Au centre, le roi Mohamed VI, souverain du Maroc bien silencieux en ce moment quant à l'aide humanitaire de certains pays comme la Belgique © MAP / AFP

Pourquoi le Maroc n’accepte pas l’aide de la Belgique: tout comprendre au silence de Rabat

Nathan Scheirlinckx
Nathan Scheirlinckx Journaliste au Vif

Alors que les équipes B-Fast sont prêtes à décoller du sol belge, le royaume marocain ignore la demande de la Belgique d’aider les victimes du séisme sur place. Derrière l’élan de solidarité général, le roi Mohammed VI profiterait de ce triste événement pour tirer à lui les ficelles de la diplomatie. Analyse avec Gautier Pirotte (ULiège), spécialiste des questions de coopération internationale.

À peine la terre avait-elle fini de trembler au Maroc, que déjà une question était sur toutes les lèvres occidentales : pourquoi le pays d’Afrique du Nord n’accepte pas l’aide de certains pays, qui se montrent pourtant volontaires ? Sur le continent européen, seuls l’Espagne et le Royaume-Uni ont été autorisés par le Maroc à atterrir sur son sol pour fournir une aide humanitaire. Les équipes de secours se sont jointes à celles des Emirats Arabes Unis et du Qatar dimanche. La France et la Belgique n’ont, elles, pas reçu le feu vert du royaume marocain.

Les propositions d’aide humanitaire qui jaillissent aux quatre coins du globe sont-elles désintéressées ? Non, répond Gautier Pirotte (ULiège), spécialiste des questions de coopération internationale. « Il faut garder à l’esprit que l’aide – qu’elle soit humanitaire ou au développement – est un outil diplomatique dans le domaine des relations internationales. Derrière l’élan de solidarité mondial, il y a l’aide des Etats, qui peut être instrumentalisée pour instaurer une relation de pouvoir ». Ainsi, celui qui donne peut se retrouver dans une position de domination, et celui qui reçoit se sentira redevable des services rendus. Une situation que le Maroc veut absolument éviter, à entendre le chercheur : « Ils veulent rester maîtres de leur sort, rester souverains ».

« Le Maroc part du principe que trop d’aide peut tuer l’aide »

Mohammed Ameur, l’ambassadeur du Maroc en Belgique

Dans le cas du séisme qui a touché le Maroc, le professeur en relations internationales note un élément en particulier : « D’habitude, les négociations autour de l’aide humanitaire se jouent en coulisses, dans la discrétion. Ici, on a l’impression que ces tractations sont directement apparues au grand jour dans le débat public ».

Comment expliquer que le Maroc refuse l’aide de la Belgique ?

L'équipe de B-Fast
L’équipe de B-Fast embarque pour la Turquie, touchée par un séisme en février dernier © Belga

Du côté du cabinet des Affaires étrangères, on attend toujours l’aval du royaume avant d’envoyer l’équipe B-Fast et son hôpital médical sur place. La ministre Hadja Lahbib (MR) a bien eu des échanges avec son homologue marocain, mais pas encore d’acceptation officielle de l’aide belge par le Maroc. « Il apparait qu’en ce moment, les Marocains sollicitent une aide spécifique – principalement la recherche et le sauvetage, ce qui est logique dans ces premiers jours – chaque minute, chaque heure compte pour retrouver d’éventuelles victimes sous les décombres, entend-on au cabinet de la libérale. Certains pays sont spécialisés dans la recherche et le sauvetage, comme l’Espagne et le Royaume Uni. Il est dès lors normal qu’ils soient sollicités en premier« .

Gautier Pirotte a, lui, deux explications à ce refus momentané :

  1. « La première, c’est le discours officiel tenu par Rabat. Le royaume justifie son refus par une volonté d’éviter un embouteillage au niveau des secours et de la logistique, estime le professeur en relations internationales. On se souvient que lors du séisme qui avait secoué Haïti en 2010, il y avait un trop-plein de secours ». Un discours réitéré ce matin par l’ambassadeur du Maroc en Belgique Mohammed Ameur au micro de La Première. « Le Maroc a fait un constat de ses besoins sur le terrain et, en fonction de ce constat, accepte l’aide. Le Maroc part du principe que trop d’aide peut tuer l’aide. Le Maroc a en mémoire des expériences récentes, notamment à Haïti, en Italie ou récemment en Turquie qui ont montré que, trop d’aide entraîne un embouteillage logistique. »
  2. « Les autorités marocaines regardent au-delà du séisme. Elles essayent, de façon cynique, de monnayer le dossier du Sahara occidental sur la scène internationale, décrypte Gautier Pirotte. Ces quatre pays n’ont évidemment pas été sélectionnés au hasard. Tous ont reconnus la souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental, ce territoire non autonome situé entre le Maroc, la Mauritanie et l’Algérie. Ce qui n’est pas le cas de la France et de la Belgique, par exemple. De quoi expliquer le silence du roi Mohammed VI quant à leurs propositions d’aide humanitaire ? C’est une lecture possible, estime Gautier Pirotte. « L’Espagne s’est rapprochée de la position expansionniste marocaine, alors que la France est mal prise avec l’Algérie (dont les relations diplomatiques avec le Maroc sont tendues, NDLR) ».

La Belgique pourrait être appelée à aider dans un second temps

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Si le Maroc a remercié la Belgique pour sa proposition d’aide, il ne l’a pas (encore) acceptée. En attendant, la ministre fédérale en charge de la Coopération au développement, Caroline Gennez (Vooruit), a débloqué cinq millions d’euros « pour aider les victimes du tremblement de terre au Maroc et soutenir la reconstruction », a-t-elle annoncé samedi sur le réseau social X (anciennement Twitter).

La Belgique pourrait voir sa demande d’aide au Maroc acceptée, après les premiers secours, nous confirme le ministère des Affaires étrangères. « Au vu de l’ampleur du tremblement de terre, il se peut qu’il y ait une demande pour un autre type d’assistance – du matériel pour des abris en zones rurales ou de l’aide alimentaire, par exemple. Les hôpitaux des grands centres urbains semblent bien fonctionner et être en mesure de faire face aux besoins, mais un appui sera peut-être aussi nécessaire (médicaments, matériaux, etc).   

Hadja Lhabib, qui voit un nouveau dossier épineux atterrir entre ses mains, conclut: « La Belgique est prête à fournir une assistance en cas de demande, tout comme d’autres pays de l’Union européenne, les USA et le Japon, qui, comme nous, ont indiqué être prêts à aider. Je salue aussi toutes les initiatives citoyennes et les actions de solidarité en Belgique. Nous sommes aux coté du peuple marocain et le resterons ».

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