Pourquoi le pouvoir ukrainien a-t-il changé de vision au sujet des attaques sur Moscou ?
Instiller un sentiment de vulnérabilité des moyens de défense au sein de la population étant loin d’être garanti, l’intérêt des opérations ukrainiennes est questionné.
Frapper les bases arrière de l’ennemi agresseur installées sur son territoire fait partie intégrante de la guerre. Depuis le déclenchement de l’invasion de son territoire, le 24 février 2022, l’Ukraine ne s’est pas privée de porter le fer en Russie. On a ainsi vu des tirs de missiles ou des attaques de drones viser des bases aériennes, des dépôts de munitions, des réserves de carburant, des infrastructures pétrolières, des installations électriques dans les provinces russes frontalières de l’Ukraine, celles de Briansk, au nord-est de cette zone, de Belgorod, mitoyenne de la région ukrainienne de Kharkiv, ou de Rostov-sur-le-Don, porte d’entrée vers la Crimée et le sud occupé de l’Ukraine. Plus à l’est, au sud-est de Moscou, l’oblast de Saratov, a, lui aussi, été la cible de frappes visant notamment des bases militaires.
La guerre revient en Russie. C’est un processus inévitable, naturel, et absolument juste.
Des attaques moins traditionnelles ont complété cette panoplie. Le 22 mai, une incursion de groupes d’opposants russes ébranlait les défenses russes au sud de la ville de Belgorod pour une occupation aussi spectaculaire qu’éphémère. Surtout, à la limite entre le territoire russe et l’Ukraine occupée, le pont de Kertch, conduisant vers la Crimée, a été endommagé dans la nuit du 16 au 17 juillet par une opération à base de drones navals, revendiquée par Kiev. Le 8 octobre 2022, l’édifice avait déjà été touché par l’explosion d’un camion piégé en provenance de Russie.
Sans conteste, l’attaque des voies d’acheminement de l’armement et des renforts russes a une utilité stratégique dans le conflit. Même constat pour les destructions d’infrastructures militaires, logistiques, énergétiques opérées depuis 17 mois. On peine, en revanche, à établir l’intérêt majeur des attaques de drones qui se sont répétées ces derniers jours à Moscou ou dans ses environs. Le 30 juillet, puis le 1er août, certaines ont été contrées par la défense antiaérienne, quand d’autres ont touché, sans faire de victimes, un bâtiment du quartier de la City de Moscou, le même à deux jours d’intervalle. Immeuble civil, il abritait des bureaux du ministère du Développement économique, sans que cette information suffise à déterminer avec certitude que c’est lui qui était la réelle cible des opérations ukrainiennes. Deux autres attaques par drones ont été enregistrées à la même période aux abords des villes d’Odintsovo et de Naro-Fominsk, situées au sud-ouest de la capitale russe. Elles auraient été neutralisées par la défense russe.
Quelle finalité poursuivent ces opérations sur Moscou? Quand Kiev avait démenti être à l’origine de l’envoi de drones sur le Kremlin, le 3 mai dernier, qui avait été qualifié par le pouvoir russe d’acte de terrorisme, un conseiller de Volodymyr Zelensky, Mykhaïlo Podoliak, avait assuré en substance que de telles actions n’apportaient rien à l’Ukraine sur le champ de bataille. «Nous n’attaquons pas Poutine ou Moscou. Nous nous battons sur notre territoire», s’était en outre défendu le président ukrainien. Le 30 juillet, après la première attaque de drones sur Moscou, celui-ci a en revanche qualifié de «processus inévitable, naturel et absolument juste» le retour de la guerre «sur le territoire de la Russie, dans ses centres symboliques et ses bases militaires». Symbolique, l’attaque de l’immeuble de bureaux du quartier des affaires moscovite l’est. Tout juste pourrait-elle instiller l’idée de la vulnérabilité de la défense russe au sein de la population. Mais vu le contrôle de l’information par les autorités, même cet effet-là n’est pas garanti. Dès lors, ces opérations auraient-elles pour objectif de distraire l’attention des Ukrainiens et des Occidentaux des contrariétés de la contre-offensive ukrainienne?
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