Les Etats américains, producteurs de soja, qui ont voté pour Trump pourraient souffrir de la guerre commerciale. © Getty Images

Pourquoi le soja est le point faible de Trump dans la guerre commerciale

Ce sont surtout les Etats républicains des Etats-Unis qui exportent du soja. Ce produit agricole constitue donc une arme toute trouvée dans la guerre commerciale déclenchée par Trump. La Chine comme l’UE utilisent des droits de douane sur le soja à titre de représailles. Les perdants potentiels? Les éleveurs de porcs belges… et le climat.

«J’espère que nous traverserons rapidement cette période difficile.» Cette critique des droits d’importation imposés par Trump ne vient pas d’un démocrate, mais de Mike Johnson, le président républicain de la Chambre des représentants. «Lors de la précédente guerre commerciale avec la Chine, nous avons perdu 2 dollars de bénéfice par 27 kg de fèves de soja. Cela peut sembler peu, mais cela a coûté 500 millions de dollars à notre Etat.»

Johnson est originaire de Louisiane, un Etat du Sud aux vastes champs de soja. La Louisiane est responsable de 82,5 % des exportations de fèves de soja américaines vers l’Union européenne. L’Europe souffre d’un déficit structurel en protéines pour l’alimentation animale. C’est pourquoi elle importe 70% des protéines destinées à nos porcs et volailles depuis le Brésil, l’Argentine et les Etats-Unis.

La Belgique, elle aussi, importe 30% de ses fèves de soja depuis les Etats-Unis (le reste provient du Brésil). Les éleveurs belges de poulets et de porcs seront-ils touchés par la guerre commerciale de Trump?

Entreprises familiales

Quoi qu’il en soit, les agriculteurs américains seront touchés par la guerre commerciale de Trump. Caleb Ragland, président de l’Union américaine des producteurs de soja, a déclaré dans un communiqué de presse que «les agriculteurs sont frustrés». «Les droits d’importation touchent nos entreprises familiales en plein portefeuille

Le demi-million de producteurs de soja américains vit principalement dans des Etats comme la Louisiane, qui ont voté pour Trump. L’an dernier, les Etats-Unis ont exporté pour 2,1 milliards d’euros de fèves de soja vers l’Union européenne. Sur ce montant, 1,8 milliard provenait d’Etats ayant voté pour Trump, et seulement 313 millions d’euros d’Etats ayant voté pour la démocrate Kamala Harris, selon les calculs de Politico.

L’UE est le deuxième importateur de soja américain, après la Chine. Plus de la moitié du soja américain est destiné au pays avec lequel Trump mène actuellement la guerre commerciale la plus intense. Il a annoncé une taxe d’importation de 145% sur tous les produits chinois. La Chine a répliqué avec une taxe d’importation de 84% sur la plupart des produits américains, et même de 94% sur le soja.

«Plus de la moitié du soja américain est destiné au pays avec lequel Trump mène actuellement la guerre commerciale la plus intense.»

Selon des experts, la Chine peut se permettre ce pari parce qu’elle est aujourd’hui moins dépendante du soja américain qu’auparavant. Elle a tiré cette leçon de la précédente guerre commerciale avec Trump, durant son premier mandat. Depuis 2017, la Chine achète davantage de soja au Brésil pour réduire sa dépendance aux Etats-Unis.

«L’alimentation reste cependant le point faible de la Chine dans la guerre commerciale avec les Etats-Unis», affirme Joris Relaes, économiste agricole et directeur de l’Institut de recherche sur l’agriculture, la pêche et l’alimentation (ILVO). «La surface cultivable en Chine est trop limitée pour nourrir toute sa population. Comme souvent, les Etats-Unis peuvent faire de la géopolitique avec la nourriture.»

«L’excédent de soja américain va principalement en Chine ou en Europe. Si la Chine ferme la porte, les Etats-Unis ne peuvent se tourner que vers l’Europe. Et si Trump poursuit aussi la guerre commerciale avec l’UE, alors nous pourrons, nous aussi, utiliser le soja comme une arme.»

