Les politiques anti-Covid de certains Etats, comme la Chine, ont contribué à la dégradation de l’état des libertés dans le monde. © belgaimage

Pourquoi la démocratie ne séduit plus autant dans le monde

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

Les atteintes aux libertés et à l’Etat de droit se multiplient à travers le monde et une «alternative» à la démocratie tente de s’imposer.

Le recul de la démocratie dans le monde n’est pas qu’une impression vaguement fondée sur l’apparition dans l’actualité du concept de démocratie illibérale ou sur la résurgence à haute fréquence de celui de coup d’Etat militaire. C’est une réalité objectivée.

Le Democracy Index de l’hebdomadaire britannique The Economist est un des baromètres les plus sérieux de l’état de la démocratie dans le monde. Il a été établi pour la première fois en 2006. Entre cette date et l’année 2022, l’indicateur de démocratie de l’ensemble des pays du monde est passé de 5,52 points sur 10 à 5,29.

En régression

Cette régression n’est pas insignifiante. Pour preuve, en 2020, la part de la population mondiale qui, selon le Democracy Index, vivait en démocratie, entière ou imparfaite, s’élevait à 49%. En 2022, elle ne représentait plus que 45,3%. Le nombre d’Etats soumis à un régime hybride ou autoritaire passait respectivement de 35 à 36 et de 57 à 59. L’étude de The Economist concerne 167 pays et territoires, elle n’intègre pas les micro-Etats.

Sont analysés par l’Economist Intelligence Unit le processus électoral/le pluralisme, les libertés civiles, le fonctionnement du gouvernement, la participation politique et la culture politique. Sur cette base, les Etats sont classés dans quatre catégories: les démocraties à part entière, les démocraties imparfaites, les régimes hybrides et les régimes autoritaires.

36,9% Telle est la part de la population mondiale qui vivait en 2022 sous un régime politique autoritaire, selon le Democracy Index de The Economist.

La régression démocratique dans quelques pays a contribué à ce sombre panorama général. Les plus mauvais élèves au cours des 17 années d’auscultation furent le Venezuela, passé de 5,42 points en 2006 à 2,23 en 2022 (soit – 3,19), le Nicaragua (- 3,18), le Mali (- 2,76), la Russie (- 2,74) et l’Afghanistan (- 2,74).

Le paradis en Europe

Dans le Top 10 du Democracy Index, figurent huit Etats européens (Norvège, en tête, Islande, Suède, Finlande, Danemark, Suisse, Irlande, Pays-Bas), un océanique (Nouvelle-Zélande, deuxième) et un asiatique (Taïwan). Mais l’Asie fournit aussi six Etats parmi les dix derniers classés (Afghanistan, dernier, Birmanie, Corée du Nord, Syrie, Turkménistan, Laos). Quatre pays africains complètent ce Flop 10: Centrafrique, République démocratique du Congo, Tchad et Guinée équatoriale.

La Belgique en 18e place

L’Afrique sub-saharienne (la délimitation géographique par groupes de pays du Democracy Index ne s’aligne pas sur le découpage par continents) n’est pourtant pas la région du monde avec l’indice démocratique le plus bas de la planète (indice moyen de 4,14). C’est la zone Moyen-Orient/Afrique du Nord qui le détient, avec 3,34 points.

Au sein de l’Union européenne, la démocratie a régressé dans 22 Etats entre 2006 et 2022. Elle s’est maintenue à un niveau équivalent dans deux autres, la France et la Lettonie. Et elle a progressé dans trois derniers: la Finlande, l’Irlande et l’Estonie. La Belgique se place à la 18e position du palmarès des pays de l’Union (36e du classement global) avec un indice de 7,64, loin derrière la Suède, première des Vingt-Sept (9,39) mais aussi à bonne distance du moins démocratique des Etats membres, la Roumanie (6,45). Les points faibles belges sont recensés dans la participation et la culture politiques.

Des Brics autoritaires

Outre qu’elle a certainement encore alourdi le passif de la Russie en matière d’atteintes aux libertés par rapport au classement de 2022, la guerre en Ukraine a consacré un début de division du monde entre les défenseurs d’une démocratie et les courtisans de deux grandes puissances, énergétique (la Russie) et éco- nomique (la Chine).

Les seconds se concentrent dans le cénacle des Brics (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) qui, lors de leur quinzième sommet du 22 au 24 août dernier à Johannesburg, ont invité six autres Etats à rejoindre le club. Résultat: les Brics en format élargi comptent quatre démocraties imparfaites (Afrique du Sud, Inde, Brésil, Argentine) et sept régimes autoritaires (Ethiopie, Egypte, Emirats arabes unis, Russie, Arabie saoudite, Iran, Chine).

Les quatre derniers cités figurent dans les 25 pires défenseurs de la démocratie. De là à soutenir que le conflit ukrainien exacerbe une confrontation entre un «monde libre» et une alternative autoritariste, il n’y a qu’un pas, vite franchi. Et il n’est pas sûr que le premier camp en sorte nécessairement gagnant. Quoique…

L’influence croissante de la Chine

Un sondage de l’ONG Open Society Foundations, réalisé dans trente pays entre mai et juillet 2023 et publié en septembre, révèle que la Chine est considérée comme le pays dont l’influence dans le monde d’ici à 2030 sera la plus grande (32% des sondés le pensent), devant les Etats-Unis (26% ).

Quarante-cinq pour cent des personnes interrogées pensent que celle-ci sera positive, 25% qu’elle sera négative. En revanche, les valeurs portées par la Chine n’attirent que 15% des sondés. Celles des Etats-Unis (29%), du Royaume-Uni (27%) ou de la France (20%) sont davantage plébiscitées, ce qui tendrait à prouver que la démocratie et le mode de vie qui l’accompagne ont toujours l’ascendant.

Ce constat ne doit cependant pas empêcher de se pencher sur les pathologies de la démocratie à l’occidentale. «Pour combler le fossé entre les attentes de la population et ce que les gouvernements peuvent offrir, il faut un nouveau contrat social fondé sur des délibérations inclusives dans la société. La lutte contre les inégalités, la corruption et les changements climatiques doit être au cœur des débats», plaidait, en août 2022, Michelle Bachelet, la Haute-Commissaire des Nations unies aux droits de l’homme. Il en va de la survie de la démocratie.

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