Pourquoi l’ultradroite est de plus en plus menaçante en France
Exploitant tout acte de criminalité, elle répand plus volontiers son discours de haine dans l’espace public. Le contexte s’y prête.
Un jeune de 16 ans, Thomas, poignardé à mort, le 19 novembre, lors d’une rixe dans une fête de village à Crépol, entre Lyon, Valence et Grenoble ; un supporter du club de football de Nantes tué au cours d’un affrontement avec des coreligionnaires de Nice, le 2 décembre ; un touriste germano-philippin mortellement attaqué le même jour en plein cœur de Paris par un terroriste franco-iranien au nom de l’Etat islamique… La France vit à nouveau une période où les politiques, les débatteurs professionnels et les intellectuels s’interrogent sur «l’ensauvagement de la société».
L’ultradroite ne paraît pas, à l’heure actuelle, avoir les moyens de déstabiliser les institutions.
En 1998, le ministre de l’Intérieur, Jean-Pierre Chevènement, provoquait un tollé en qualifiant les jeunes délinquants multirécidivistes de «sauvageons». La formule apparaît légère, presque sympathique, aujourd’hui. L’ensauvagement consacre une réalité qui, par rapport à la fin du siècle dernier, se serait sensiblement aggravée au point de suggérer à certains l’irruption prochaine d’une guerre civile.
Démonstration de force
La nouveauté dans la séquence actuelle est la démonstration de force imposée par des mouvements de l’ultradroite violente après la mort de Thomas, ce joueur de rugby dont le tueur présumé est un jeune d’origine étrangère issu d’un quartier de la ville voisine de Romans-sur-Isère. Le 26 novembre, une centaine de ses membres s’y sont rassemblés cagoulés avec la volonté de mener, dans la cité concernée de La Monnaie, une action punitive contre les «sauvageons». La police a empêché l’affrontement direct. Mais certains y ont vu la confirmation de leur prédiction de l’émergence prochaine d’une guerre civile.
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Ce n’est pas l’amorce d’une guerre civile que consacre cet événement mais bien la visibilisation de plus en plus grande de la mouvance d’ultradroite dans l’espace public. Quels sont les ressorts qui permettent ce phénomène? Le rapport d’information sur l’activisme violent des députés Jérémie Iordanoff (Europe Ecologie Les Verts) et Eric Poulliat (Parti socialiste) publié le 15 novembre par l’Assemblée nationale en dresse la liste. Le contexte international né des attentats de 2015 en France et de la crise migratoire en Europe, la pandémie et le succès afférent des thèses conspirationnistes, l’action de plus en plus visible de l’ultragauche et les campagnes électorales avec une forte exposition de candidats d’extrême droite motivent, selon les auteurs, l’activisme croissant de l’ultradroite. «L’explication de cet essor [des violences] réside dans la perspective d’une possible victoire des idées portées ou soutenues par les activistes de l’ultradroite. Elle les conduit à penser qu’ils ne seront pas inquiétés pour leurs actions, un fois l’extrême droite au pouvoir, et alimente la violence afin de peser sur la future ligne politique», détaillent les rapporteurs.
Groupes de taille modeste
L’ampleur du mouvement doit cependant être évaluée pour ce qu’elle est. Les services de sécurité fixent à 3 300 le nombre de militants de cette mouvance, dont 1 300 considérés comme violents. A l’époque de la guerre d’Algérie, un nombre global de sept mille extrémistes de droite était recensé. Jérémie Iordanoff et Eric Poulliat indiquent en outre que l’ultradroite française se caractérise par «un éclatement en différents groupes, de taille relativement modeste» mais que «ces groupes sont généralement bien structurés». Une structure qu’ils peuvent dupliquer au gré des dissolutions, régulières, prononcées par le ministère de l’Intérieur. Après les incidents de Romans-sur-Isère, Gérald Darmanin en a annoncé de nouvelles, contre la Division Martel (en référence à Charles Martel, vainqueur des armées omeyyades en 732 à Poitiers), principalement active dans la région parisienne, et contre deux autres groupuscules non nommés. L’histoire récente fournit plusieurs exemples de dissolution (le Bastion social et le réseau Blood and Honour en 2019, Génération identitaire en 2021, Bordeaux nationaliste en 2023…) et de recréation sous un autre nom (Les Remparts de Lyon ou Argos, jeunesse identitaire sur les dépouilles de Génération identitaire…).
Historiquement anticommuniste et antisémite, l’ultradroite française affiche désormais l’immigration comme «point focal des violences» qu’elle commet, observe le rapport de l’Assemblée nationale française. Cela se traduit par des dégradations et profanations de mosquées, des attaques de centres d’accueil de demandeurs d’asile, des agressions contre des personnes et des manifestations à teneur violente au gré de l’actualité, comme à Romans-sur Isère… Contrairement au parti Reconquête d’Eric Zemmour, le Rassemblement national, toujours en quête de respectabilité, a condamné ces agissements. Pour autant, il ne coupe pas tous les liens qu’il entretient avec d’anciens membres de ces groupes extrémistes.
«L’ultradroite ne paraît pas, à l’heure actuelle, avoir les moyens de déstabiliser les institutions de la République et la société, ou encore de menacer l’Etat de droit», affirment Jérémie Iordanoff et Eric Poulliat. Il n’empêche que l’activisme dont elle fait montre avec de plus en plus de virulence a de quoi inquiéter.
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