Pourquoi le terrorisme ne nous fait plus vraiment peur
En revendiquant stratégiquement tous les attentats, le groupe Etat islamique tente d’installer un sentiment d’omniprésence et de danger latent et imprévisible. Mais cette très forte récurrence fait qu’il se banalise, et qu’il ne ferait plus vraiment peur.
Le récent attentat à New York aura finalement été revendiqué, une nouvelle fois, par le groupe terroriste EI. Mais le média en ligne Slate se demande si cette attaque aura le même impact que celles perpétrées précédemment.
Le fait de mener une masse incessante d’attentats en Occident aurait, semble-t-il, des conséquences qui pourraient potentiellement être contre-productives pour les organisations terroristes. Ce qui est ignoble deviendrait « normal ». L’article explique que plus la violence se fait importante, plus les gens y deviendraient insensibles. Et quand cette violence a tendance à se normaliser, les populations visées épuisent leur stock d’indignation, mais aussi de compassion.
On constate de plus en plus que l’organisation terroriste en revient à revendiquer n’importe quelle attaque. Les réseaux sociaux s’en donnent d’ailleurs souvent à coeur joie, et rivalisent d’originalité en cherchant l’acte le plus insignifiant et improbable que pourrait revendiquer Daech. La récente fusillade de Las Vegas est un exemple clair : l’auteur des tirs, responsable de la tuerie de masse la plus importante de l’histoire moderne des Etats-Unis, n’avait rien à voir avec la mouvance djihadiste. Il a pourtant été très rapidement revendiqué par l’EI.
Daech veut miser sur « l’usure » en adoptant une stratégie « attrape-tout ». Elle veut maintenir un nombre d’attentats régulier à travers le monde, et peut aussi bien revendiquer l’ignoble attaque du Bataclan en novembre 2015 comme l’agression d’un policier au couteau. L’organisation souhaite garder un « rythme régulier » en Occident pour que sa menace reste universelle. 54 attaques auraient ainsi été revendiquées par l’organisation depuis le début de l’année, selon un rapport de l’Institute for the Study of War.
Généralement, on pense que la multiplication des attentats accroît le sentiment général de peur et d’insécurité, mais certaines recherches suggèrent pourtant l’inverse. En réalité, les individus parviendraient à « normaliser » cette violence et à l’intégrer dans leur quotidien, et feraient simplement des choix pour parer ces menaces. Ce « mécanisme » ne s’applique pas qu’au terrorisme, mais aussi à des bagarres dans des bars ou aux quartiers touchés par la violence des gangs. On évite certains lieux, on s’éloigne de certains quartiers.
Daech veut polariser la société
Par la multiplication des attaques ou des revendications tous azimuts, l’Etat islamique veut exacerber les divisions qui peuvent déjà exister au sein d’un pays, et ainsi pousser les gouvernements à réagir de manière excessive. Alors, Daech pourrait plus facilement recruter en s’appuyant justement sur cet argument : l’Occident serait en guerre contre l’islam, et ainsi exercer une sorte de « vengeance permanente » contre cet Occident. Quand il a instauré, début 2017, l’interdiction de voyager pour des ressortissants de sept pays à majorité musulmane, Donald Trump n’a fait qu’apporter de l’eau au moulin de la stratégie de recrutement des terroristes, qui propage l’idée que les musulmans sont partout des victimes et que Daech serait le « défenseur et le glaive » de l’islam.
Dans un livre sur le terrorisme politique, Grant Wardlaw souligne que les attaques répétées d’un groupe en particulier engendre inévitablement l’indifférence générale de la société, même s’il nuance en expliquant qu’un attaque spectaculaire et complètement inattendue peut rompre le cycle de la répétition et peut menacer davantage notre sentiment d’insécurité. William Gamson, un spécialiste des mouvements sociaux, écrivait il y a longtemps : « l’imprévisible et le spontané font de la meilleure télévision et les groupes sont donc tentés d’agir de façon toujours plus extravagante et spectaculaire pour conserver l’attention des médias ».
Dans les années 1970, un spécialiste du terrorisme expliquait que comme celui-ci faisait l’objet d’une couverture médiatique permanente, il fallait que le nombre de victimes et que la violence d’un attentat soit largement supérieure à la moyenne pour garder une attention médiatique importante et constante.
On constate que les dernières attaques perpétrées étaient généralement plus « simplistes », et que les vastes opérations minutieusement coordonnées, comme celles de Paris en novembre 2015, qui demandent forcément plus de temps de préparation (et qui sont donc plus spectaculaires) se faisaient plus rares. Le terrorisme prend actuellement la forme d’attaques qui semblent improvisées et dont les moyens sont relativement basiques, à savoir des couteaux ou des véhicules de toutes sortes.
En multipliant les attaques, et en s’attribuant la majorité de celles-ci, Daech aurait transformé le terrorisme en un élément de vie quotidienne, récurrent. Cette stratégie provoque donc l’inverse de l’effet recherché, à savoir de terroriser la société.
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