entières, dont Marioupol, et finalement, elle n’a réussi qu’à très peu avancer face à la résistance ukrainienne. Depuis cet été, les offensives ukrainiennes prennent largement le dessus. Pourquoi? La formation des soldats russes est mauvaise. Leur commandement est d’une rare médiocrité. Leur équipement est incroyablement dépassé alors que l’on croyait, sur la base de ses rodomontades, que Vladimir Poutine avait modernisé l’armée. En réalité, on voit plutôt des équipements de l’époque soviétique, hormis quelques armes particulières. Surtout, l’armée russe a montré son incapacité en matière de renseignement et de tactique. Sur le plan tactique, les Russes opèrent encore selon des manœuvres dignes du rouleau compresseur de l’armée soviétique. Ils ne savent plus manœuvrer. En matière de renseignement, ils n’ont même pas vu venir la deuxième contre-offensive des Ukrainiens, lancée début septembre dans la région de Kharkiv. Ils sont complètement dépassés. Le front russe est un bloc de glace figé. Actuellement, les Ukrainiens le fissurent. A un moment donné, la glace partira en débâcle. On voit sur le front tous les signes avant-coureurs d’un effondrement. Le seul endroit où il reste des unités russes qui tiennent, c’est dans la région de Kherson. Là, les Ukrainiens continuent à avancer mais ils enregistrent des pertes importantes. Aujourd’hui, globalement, l’essentiel de l’armée russe a été abîmé, voire détruit, dans une guerre totalement inutile contre l’Ukraine.

Le front russe est un bloc de glace, complètement figé. Actuellement, les Ukrainiens le fissurent.

L’ échec militaire russe est-il aussi dû à un manque d’initiative de la part des unités parce que leur commandement est habitué à attendre tout de la hiérarchie?

Effectivement, tout est centralisé. Si elles n’ont pas d’ordre de leur commandement suprême, les unités sont incapables de manœuvrer alors qu’aujourd’hui, toutes les armées modernes apprennent à opérer de manière déconcentrée, ce que les Occidentaux ont d’ailleurs appris aux Ukrainiens. Globalement, l’armée russe manque de professionnels. Elle emploie beaucoup de contractuels. Surtout des gens mal formés. A l’époque soviétique, l’armée était critiquable mais les soldats bénéficiaient d’un encadrement militaire relativement instruit et de bon niveau. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. La réalité, c’est une armée de va-nu-pieds davantage capables de commettre des exactions contre des civils que de se battre contre les Ukrainiens. L’ armée russe est dans un état de délabrement avancé qui a étonné tous les experts militaires du monde tellement on avait surestimé sa capacité au vu de ses démonstrations en Tchétchénie et en Syrie.

L’armée russe connaît des problèmes de commandement qui entravent la souplesse de manœuvre de ses unités sur le terrain, selon Guillaume Ancel.
L’armée russe connaît des problèmes de commandement qui entravent la souplesse de manœuvre de ses unités sur le terrain, selon Guillaume Ancel. © reuters

Les lacunes russes ne sont-elles pas aussi rendues plus criantes par l’efficacité des Ukrainiens?

Ils se sont montrés très forts tactiquement. Ils disposent de dix fois moins d’artillerie que les Russes. Ils tirent dix fois moins qu’eux. Mais comme ils ont un service de renseignement remarquable, bien aidé par les Occidentaux, ils font davantage mouche, et sur des cibles à haute valeur ajoutée, des postes de commandement, des dépôts logistiques, des équipements… Ils tirent à bon escient et pas dans tous les sens, à l’inverse de ce que font les Russes, notamment sur des bâtiments civils qui n’ont aucun intérêt militaire. Il faut se souvenir d’une chose importante qui montre bien la différence de culture entre Russes et Ukrainiens. Vladimir Poutine n’a aucune culture militaire et pourtant, il donne des ordres directs à son armée, comme Hitler. Il la met très souvent dans des impasses. Prenez le siège récent de Lyman. Il ordonne à cinq mille soldats russes de rester dans la ville alors qu’il n’y a aucune issue. Les soldats s’enfuient tout seuls. Volodymyr Zelensky, lui, a compris qu’il n’avait pas les connaissances militaires lui permettant de conduire les opérations. Il s’occupe de mener la guerre globale et il laisse au commandant en chef des forces armées, le général Valeri Zaloujny, et aux militaires le soin de faire la guerre. Aujourd’hui, les conseillers militaires de Vladimir Poutine sont essentiellement des gens issus du FSB, l’ancien KGB, comme lui. Ils n’ont pas de culture militaire et enchaînent les erreurs.

