ADIYAMAN (Turquie), 8 février (Xinhua) -- Photo aérienne prise le 8 février 2023 montre que des secouristes cherchent des survivants dans les décombres d'un bâtiment effondré dans le district de Besni dans la province d'Adiyaman, en Turquie. Le président turc Recep Tayyip Erdogan a déclaré mercredi lors de sa visite dans la région la plus touchée par les violents tremblements de terre que le nombre de morts dans son pays s'est établi à 8.574. (Xinhua/Mustafa Kaya)

Pourquoi l’Ukraine envoie des secouristes à la Turquie : « C’est nécessairement stratégique »

L’Ukraine a envoyé 87 secouristes à la Turquie pour venir en aide aux opérations de sauvetage après les séismes qui ont touché le pays et la Syrie. Pour Nicolas Gosset, chercheur à l’Institut royal supérieur de défense (IRSD), c’est une aide stratégique et nécessaire.

Malgré la guerre en Ukraine, le président Volodymyr Zelensky a envoyé des secouristes en Turquie, suite au séisme qui a fait plus de 16 000 morts. Ne se met-il pas ainsi en difficulté ?

Ces secouristes ne sont pas plus mobilisés en Ukraine aujourd’hui qu’il y a deux ou trois jours. Ce n’est pas un type de sauveteurs intéressant sur la ligne de front. S’ils sont envoyés en Turquie, c’est que l’Ukraine se sent en mesure de le faire. Ils mobilisent des forces de protection civiles qu’ils ne considèrent pas comme indispensables, pour le moment, au sauvetage de la population ukrainienne.

Les envoyer en Turquie, c’est surtout un acte politique. Zelensky veut témoigner de l’amitié de l’Ukraine à la Turquie. Pour ça, il faut poser un geste. Il essaye de maintenir la Turquie dans le camp des pays qui sont amicaux et peuvent lui être utiles. 

En quoi la Turquie est-elle utile à l’Ukraine ?

Les relations bilatérales entre l’Ukraine et la Turquie étaient déjà importantes avant la guerre. La Turquie est un partenaire important pour l’Ukraine : beaucoup de touristes ukrainiens se rendaient en Turquie avant le conflit… Et puis, la Turquie est omniprésente depuis le début de la guerre. Aujourd’hui, elle est la seule interlocutrice fonctionnelle entre la Russie et l’Ukraine. De fait : l’accord céréalier, c’est la Turquie qui en est à l’origine. Elle a joué un rôle indispensable de médiation pour les accords de prisonniers. Erdogan est le seul à avoir un pouvoir de médiation dans ce conflit, depuis le début. Il est indispensable pour Kiev de ne pas s’aliéner du seul pays qui peut potentiellement faire office de médiateur et, surtout, de faire en sorte qu’il ne balance pas trop du côté russe.

L’envoi de secouristes, c’est une aide purement stratégique de l’Ukraine ?

C’est nécessairement stratégique. Quand la Belgique envoie B-Fast, structure interdépartementale d’intervention d’urgence, en Turquie, ce n’est pas que de l’humanitarisme désintéressé. C’est parce que la Turquie est un partenaire avec qui nous avons de bonnes relations, quoi qu’on en pense, et qu’il est nécessaire de montrer sa solidarité avec le peuple turc. Dire que c’est un pur calcul politique, c’est un excès de cynisme. Cela fait partie des relations bilatérales : quand un pays qu’on considère comme un partenaire est dans le besoin, on se montre présent. La Turquie se montre présente pour l’Ukraine depuis le début de la guerre, en fourniture d’armes, en aide humanitaire, en aide structurelle et financière… C’est le retour d’ascenseur.

Je pense que c’est un bon coup de la part du président ukrainien. L’Ukraine, malgré la guerre, est solidaire du peuple turc : ce sera immanquablement bien reçu par Erdogan et la population. Et puis, on en parle partout.

Par contre, l’Ukraine n’envoie pas de secouristes en Syrie.

La Syrie n’a aucune valeur politique pour l’Ukraine. C’est très cynique, mais c’est la réalité. D’ailleurs, quand vous voyez la couverture générale du tremblement de terre, on parle plus de la Turquie… La moitié d’Idlib est effondrée depuis dix ans, tout le monde s’en fout. C’est horrible. La guerre de Syrie, c’est 500 000 morts dont on ne parle pas, ou plus. Je ne veux pas minimiser l’impact de la guerre en Ukraine mais, toutes proportions gardées, les pertes civiles connues – celles énumérées par les nations unies – sont en-dessous de 10.000. Malheureusement pour les Syriens, les opérations de sauvetages sont plus compliquées, ce sont des zones de guerres, le séisme a touché Idlib, où le conflit est loin d’être résolu. En plus, il fait froid, ils manquent de moyens pour se chauffer, ainsi que de ressources alimentaires. Tout cela montre la disproportion dramatique qui existe entre les deux pays (la Turquie et la Syrie), aujourd’hui. La situation en Syrie est devenue un trou noir international, malheureusement.

Aussi, Bashar al-Assad est un allié indéfectible de la Russie. Ce serait invraisemblable que l’Ukraine lui propose son aide. D’un point de vue purement politique, il n’y a pas d’intérêt. Damas est complètement subordonnée à Moscou.

Et les Occidentaux ?

Il me semblerait étrange que ECHO, la direction générale de la protection civile et des opérations d’aide humanitaire européennes de la Commission européenne, ne donne rien à la Syrie. Malgré la guerre et le contrôle de Bashar al-Assad, la Syrie a bénéficié de manière assez substantielle de l’aide humanitaire belge, par exemple. Je pense que des choses seront faites mais ce ne sera pas du tout affiché de la même manière : on ne veut pas de récupération de Bashar al-Assad qui passerait pour une sorte de soutien au régime.

Zoé Leclercq

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