© iStock

Pourquoi la migration est (généralement) bonne pour l’économie

Jelle Dehaen Journaliste Knack, historien et philosophe

Sur le plan économique, la migration est une bonne chose. Pour le migrant et pour le pays d’accueil, même si les avantages sont surtout pour la classe supérieure.

Indépendamment des tensions culturelles qui dominent le débat sur la migration, il est intéressant d’étudier l’impact de la migration sur la productivité et la prospérité.

La plupart des économistes pensent que la migration, particulièrement au niveau mondial, mène à la croissance économique. La théorie sous-jacente est assez simple. Dans les pays sous-développés, les gens ne peuvent pas être productifs. Sans écoles, entreprises stables ou état qui fonctionnent bien, il est très difficile, même pour les individus les plus talentueux, de construire quelque chose. Quand ces gens sont engagés dans une économie développée, ils peuvent montrer leur productivité.

Une étude réalisée par l’Institut McKinsey Global démontre que 3,4% de la population mondiale se compose de migrants. Pourtant, ils sont responsables de 10% du produit mondial brut. En 2015, les migrants ont produit environ sept billions de dollars de services et de biens, c’est-à-dire trois billions de dollars de plus que s’ils étaient restés dans leur pays natal.

400 millions de migrants

Il est évident que le migrant s’enrichit en se rendant dans un pays développé. Il faut néanmoins ajouter que la migration demande un certain capital et un esprit d’entreprise. Généralement, les migrants qui entreprennent un voyage de milliers de kilomètres n’appartiennent pas aux couches inférieures absolues de la société.

La migration est un désir moins universel qu’on ne le pense, explique l’économiste et spécialiste de la migration Joel Machado (Université de Luxembourg). « Si nous ouvrions toutes les frontières, environ 400 millions de personnes émigreraient », déclare Machado. « C’est beaucoup, mais moins que ce qu’on pense. Beaucoup de migrants potentiels n’ont pas les moyens de partir. Ou ils ne veulent pas abandonner leur famille. »

Pourtant, la migration se révèle un bon investissement, écrivait The Economist cette semaine. Parmi les migrants de pays assez développés – les Mexicains qui immigrent aux États-Unis par exemple – le revenu augmente de 250%. Les habitants de pays pauvres tels qu’Haïti voient souvent leur salaire augmenter de 1000 ou même de 1500%.

Mais la migration ne ruine-t-elle pas le pays d’origine? Ne risque-t-il pas une fuite de cerveaux si les diplômés de l’enseignement supérieur partent en Occident ? Machado n’est pas d’accord. « Les migrants hautement qualifiés reviennent souvent et ramènent des connaissances, du capital et des compétences qu’ils n’auraient jamais pu apprendre chez eux. » Mais même s’ils ne reviennent pas, il y a des avantages », dit Machado. « Les migrants discutent avec ceux qui restent et ces derniers apprennent de nouvelles choses. »

Et même quand beaucoup d’habitants hautement qualifiés migrent, ce phénomène n’entraîne pas forcément une fuite de cerveaux. Machado : « Aux Philippines, beaucoup de femmes font des études d’infirmière pour aller travailler aux États-Unis ou en Europe. Ces bonnes perspectives incitent les Philippins à étudier. Et une partie de ces infirmières n’émigreront jamais. De cette façon, les Philippins auront un afflux de cerveaux et il y aura plus de main-d’oeuvre bien formée. »

Émancipation de la femme occidentale

Il est plus surprenant que dans le pays hôte aussi, la migration entraîne une croissance économique.

Une étude du Fonds monétaire international (FMI) révèle que les migrants entraînent une hausse du PIB. Et même si au début l’état doit investir dans l’accueil et la formation de migrants, après un certain temps ils paient plus d’impôts que ce qu’ils ont eu besoin de subsides.

Après la Seconde Guerre mondiale, de grands groupes de migrants originaires d’Europe du Sud et d’Afrique du Nord ont migré en Europe occidentale. Ces vagues de migration ont entraîné beaucoup de tensions sociales, culturelles et religieuses, mais elles étaient bénéfiques pour l’économie européenne.

