Des avions de combat envoyés en Ukraine ? « Les pays occidentaux ont intérêt à rester prudents »
Seulement quelques jours après la validation d’une livraison de chars à l’Ukraine, un nouveau débat émerge: l’envoi d’avions de chasse. Si certains pays sont pour, d’autres mettent leur veto. Pourquoi ce débat et quelles conséquences éventuelles sur le déroulement de la guerre ? La réponse avec André Dumoulin, professeur invité à l’ULiège et chercheur à l’Institut royal supérieur de Défense.
Des avions de combat à l’Ukraine, la livraison de trop ? C’est du moins la position des États-Unis. Mardi dernier, le président américain Joe Biden a clairement fait savoir qu’il ne compte pas livrer de F-16. D’autres pays occidentaux partagent son avis, comme l’Allemagne et le Royaume-Uni. Mais des pays comme l’Estonie, les Pays-Bas ou encore la Pologne ne sont pas réfractaires à l’idée, certains seulement en cas de consensus avec l’OTAN. D’autres encore, comme la France, restent flous quant à leur réponse, affirmant que « rien n’est exclu ». La Belgique, quant à elle, se positionne également contre, expliquant qu’en attendant les avions F-35, qui n’arriveront qu’en 2025, le pays ne peut pas se passer de ses F-16.
Si le sujet fait déjà débat, il n’y pourtant encore eu aucune demande explicite de la part de l’Ukraine, comme le souligne André Dumoulin, chercheur à l’Institut royal supérieur de Défense (IRSD). « Pour l’instant, si on en croit les officiels, il n’y a justement pas de demande officielle. Ce serait contre-productif pour Kiev: ils n’ont pas encore reçu les chars de combat qu’ils demanderaint encore autre chose. A un moment donné, cette espèce de fuite en avant technologique et capacitaire pourrait se retourner contre eux, ou contre nous. »
Ce retour de bâton envers les pays occidentaux est un argument majeur dans la prise de position des pays récalcitrants à l’idée d’une potentielle livraison. Une crainte qui se justifie, à en croire le Kremlin, qui verrait cette offre comme une limite dépassée par l’OTAN et ses pays membres.
« L’avion peut casser les zones arrières bien plus facilement qu’une artillerie qui, elle, peut aller jusqu’à 25km. C’est tout le problème, jusqu’où s’arrête-t-on ? »
Risque de débordements
Construits par la société américaine General Dynamics, les avions de chasse F-16 Fighting Falcon qui font tant débat ont de nombreuses capacités. Cet avion polyvalent peut notamment « faire de l’interception, de la reconnaissance photographique, des frappes air-sol, des tirs à distance de sécurité, de la police de l’air. »
Leur efficacité est tellement grande que son utilisation est un risque énorme, notamment dans le cas dans le cas d’un débordement en zone russe. « Vous pouvez définir avec Kiev une livraison d’avions de combat pour un but bien précis, mais rien n’empêche qu’ils soient utilisés comme tel et qu’ils ne débordent pas en Russie », indique André Dumoulin. « Si ce sont pour des frappes air-sol, au niveau des portées, l’avion peut casser les zones arrières bien plus facilement qu’une artillerie qui, elle, peut aller jusqu’à 25km. C’est tout le problème, jusqu’où s’arrête-t-on ? C’est un débat à n’en plus finir. Les pays occidentaux ont intérêt à rester prudents. »
Dans le cas précis d’une frappe ukrainienne en zone russe avec une arme occidentale, le conflit pourrait prendre une tout autre tournure, avec des conséquences sans précédent sur les pays de l’OTAN. « Il n’y aurait pas d’escalade de la violence parce que la violence est déjà là. Les pays de l’OTAN et de l’UE seraient plutôt pris dans un engrenage par l’usage immodéré d’une aviation qui pourrait frapper des cibles jusqu’en Russie. A ce moment-là, Moscou pourrait rapidement déterminer que la frappe serait faite à partir d’un avion livré. »
Dans tous les cas, rien ne se fera sans les USA, assure le chercheur à l’IRSD. Étant un produit américain, les avions de chasse F-16 sont soumis à des règles de réexportation strictes. Ce serait donc seulement une fois Joe Biden convaincu que la potentialité d’une livraison deviendrait envisageable.
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