Pourquoi le Portugal est-il tellement touché par les feux de forêt ?
Les Portugais ont connu cette année les incendies de forêt les plus meurtriers de leur histoire. Alors qu’ils ont fait plus d’une centaine de morts, la colère populaire gronde de plus en plus contre le gouvernement.
Samedi, des milliers de Portugais ont défilé dans la rue pour crier leur tristesse et leur colère contre l’incapacité de leurs dirigeants à prévenir les feux de forêt, qui ont fait cette année plus de cent morts. « On est ici avant tout pour rendre hommage aux victimes. Il faut que justice soit faite! », expliquait Maria Joao Gil, une Lisboète d’une cinquantaine d’années, à l’AFP. Des rassemblements ont eu lieu dans plusieurs villes du pays, suite à la convocation « d’une manifestation silencieuse » sur les réseaux sociaux.
Le Portugal a connu deux feux de forêt dévastateurs cette année. En juin, 64 personnes ont perdu la vie à Pedrogao Grande, à une centaine de kilomètres au nord de Lisbonne. Le mois d’octobre a lui aussi été ravageur. La semaine dernière, pas moins de 45 personnes sont décédées dans le centre et le nord du pays. Les incendies ont également touché la région espagnole limitrophe de la Galice, tuant 4 personnes. Il y avait déjà eu des manifestations dans le pays la semaine dernière dans des villes portugaises, mais également aussi dans la région espagnole, afin de « dénoncer l’incompétence du gouvernement régional ».
Le gouvernement pointé du doigt
Le Premier ministre portugais Antonio Costa, en poste depuis novembre 2015, fait face à une pluie de critiques concernant sa gestion des feux de forêt. Des protestations qui ont conduit à la démission de la ministre de l’Intérieur, Constança Urbano de Sousa. Le gouvernement va également devoir subir une motion de censure cette semaine, une initiative lancée par le parti conservateur CDS-People’s Party. « Le gouvernement avait une chance de montrer sa réelle volonté de prendre ses responsabilités dans cette crise, et il n’en a pas été capable », a déclaré Assunção Cristas, la leader du parti d’opposition.
Même s’il a été fortement critiqué par les deux partis de gauche radicale qui le supportent (le Parti socialiste portugais gouverne seul, mais peut compter sur le soutien sans participation de deux formations « d’extrême-gauche », qui lui assurent sa majorité, NDLR), Antonio Costa peut compter sur le soutien des dirigeants des deux partis.
Deux semaines avant les feux de forêt importants du mois d’octobre, le parti du Premier ministre avait été le grand gagnant des élections locales du pays. Depuis, plusieurs observateurs estiment que son « état de grâce » est maintenant derrière lui, et que le « gouvernement est désormais affaibli par sa gestion des feux de forêt ». Les déclarations d’Antonio Costa, qui explique que des « évènements comme ceux-là étaient inévitables et qu’ils se répéteraient », n’ont pas non plus manqué de faire réagir au Portugal. On a reproché à l’homme fort du pays de ne pas montrer d’empathie par rapport aux victimes, bien qu’il se soit rattrapé le lendemain en exprimant sa compassion après la tragédie. « Je vais vivre avec ce poids sur la conscience toute ma vie », a-t-il dit. « En tant que Premier ministre, j’assume mes responsabilités ; en tant que citoyen je vous demande pardon ».
Antonio Costa connaît de bons résultats économiques depuis l’instauration de son alliance avec les partis de gauche radicale en novembre 2015, mais les critiques de plus en plus prononcées concernant la crise des feux de forêt vont-elles avoir un impact à long terme sur son gouvernement ?
Pourquoi le pays est-il si touché par les feux de forêt ?
Le journal Le Monde nous apprend que 100.000 hectares (soit 1000 km carrés) de forêt partent en fumée chaque année dans le pays depuis 1980, soit cinq fois plus qu’en France. À l’aune de ces chiffres alarmants, la question légitime à se poser est de savoir pourquoi le pays est tant touché, chaque année, par des feux de forêt aussi violents.
À première vue, on pourrait effectivement penser qu’il s’agit d’un problème lié simplement au climat, mais les raisons sont loin d’être aussi limitées. Une commission d’experts avait justement été créée par le gouvernement à la suite des feux de forêt du mois de juin. Le rapport de cette commission a été rendu public le 12 octobre dernier, et expose huit causes principales. Les voici.
Des pompiers volontaires peu formés. En majorité, les pompiers au Portugal sont des volontaires. Le rapport de la commission préconise une professionnalisation croissante du métier et une modernisation de l’Ecole nationale des pompiers, et insiste pour une meilleure collaboration avec l’armée, qui est sous-utilisée lors de ces catastrophes naturelles.
Manque de communication et de moyens. Lorsqu’une catastrophe surgit et que les infrastructures (lignes téléphoniques, relais de téléphone mobile) ont brûlé, les services de secours sont incapables de communiquer. Leur système serait trop vétuste. En conséquence, la Ligue des pompiers volontaires a réclamé des moyens plus modernes et plus fiables.
