Pourquoi l’Afrique des Grands lacs demeure hors des radars médiatiques
Les conflits dans l’Afrique des Grands lacs, en RDC, au Rwanda et Burundi, peinent à capter les radars médiatiques en dépit de millions de morts et de nombreuses exactions, ont déploré de grands reporters à l’occasion du prix Bayeux en France.
« Les guerres au Kivu, les cendres du génocide rwandais, les tourments du Burundi… Aujourd’hui, on parle très peu de ces conflits en interaction les uns avec les autres », résumait vendredi Eric Valmir, de la radio France Inter, lors d’un débat à Bayeux (nord-ouest) dans le cadre du Prix des correspondants de guerre.
« La précarité de la profession, la dangerosité du reportage sur le terrain font qu’il est extrêmement compliqué, dans la logique des chaînes +tout info+, d’avoir une écoute », a poursuivi ce journaliste, chef du service reportage de la radio publique.
Et sur ce « territoire immense, il est difficile de trouver des images, et même des sons, de la guerre en train de se faire », a souligné Justine Brabant, une journaliste indépendante spécialiste du Kivu, dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC).
Le Nord-Kivu est déchiré depuis plus de vingt ans par des conflits armés alimentés par des différends ethniques et fonciers, et par la concurrence pour le contrôle des ressources minières et des rivalités entre puissances régionales.
« On parle ici à Bayeux de la Syrie, de la Libye… La particularité du Congo, c’est que c’est une guerre qui ne saute pas au visage quand on arrive sur place. C’est une guerre qui est silencieuse par certains aspects », a expliqué Justine Brabant.
Dans une RDC grande comme 80 fois la Belgique, « ça se passe dans des villages (…), la nuit », a-t-elle détaillé.
Et les reporters se heurtent à l’impossibilité même de chiffrer précisément le nombre de morts en RDC, ravagée par deux guerres régionales entre 1996 et 2003.
« Le dernier recensement en RDC date de 1984. Les humanitaires sérieux s’accordent à dire qu’il y a eu des millions de morts au Congo depuis 1996 », selon la journaliste indépendante.
– ‘Frappé, torturé’ –
La couverture médiatique de cette région est aussi lourdement handicapée par les persécutions dont sont victimes les journalistes africains, en particulier burundais.
Couvrir le Burundi, « c’est aujourd’hui très très difficile, même les journalistes étrangers sont suivis par la police », a témoigné Esdras Ndikumana, correspondant burundais de l’AFP et de Radio France internationale, joint par téléphone lors du débat à Bayeux.
Après un durcissement du régime en 2015, « j’ai été frappé, torturé. J’ai eu une hémorragie interne », a confié le journaliste, qui a dû quitter son pays en août 2015 et continue de couvrir l’actualité burundaise depuis l’étranger.
Le Burundi est plongé dans une grave crise émaillée de violences depuis que le président Pierre Nkurunziza a annoncé en avril 2015 sa candidature à un troisième mandat, pour lequel il a été élu trois mois plus tard.
Couvrir le Burundi, « ça m’a été possible, mais pour les Burundais c’est extrêmement difficile. Encore aujourd’hui, j’ai appris qu’une consoeur avait été arrêtée », a renchéri Pierre Benetti qui couvre ce pays pour le quotidien français Libération.
Même constat de la part de Justine Brabant: « En tant que Blanc, on est relativement protégé parce que les groupes armés savent qu’il y a des diplomaties derrière. Les journalistes congolais ont bien plus de mérite que nous », a souligné la journaliste.
« Au Kivu, il n’y a pratiquement plus de reporters. Les gens sont obligés de se censurer », a ajouté Deo Namujimbo, journaliste originaire de Bukavu, contraint à l’exil il y a sept ans alors qu’on menaçait de « lui faire la peau », à lui et sa famille.
Il était présent à Bayeux vendredi. Son frère Didace, également journaliste, a lui été assassiné en RDC en 2008.
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