Pourquoi l’Europe doit absolument décider d’un embargo sur le gaz russe (analyse)
60 milliards d’euros: tel est le montant que les pays européens ont continué à verser à la Russie depuis le début de la guerre en Ukraine. Via l’achat de gaz et de pétrole russe. Une embargo européen peine à se mettre en place.
L’Union Européenne continue de s’approvisionner en énergies fossiles en Russie, et ce malgré la guerre en Ukraine. Les 27 peinent à trouver un accord sur l’embargo sur le pétrole russe, qui limiterait cette dépendance, notamment en raison de réticences de la Hongrie. En attendant, depuis le 24 février, près de 60 milliards d’euros ont été versés à la Russie. C’est ce que la base de données créée par le Center for Research on Energy and Clean Air (CREA) calcule en temps réel. Plus de 24 milliards d’euros concernent le pétrole et presque 34 milliards le gaz.
Même si les exportations russes ont diminué depuis la guerre en raison de nombreuses sanctions, le fait que le pays domine l’offre n’a eu pour conséquences que d’augmenter les prix. Selon les données récoltées par le CREA, les exportations de pétrole brut de la Russie ont chuté de 30% au cours des trois premières semaines d’avril, en comparaison aux pourcentages de janvier et février (avant l’invasion).
Mais les prix qui ont augmenté suite à cette chute ont continué à remplir les caisses du Kremlin. La Russie se retrouve donc en position de force : au plus il y aura de sanctions, au plus les prix augmenteront et lui permettront de maintenir ses revenus.
Le CREA met en garde quant à ce financement massif de la guerre en Ukraine que l’Union Européenne offre à la Russie. Un avis partagé par Adel El Gammal, professeur de géopolitique de l’Energie à l’ULB : « Le budget de l’armée russe s’élève à environ 55 milliards par an. Donc depuis le début de la guerre, l’UE a déjà largement amorti ce montant annuel. »
Selon lui, l’Union Européenne – et l’Allemagne en particulier, grande consommatrice de gaz russe – ont fait preuve de naïveté voire de déni. Avoir une telle dépendance envers un seul pays, et qui plus est, un pays instable démocratiquement, était trop dangereux. « L’annexion de la Crimée par la Russie date de 2014, ça aurait déjà dû être un signal. » Une seule solution se dresse, donc : en finir avec les importations russes afin d’affaiblir leur économie, essentiellement basée sur les énergies fossiles.
Des ambitions peu réalistes ?
La Commission européenne souhaite réduire sa dépendance au gaz russe de deux tiers avant la fin de l’année. Une proposition « très ambitieuse mais peu réaliste », selon le professeur de géopolitique de l’Energie. La dépendance au gaz est bien plus difficile à détourner que celle du pétrole, explique Adel El Gammal. Il s’agit de connexions point à point via des gazoducs. La seule manière de le remplacer est donc d’augmenter les importations via des gazoducs non russes (ils sont peu nombreux) ou de recourir à des importations supplémentaires de GNL.
« Pour donner un ordre de grandeur, la quantité de gaz qu’on importe de Russie représente 30 à 40% du marché mondial de gaz naturel liquéfié (GNL) ». Il y a donc peu de flexibilité, d’autant que le marché du GNL est déjà sous tension.
Le pétrole russe peut quant à lui être remplacé relativement facilement, parce qu’il existe un marché mondial. Mais c’est toutefois plus difficile pour des pays comme la Hongrie, la Slovaquie qui sont directement reliés à la Russie par des oléoducs. Et c’est pour cette raison que les négociations coincent au sein de l’Union Européenne. Il faudrait envisager la construction de nouvelles infrastructures.
Malgré ces exceptions, Adel El Gammal reste optimiste : d’ici trois à six mois, l’Union Européenne pourrait se couper de la dépendance au pétrole russe. Les négociations entre les 27 reprendront mercredi matin afin de discuter des sanctions envers la Russie et du sujet qui tiraille, l’embargo sur le pétrole russe.
Penser renouvelable plutôt que fossile
Le premier levier de l’Union Européenne afin de réduire sa dépendance reste le changement des habitudes de consommation, insiste Adel El Gammal. Il est possible de diminuer la demande de 10 à 20% rien que par un changement de comportement ce qui aurait un double effet : réduire l’empreinte carbone et diminuer la mainmise de la Russie.
Pour le professeur, investir dans des énergies fossiles provenant d’autres sources que la Russie est une mesure à court terme, le vrai point de départ se situant dans l’investissement des énergies renouvelables.
Sarah Duchêne
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