Accord sur le soja

Ces plans existent déjà. La Commission européenne souhaite instaurer un droit d’importation de 25% sur les fèves de soja américaines, mais garde pour l’instant cette menace en réserve. Ce n’est que le 1er décembre que le droit de douane de l’UE sur le soja américain entrerait en vigueur. Le soja constitue la menace ultime si Trump décidait d’augmenter encore les droits de douane sur les produits européens, car cela frapperait directement son électorat.

D’autres droits de douane européens sur des produits américains comme les canneberges, le maïs et le jus d’orange devraient quant à eux entrer en vigueur le 15 avril. Après que Trump a appuyé sur le bouton pause le 9 avril concernant les droits de douane sur, entre autres, les produits de l’UE, celle-ci a également décidé de suspendre provisoirement ses contre-mesures.

Pour comprendre l’importance du soja dans la relation entre les Etats-Unis et l’UE, il faut remonter à l’année 1962. «C’est à ce moment que la politique agricole européenne a été lancée, explique Joris Relaes. Le prédécesseur de l’Union européenne a alors conclu un accord avec les Etats-Unis. L’Amérique a accepté que les produits agricoles européens soient protégés par des droits de douane, afin que nous puissions relancer notre production alimentaire après la Seconde Guerre mondiale. Mais les Etats-Unis ont exigé une exception : le soja. Et nous avons accepté

«Où se trouvent la plupart des éleveurs de porcs et de volailles en Europe? Dans des régions côtières comme la Flandre, les Pays-Bas, le Danemark et la Bretagne. L’explication, c’est que le soja américain bon marché arrive chez nous via les ports. Cet accord sur le soja a marqué le début de l’élevage intensif en Europe. Et aujourd’hui encore, le soja américain entre en Europe sans droits de douane

«Imposer une taxe à l’importation sur le soja américain reviendrait à pénaliser non seulement les Etats-Unis, mais aussi nos propres agriculteurs –mais ceux-ci pourraient alors importer davantage de soja du Brésil ou d’Argentine. Comme la Chine, nous avons heureusement cette alternative.»

«Imposer une taxe à l’importation sur le soja américain reviendrait à pénaliser non seulement les Etats-Unis, mais aussi nos propres agriculteurs.»

Joris Relaes

Economiste agricole et directeur de l’Institut de recherche sur l’agriculture, la pêche et l’alimentation (ILVO)

Le soja était déjà un enjeu important lors du premier mandat de Trump, se souvient Joris Relaes: «En raison des fluctuations du marché, nous avons alors importé davantage de soja des Etats-Unis et moins du Brésil. A l’époque, le président de la Commission, Jean-Claude Juncker, a présenté cela comme une concession faite aux Etats-Unis. Trump a adoré. Il est tombé dans le panneau les yeux fermés

Amazonie

En 2025, tous les regards sont tournés vers le Brésil, premier exportateur mondial de soja. «Tant que les Chinois peuvent acheter leur soja au Brésil ou en Argentine, il n’y a pas de gros problème pour eux. Cela fera néanmoins grimper les prix du soja à l’échelle mondiale, y compris pour les agriculteurs belges. Dans une guerre commerciale, il n’y a que des perdants.»

Le climat risque également d’en pâtir. «Il est fort probable que la pression augmente pour abattre davantage de zones de forêt amazonienne afin d’y cultiver du soja.» Importer du soja des Etats-Unis a bien sûr un impact climatique aussi, mais le soja provenant de l’Amazonie brésilienne est encore plus néfaste.

L’isolationnisme de Trump renforce l’appel à une plus grande autonomie dans tous les secteurs. Et cela ne concerne donc pas seulement la défense, les infrastructures critiques ou les technologies de l’information, mais aussi les champs de soja.

«En principe, le soja ne pousse pas en Europe de l’Ouest, mais à l’ILVO, nous avons développé du soja adapté à notre climat. La spin-off Protealis poursuit désormais ce travail, mais cela prend du temps. Il y a soixante ans, le maïs –lui aussi une culture tropicale– poussait à peine en Belgique. Peut-être que dans vingt ans, nos champs seront remplis de soja à cause de la guerre commerciale de Trump.»

 

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