Pourquoi la solidarité envers les Ukrainiens n’a pas duré
Le mouvement d’entraide avec les Ukrainiens s’expliquait, au début de la guerre, par la proximité et leur statut de victimes. Toutes les études montrent qu’il ne peut pas durer, analyse Bernard Rimé, professeur émérite de psychologie à l’UCLouvain.
Au début de la guerre, les Ukrainiens ont suscité un large mouvement de solidarité. Comment l’expliquez-vous?
Il y a un principe général, établi de très longue date par d’innombrables recherches, sur les relations sociales, les amitiés, les préférences…: la ressemblance est un facteur clé de la solidarité et du rapprochement avec les personnes. Plus l’autre est semblable, plus on se rapproche de lui en cas de difficultés. C’est un déterminant majeur des relations sociales. Si on compare notre attitude à l’égard des Ukrainiens à celle que nous avons eue envers les Syriens, il est évident qu’elle a été différente. L’ explication qui est proposée par la recherche est ce facteur de similarité. Les Ukrainiens sont Européens. Leurs traditions religieuses sont proches des nôtres… Autant de facteurs qui font que le rapport s’établit de façon plus aisée avec les Ukrainiens qu’avec les Syriens.
Les gens ne sont pas enclins à affronter longtemps le malheur.»
Bernard Rimé, professeur émérite de psychologie à l’UClouvain
Le sentiment de faire partie du même camp sur l’échiquier géopolitique favorise-t-il aussi les relations?
La lecture que nous avons des événements établit que ce sont les Ukrainiens qui sont attaqués et victimes. On a une vision très claire à ce sujet, peut-être même un peu forcée. Car si on creuse un peu l’histoire du conflit – et là je sors de mon secteur de compétence, donc je suis prudent – c’est peut-être un peu plus compliqué que la simple victimisation de l’Ukraine.
L’accueil de réfugiés accroît-il la disposition à la solidarité?
Tout dépend de la manière dont se passent les choses. On a observé des cas où des personnes n’avaient pas bien vécu la cohabitation avec les réfugiés ukrainiens. Dans d’autres, elle se déroule de manière exemplaire. Cela dépend des circonstances auxquelles les personnes sont confrontées.
La solidarité s’étiole-t-elle nécessairement avec le temps?
Les études montrent qu’au moment où le drame se produit, un immense mouvement de solidarité apparaît. Il se traduit dans la générosité des gens, dans les dons qu’ils font, tant au plan financier que matériel. On l’a bien vu avec les inondations en Wallonie. Statistiquement, ce phénomène de solidarité spectaculaire dure de six à huit semaines. Après, il commence à s’étioler, d’une part parce les gens ont d’autres soucis et retournent à leurs préoccupations quotidiennes, d’autre part, parce que les gens ne sont pas enclins à affronter longtemps le malheur. S’occuper de réfugiés, de personnes en difficulté, de victimes de catastrophe, c’est être en lien avec le malheur, donc avec la fragilité humaine, avec notre mortalité… Cela, les gens ne peuvent pas le supporter très longtemps. La vie quotidienne est marquée par le déni et l’oubli de notre fragilité.
Des actions comme les discours du président Zelensky peuvent-elles entretenir plus longuement le mouvement de solidarité?
Oui, comme tous les facteurs, notamment par rapport à l’information que l’on reçoit, qui feront que l’on continue à porter de l’attention à cette guerre. Cela maintient les citoyens en haleine. Mais, sur le long terme, il n’y a pas de doute que l’intérêt faiblira.
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