L’ arrivée des réservistes appelés dans le cadre de la «mobilisation partielle» peut-elle changer le cours de la guerre?

L’ acheminement de soldats mobilisés dans un total désordre et qui n’ont aucune envie d’aller se battre en Ukraine pour la «guerre de Poutine» ne fera qu’ajouter de la débandade à la débandade.

Quelle conséquence peut avoir l’attaque du pont de Kertch?

C’est une attaque très importante parce que, dans l’esprit des Russes, cet ouvrage, qui a coûté trois milliards d’euros, est une œuvre magistrale du président Poutine. En plus, elle a été perpétrée au lendemain de son anniversaire. Le pont était une cible stratégique pour les Ukrainiens car il sert de cordon ombilical entre la péninsule de Crimée et la Russie. Il existe des routes de contournement qui passent par l’Ukraine occupée. Mais elles sont précaires parce qu’elles sont à portée des armes ukrainiennes. La seule porte d’entrée ouverte de la Russie sur la Crimée est ce pont. Qu’il soit attaqué est un échec terrible pour Vladimir Poutine. C’est clairement une attaque militaire. Ce n’est pas un attentat de quelques révoltés ukrainiens ou russes.

Vladimir Poutine n’a aucune culture militaire, et pourtant, il donne des ordres directs à son armée, comme Hitler.» – Guillaume Ancel, ancien officier français, écrivain et auteur du blog Ne pas subir.

Les représailles menées le 10 octobre sur plusieurs villes ukrainiennes ne démontrent-elles pas qu’il y a deux armées russes, une armée de terre à la peine et une «armée de missiles» qui peut fragiliser l’Ukraine?

Les tirs contre les villes ukrainiennes ont été opérés par toutes les armées: air, terre et mer. Ils montrent surtout que Vladimir Poutine a un pouvoir de nuisance important – ces missiles ont une capacité nucléaire – mais qu’il n’a plus de moyens pour gagner la guerre sur le terrain. Car ces frappes n’ont absolument aucun impact sur le front. Par contre, cette vague d’attaques meurtrières contre des objectifs civils ne peut que marginaliser un peu plus le président russe Vladimir Poutine, devenu un serial killer.

Le nouveau commandement de «l’opération militaire spéciale», confié au général Sergueï Sourovikine, peut-il avoir une incidence sur la conduite de la guerre?

C’est à peu près le cinquième changement de commandant de cette «opération militaire spéciale». Cela situe surtout son échec total. Ce n’est pas en faisant valser les têtes des militaires que Moscou rétablira la situation. A mon sens, Vladimir Poutine a perdu la guerre sous son aspect militaire. Et sur la crise ukrainienne qu’il a déclenchée, il lui reste aujourd’hui très peu d’options. Mais s’il n’a plus d’option militaire, c’est inquiétant. Vladimir Poutine a toujours assis son pouvoir sur la terreur. S’il perd cette guerre, il perd la vie. Que fera-t-il jusqu’au dernier moment pour essayer de sauver son pouvoir et sa propre vie? La question a de quoi inquiéter. Mais, de toute façon, il précipiterait sa chute en utilisant des armes chimiques ou nucléaires puisque l’Otan et les Etats-Unis, en particulier, l’ont bien prévenu que s’il faisait cela contre les Ukrainiens, tout l’Otan réagirait.

Guillaume Ancel
Guillaume Ancel: « cette vague d’attaques meurtrières contre des objectifs civils ne peut que marginaliser un peu plus le président russe Vladimir Poutine, devenu un serial killer » © dr

Les Occidentaux doivent-ils préparer une voie de sortie «honorable» de la guerre à Poutine pour éviter le pire?

Il n’y a plus de voie de sortie «honorable» pour Poutine. Il a lui-même fermé toutes les options. La seule issue est que le régime l’élimine pour ne pas être emporté dans sa chute. Les critiques que l’on observe aujourd’hui auraient été impensables il y a moins d’un mois. Le fait que l’opinion publique, des journalistes, des hommes politiques, des soldats se révoltent contre cette situation impressionne. Mais ce ne sont pas eux qui peuvent renverser Poutine. Les seuls qui en ont la capacité sont les membres du service sécuritaire qui l’entourent et le protègent. Ils s’y résoudront quand ils estimeront que Vladimir Poutine les emmène à leur perte. Il n’y a pas d’autres possibilités quand il est question d’un homme qui s’est enfermé comme il l’a fait dans la violence politique.

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