L’eucalyptus inflammable. Le Portugal compte beaucoup de forêts très denses, mais celles-ci sont surtout peuplées d’eucalyptus, des arbres qui résistent très mal aux flammes. L’arbre est utilisé à des fins industrielles, pousse vite et n’a pas besoin d’entretien particulier. Dans les années 1980, le gouvernement décide donc de replanter à chaque fois les surfaces dévastées par ce type d’arbres, créant ainsi un inévitable cercle vicieux. Le rapport recommande de planter plus de chênes ou des châtaigniers, ou plus généralement des feuillus plutôt que des pins et des eucalyptus. En juin, le gouvernement a décidé de réduire progressivement les surfaces autorisées pour la culture des eucalyptus. La surface couverte par l’espèce serait de 900.000 hectares, soit un quart de la superficie totale des forêts du pays.
L’anticipation. Il n’existe pas au Portugal d’experts en « anticipation et lutte contre les incendies ». Le rapport explique que le gouvernement aurait dû anticiper et renforcer à temps le dispositif spécial de combat contre les incendies de forêt au vu des températures très élevées en juillet. Le Dispositif est à la base conçu comme un outil de réaction et non d’anticipation.
Les services défaillants de la protection civile. Le rapport explique que l’Autorité nationale de la protection civile (ANPC) a été lente à réagir et à engager les moyens nécessaires quand les feux se sont déclarés. Les experts ont expliqué avoir découvert que l’hélicoptère anti-incendie de l’Autorité n’avait en fait jamais décollé. La commission recommande également de sélectionner des professionnels qui possèdent les compétences et l’expérience nécessaires. Actuellement, les nominations à la tête de l’ANPC ne semblaient pas correspondre aux profils exigés.
Des villages au milieu des forêts. Il y aurait une trop grande proximité entre les habitations et les espaces naturels. La sensibilisation de la population aux feux de forêt ne semble pas assez importante. Ni les municipalités ni les habitants eux-mêmes ne procéderaient au débroussaillage des parcelles.
Le mythe des incendiaires. Les experts affirment que l’idée que la plupart des incendies sont d’origines criminelles est un mythe. Par exemple, selon les experts, l’incendie du mois juin à Pedrogao a été provoqué par des surcharges dans les réseaux de distribution de l’électricité ainsi qu’un éclair.
Négligence des autorités. Le rapport reproche aux gouvernements successifs de ne pas avoir développé concrètement une politique de prévention des incendies. Chaque nouveau dirigeant ferait « table rase » des efforts de son prédécesseur.
Avec AFP
En Australie, l’implication des autorités
L’Australie connaît elle aussi de nombreux incendies de « végétation » (forêts et « bush », un mélange d’arbres et de broussailles). Le climat très chaud et sec provoque presque quotidiennement des départs de feux dans l’immense pays, bien que la majorité de ceux-ci s’éteignent assez rapidement. La combinaison entre une très forte sécheresse, une humidité inférieure à 10% ainsi que des vents de nord-ouest favorisent les départs de feux dans le pays.
L’Australie pouvait auparavant compter sur des pluies abondantes pour se rafraîchir, mais celle-ci laisse de plus en plus place à un climat plus chaud et sec, ce qui renforce inévitablement le risque de départ de feu. Les Australiens ont encore tous en mémoire les incendies de végétation meurtriers (173 victimes) de 2009, les pires de leur histoire en termes de victimes humaines. 450.000 ha sont partis en fumée entre février et mars 2009 dans l’état de Victoria (sud-est), où plus de 4000 structures, dont 2000 maisons) ont été détruites.
Depuis cette catastrophe, il a été recensé environ 13 autres incendies de végétation très violents dans le pays, détruisant, à chaque fois, entre 1500 et plusieurs centaines de milliers d’hectares. Les victimes humaines sont toutefois limitées. Sur ces 13 incendies de végétation en 7 ans, il n’y a eu que 6 personnes décédées.
Pour tenter de contrer au maximum le phénomène, les autorités australiennes ont décidé de prendre le taureau par les cornes. Le pays a mis en place des programmes de gestion des feux en 4 étapes :
– Aménagement des terres par brûlage dirigé et installation de coupe-feux
– Gestion des bâtiments par l’adaptation des stratégies urbaines
– Sensibilisation de la communauté par l’édition de brochures informatives
– Avertissement de danger du feu par la création d’un système d’évaluation du danger et des risques
L’organisation inter-services (allant du pompier au juriste) doit également être bien assurée en cas de propagation rapide sur un territoire énorme (chevauchant parfois deux états). Pour ce faire, le gouvernement a mis en place des bureaux d’études des « méga-feux » qui se sont propagés dans le pays pour pouvoir tirer des leçons et améliorer les méthodes d’intervention.
Les états ont également mis en place un système de recensement presqu’en direct des départs de feux et de la situation de ceux-ci. Par exemple, le site https://www.emergency.wa.gov.au/ recense les feux en cours et ceux éteints dans l’état d’Australie-Occidentale.
De manière générale, bien que le pays soit fortement touché, pour les raisons évoquées, par les départs de feux de végétation, le gouvernement semble s’impliquer de manière très sérieuse dans la gestion et la lutte contre ces incendies.
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