Joel Machado: « Beaucoup de migrants se sont retrouvés dans le secteur de la construction ou l’industrie du fer. Plus tard, ces gens allaient nettoyer ou étaient engagés dans le secteur des services. C’était bon pour le PIB, car ces gens faisaient des jobs dont les autochtones ne voulaient pas. »

Le FMI est arrivé à la même conclusion. Celui-ci cite d’autres raisons qui expliquent pourquoi les migrants sont bons pour l’économie. Ils ont contribué à l’émancipation de la femme. Grâce à son aide-ménagère marocaine bon marché, la femme au foyer occidentale a pu aller travailler et s’épanouir. Et suite à la hausse du nombre de migrants peu qualifiés, les autochtones peu qualifiés devaient également mieux se former pour rester compétitifs. Finalement, cela leur a fourni de meilleurs jobs et leur a permis d’innover.

Les migrants concurrencent les migrants

Pourtant, les pays d’accueil doivent également tenir compte d’un certain nombre de désavantages. Les avantages économiques de la migration ne sont pas répartis équitablement et bénéficient beaucoup plus à la classe supérieure qu’à la classe inférieure. Si à long terme, l’autochtone peu qualifié s’enrichit par la migration à court terme, il doit concurrencer des migrants prêts à travailler pour moins d’argent. Cela entraîne une perte de salaire et une grande précarité d’emploi.

Ironiquement, ce sont les anciens migrants qui en souffrent le plus. Sur le plan socio-économique, les migrants arrivés il y a plusieurs décennies (et leurs descendants) se sont souvent moins formés que les autochtones, car ils doivent affronter la concurrence avec de nouveaux migrants pour les emplois mal payés.

Pour éviter ce genre de problèmes économiques et sociaux, l’état a intérêt à partir à la recherche de migrants complémentaires au marché du travail existant et qui concurrencent peu les citoyens. S’il y a beaucoup d’offres d’emplois dans le secteur de la construction par exemple, tout le monde bénéficiera de le la migration de maçons. Mais s’il y a déjà trop de femmes de ménage, à court terme, les nouvelles femmes de ménage entraîneront des salaires plus bas et plus d’insécurité d’emploi.

Cependant, tous les effets positifs de la migration partent de la prémisse que les migrants sont intégrés sur le marché du travail. Il y a toutefois certaines indications que les réfugiés syriens en Belgique ont du mal à trouver un boulot. Si l’on veut que cette migration soit un succès, l’état doit investir en formations et en suivi de carrière.

La migration comme nécessité

Les personnes hautement qualifiées peuvent également migrer. Historiquement, l’Europe s’en tire moins bien que le monde anglo-saxon. Il y a des décennies que les États-Unis et le Canada mènent une politique de migration plus stricte qui les pousse à accorder un permis de séjour aux diplômés de l’enseignement supérieur, même si l’Europe fournit un effort de rattrapage.

Dans certains secteurs – tels que l’ICT – la concurrence avec les migrants a également entraîné une perte d’emplois parmi les autochtones. Généralement, les avantages de migrants hautement qualifiés sont déterminants, car ils garantissent l’innovation et les hausses de productivité.

En Amérique, les migrants hautement qualifiés sont même devenus indispensables. Une partie considérable des prestataires de soins américains – autant les médecins que les infirmiers – sont étrangers. Comme les États-Unis risquent un manque de médecins, l’arrêt de flux migratoires entraînerait d’énormes problèmes en soins de santé. Dans les petits villages, il n’y aurait plus aucun médecin. Outre les problèmes humanitaires, cela entraînerait un coût économique important.

Ce n’est pas la seule raison pour laquelle la migration peut demeurer nécessaire pour l’avenir. Suite au vieillissement, de moins en moins de gens doivent payer une sécurité sociale de plus en plus coûteuse. Cela joue déjà aujourd’hui. Dans les pays développés, la moitié de la hausse du nombre d’ouvriers est due aux migrants. À l’avenir, une augmentation (temporaire ou non) du nombre de migrants pourrait s’avérer indispensable pour continuer à faire tourner notre économie.

Tensions sociales

La migration est bonne pour l’économie, même si ce n’est pas toujours à court terme, et elle est meilleure pour les riches que pour les pauvres. Il faut néanmoins ajouter que les désavantages socio-économiques de la migration, qui influencent évidemment aussi la prospérité sont difficiles à quantifier.

Joel Machado est conscient de ces problèmes, mais trouve que le débat tourne trop autour de tous ces inconvénients. « Aujourd’hui, on tient trop peu compte des conséquences économiques de la migration, car au niveau mondial la migration exerce des effets très positifs. »

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire