Jules Gheude
Pourquoi les convictions catholiques de Zemmour posent problème (carte blanche)
Pour l’essayiste politique Jules Gheude, le problème n’est pas que le candidat d’extrême droite ait des convictions personnelles, mais bien qu’il les affiche publiquement.
Depuis qu’il s’est déclaré officiellement candidat à l’élection présidentielle, Eric Zemmour évolue dans la sphère politique où, en vertu de la loi de 1905 sur la laïcité, il se doit de respecter le principe de la séparation de l’Etat et de l’Eglise.
Comme tout citoyen français, il est libre, à titre personnel, de pratiquer ou non un culte religieux, mais le fait qu’il présente ses voeux en faisant explicitement référence à la chrétienté pose problème. Il sort ainsi de la neutralité à laquelle tout personnage public est soumis.
Personne n’est dupe d’une telle stratégie, qui ne vise en fait qu’à séduire la mouvance catholique conservatrice. Et comme la compétition électorale est dure, on voit Marine Le Pen et Eric Ciotti mettre également en scène la crèche. Ont-ils seulement conscience d’incarner ainsi ce communautarisme religieux qu’ils n’ont, par ailleurs, de cesse de fustiger ?
Eric Zemmour est également en totale contradiction lorsqu’il trouve des excuses à Pétain tout en vénérant de Gaulle. Il y a, en effet, incompatibilité totale entre les deux personnages.
A titre privé, de Gaulle était un catholique pratiquant. Mais cela ne l’empêcha pas d’être critique envers les errances de l’épiscopat français à propos de Vichy. Le 27 mai 1942, il écrivit secrètement de Londres à Mgr Salièges, connu pour son hostilité au régime de Vichy et aux lois antijuives : « Je crois très sincèrement que l’attitude – fût-elle d’apparence – prise publiquement par une partie de l’épiscopat français à l’égard de la politique et des hommes dits de Vichy risque d’avoir des conséquences graves en ce qui concerne la situation du clergé et peut-être de la religion en France après la Libération. »
On dit volontiers que la France est « la fille aînée de l’Eglise ». Retour à Clovis. Mais il n’est pas superflu de rappeler ici la doctrine du gallicanisme, visant à organiser l’Eglise catholique de façon autonome par rapport au pape.
Philippe le Bel s’oppose ouvertement au pape Boniface VIII. Ses hommes de loi le mettent en garde contre les abus de la justice spirituelle et prônent l’indépendance du pouvoir temporel par rapport au pouvoir spirituel. Le pape publie, le 18 novembre 1302, la bulle Unam Santam, dans laquelle il affirme : « Il est de nécessité de croire que toute créature humaine est soumise au pontife romain : nous le déclarons, l’énonçons et le définissons. » Le roi réagira vivement en envoyant Guillaume de Nogaret pour tenter d’enlever le pape à Anagni en 1303.
La Révolution française provoquera un autre schisme religieux et entraînera la déchristianisation. Une évolution qui traumatise Eric Zemmour, « imprégné de christianisme ».
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Il n’aime pas la République. En fait, tout est dit dans cette phrase prononcée en forme de cri du coeur : « Vive la République ! Et surtout, vive la France !
Le 28 février 1848, Lamartine proclame à l’Hôtel de Ville de Paris, la Seconde République. Il est ouvertement pour l’abolition de la peine de mort et la séparation de l’Eglise et de l’Etat. Tout ce que Zemmour exècre.
La Troisième République, qui institue l’Ecole républicaine et laïque (avec ses deux figures emblématiques : Jules Ferry et Ferdinand Buisson, le dirigeant de l’enseignement primaire pendant 17 ans), ce n’est pas non plus la tasse de thé d’Eric Zemmour. Il aurait très bien pu écrire ces lignes, publiées dans le journal conservateur « L’Abbevilliers », le 1er décembre 1882, à la suite d’une manifestation dans l’un des lycées de jeunes filles nouvellement créés : « Elles ont beuglé La Marseillaise. Ces infantes, élevées sur les genoux de la République dans le culte des idées nouvelles que résume la formule « Ni Dieu, ni maître » promettent de fières épouses aux infortunés crétins qui voudraient bien les honorer de leur confiance. Que de promesses dans les incartades de ces Louise Michel en herbe pour qui l’insurrection est déjà le plus sacré des devoirs ! »
La France, c’est aussi, c’est surtout l’Esprit des Lumières qui a consacré le triomphe de la raison sur l’obscurantisme. L’Homme des Lumières est tout sauf un conservateur aigri.
Eric Zemmour est en perpétuelle contradiction avec lui-même. La meilleure preuve est qu’il n’aime pas qu’on lui rappelle les choses qu’il a écrites.
Il sera, dit-il, le président « de tous les Français, même ceux de confession musulmane ». Mais comment peut-on prétendre défendre les valeurs de la France, lorsqu’on a été condamné pour provocation à la haine raciale ?
Eric Zemmour, c’est, enfin, la manipulation permanente des chiffres.
Selon lui, après le quinquennat d’Emmanuel Macron, la France comptera deux millions d’immigrés supplémentaires (400.000 par an) Or, ce chiffre ne tient pas la route.
Basons-nous sur le solde migratoire, c’est-à-dire la différence entre le nombre d’immigrés entrés sur le territoire et ceux qui en sont sortis au cours de l’année.
Selon l’INSEE, pour 2017, dernière année disponible, ce solde migratoire était de 198.000, auxquels il convient de soustraire les quelque 59.000 immigrés qui meurent chaque année. Cela nous donne une augmentation de 139.000 personnes sur l’année. Un chiffre près de trois fois moins élevé que les 400.000 immigrés annoncés par Eric Zemmour.
Le ministère de l’Intérieur précise, quant à lui : « Une étude de cohorte des primo-détenteurs en 2015 montre que 37 % des détenteurs de titres étudiants sont repartis un an après. »
Avec sa théorie du « grand remplacement », Eric Zemmour distille la peur et veut replier la France sur elle-même.
En déclarant que « l’immigration zéro est pour moi un objectif clair », le candidat Zemmour se comporte en parfait démagogue. Car l’immigration zéro n’a jamais existé : l’histoire de l’humanité est l’histoire des migrations.
Le titre est de la rédaction. Titre original: « Zemmour : « Je suis imprégné du christianisme »
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