Pourquoi la destitution de Donald Trump n’est pas dans l’intérêt des Démocrates
Un an après l’élection de Donald Trump, les divergences d’opinions entre la ligne Sanders et la ligne Clinton ont été reléguées au second plan. La question centrale qui se pose aujourd’hui pour les Démocrates est de savoir s’il faut demander la destitution du président américain.
Comme le titrait Ouest-France dans l’un de ses articles, le député démocrate Al Green pourrait-il devenir le pire cauchemar de Donald Trump ? Peut-être pas. Le « Congressman » démocrate avait déjà pris la parole devant ses collègues le 17 mai dernier, pour appeler à la destitution du président des Etats-Unis, avant de remettre le couvert le 11 octobre, lors d’une séance au cours de laquelle il a présenté sa résolution, longue de 15 pages. Dans celle-ci, l’élu démocrate n’a pas pointé un « crime » en particulier, mais reprenait simplement des actes commis et des paroles prononcées par Donald Trump, allant « des appels à la suprématie blanche au sexisme, en passant par la haine, le sectarisme ou encore le racisme ».
La procédure « d’impeachment » étant prioritaire dans la loi américaine, Al Green aurait pu l’imposer au vote, mais n’a finalement pas (encore) franchi le pas. Et paradoxalement, les leaders Démocrates poussent un « ouf » de soulagement. Mais pourquoi la demande de destitution du président américain ne servirait-il pas, actuellement, leurs intérêts ?
Nancy Pelosi, la cheffe de groupe des Démocrates à la chambre des représentants avait parlé à Green le matin même, et le moins que l’on puisse dire, c’est que la « Congresswoman » n’avait pas du tout envie de lancer une procédure de destitution, du moins, pas maintenant.
La destitution comme thème central de campagne, une bonne idée ?
Dans une course électorale déjà lancée, plusieurs experts et élus démocrates d’un Etat où les résultats sont serrés estiment que lancer une procédure de destitution détournerait l’attention des prochaines élections, alors que le parti démocrate espère reconquérir la chambre des représentants aux élections de mi-mandat, et même si cela semble moins probable, le Sénat. Les leaders se pressent dès lors de qualifier la procédure « d’impeachment » de prématurée, redoutant que celle-ci devienne un « cri de ralliement » des supporters du milliardaire américain.
Plusieurs membres de la base électorale du parti démocrate ne l’entendent, eux, pas de cette oreille. Plusieurs groupes d’activistes ont d’ailleurs demandé en juin dernier de lancer effectivement la procédure de destitution. C’est le cas du milliardaire Tom Steyer, le plus grand donateur du parti, qui a récolté environ 1 million de signatures en faveur de la procédure de destitution. « Nous ne le faisons pas pour des raisons purement politiques, nous le faisons parce que nous pensons réellement que la sécurité et le bien-être des Américains sont en danger », déclarait-il au journal Politico.
Steyer explique dans un article de Slate, qu’il s’est senti obligé d’agir suite au silence des Démocrates sur la question, alors que, selon lui, « il est évident pour la majorité de la population américaine – ou en tout cas pour la très grande majorité des Démocrates – que ce type (Trump, NDLR) doit partir. »
La dernière fois que la procédure « d’impeachment » avait été le point central d’une campagne électorale, ça ne s’était pas bien passé. En 1998, le parti républicain avait cru que les scandales sexuels de Bill Clinton allaient être du pain béni, et avait fait de la destitution du président américain le thème principal de sa campagne. Pas de chance pour lui, les Démocrates s’étaient à l’époque ralliés autour de leur président, et les Républicains avaient vu le piège se renfermer sur eux-mêmes. Les Démocrates avaient, cette année-là, remporté cinq sièges de plus à la chambre des représentants, ce qui expliquerait, aussi, en partie, pourquoi les leaders du parti de l’âne ne veulent absolument pas s’engager sur ce terrain glissant. En 1998, les Démocrates se sont également emparés de la gouvernance de la Californie, acquise aux Républicains depuis vingt ans.
C’est pourquoi aujourd’hui Nancy Pelosi essaie d’éviter que la même erreur soit commise. Les leaders Démocrates préconisaient plutôt d’attendre les conclusions du procureur spécial Robert Mueller, chargé d’enquêter sur les éventuelles ingérences russes durant la campagne présidentielle de l’année dernière.
Steyer, un « boulet » pour les Démocrates ?
Pelosi et les Démocrates ont surtout envie de placer le programme économique de Donald Trump au centre des discussions, car, selon eux, « il mérite d’y être ».
Pour certains élus Démocrates, se positionner sur le dossier reste délicat. Si certains soutenaient « l’impeachment », ils pourraient se mettre à dos les modérés du parti, mais si certains ne le préconisaient pas, alors ils risqueraient de voir « l’aile gauche » démocrate organiser des élections « de représailles ». C’est la situation qu’a connue la sénatrice de Californie, Dianne Feinstein, qui a préconisé « de la patience » envers Donald Trump. Ces déclarations lui ont évidemment valu une vague de reproches, si bien qu’un candidat « plus à gauche » pour les primaires vient d’émerger.
La campagne en faveur de la destitution lancée par Steyer contrecarre en tout cas les plans des leaders démocrates. Le mot « impeachment » tapé dans Google amène directement à ses spots publicitaires. Certains pensent que la campagne de Steyer va faire du tort à des candidats de circonscriptions serrées, comme dans le Dakota du Nord ou dans le Missouri. Nancy Pelosi, visiblement agacée, a appelé directement Steyer pour lui dire que « sa campagne détournait l’attention. »
Pour l’instant, les leaders Démocrates ont réussi à éviter un vote officiel sur la procédure « d’impeachment », alors que de nouvelles initiatives émanent de la base du parti. Brad Sherman, un élu de Californie, a lui aussi proposé une procédure de destitution, alors que le « Congressman » de l’Illinois, Luis Gutierrez, a annoncé qu’il allait porter de nouvelles accusations avant le 23 novembre, date de Thanksgiving.
Dans l’article de Slate, on apprend qu’Al Green ne semblait pas très à l’aise de reconnaître que faire passer sa résolution pouvait nuire à ses collègues. Il explique qu’il ne cherchait pas à faire pression en faveur de sa proposition. Il est, en effet, plus aisé de s’engager sur un terrain glissant comme celui-là quand on provient d’une circonscription qui semble gagnée d’avance (et c’est le cas pour Green).
D’un côté, les défenseurs de la résolution sur « l’impeachment » estiment que leurs initiatives sont un impératif moral, et que le président n’est actuellement « pas apte à remplir sa fonction ». De l’autre, les Démocrates « pragmatiques » souhaitent se concentrer sur les prochaines élections, et ne veulent surtout pas qu’une résolution aussi « casse-gueule » (selon eux) vienne tout compromettre.
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