Les principaux affrontements de la contre-offensive ukrainienne se déroulent au sud de Zaporijia. © getty images

Pourquoi la contre-offensive ukrainienne sera longue et périlleuse

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

L’armée ukrainienne concentre ses premières opérations dans le sud de Zaporijia et sur les flancs de Bakhmout. Mais la Russie semble avoir, en partie, appris de ses erreurs de 2022.

Elle n’a pas encore atteint son plein déploiement, loin de là. Mais désormais, la contre-offensive ukrainienne, en vue de la reconquête des territoires occupés par la Russie depuis le déclenchement de la guerre le 24 février 2022, est bel et bien engagée. Le président Volodymyr Zelensky a admis, le 12 juin, que les combats étaient difficiles tout en indiquant que l’armée ukrainienne progressait. Abondant dans ce sens, la vice-ministre de la Défense, Hanna Malyar, a annoncé la reprise de sept villages, pour un territoire évalué à 90 km2. Mais ce ne sont pas moins de 67 000 km2 que les forces russes occupent chez leur voisin. Ironie du déroulement d’une opération évoquée depuis des mois mais fixée à ce printemps pour bénéficier d’un environnement météorologique propice, c’est sous la pluie que les premières avancées ont été menées. De quoi compliquer un peu plus la tâche du camp menant l’offensive au bénéfice de celui qui tente de la contrer.

L’effort ukrainien est encore limité, en volume de forces engagées et en taux d’engagement.

Le «silence opérationnel» imposé légitimement aux Ukrainiens ne facilite pas la compréhension de l’ensemble des opérations. Certaines peuvent servir à tromper l’ennemi, d’autres à tester ses défenses et les dernières à forger de réelles avancées. Le 13 juin, sur six axes s’inscrivant potentiellement dans le cadre de la contre- offensive, trois semblaient particulièrement actifs. L’un concerne le front de la ville de Bakhmout, devenue célèbre pour la bataille que les belligérants y ont menée pendant huit mois à l’avantage des Russes, qui en avaient définitivement conquis le centre le 20 mai. L’offensive de ces derniers jours, au nord et au sud de la ville, a offert au président Zelensky sa première proclamation de victoire. Dans ses allocutions vespérales des 5 et 8 juin, il a exprimé sa reconnaissance envers «tous nos guerriers, tous nos défenseurs» adressant un message particulier à ceux déployés dans la ville de l’oblast de Donetsk: «Et en direction de Bakhmout, bien joué!»

Six lignes de défense

Il apparaît toutefois que les combats les plus acharnés de la phase d’effort engagée à partir du 7 juin ont été localisés plus au sud, au sud-ouest et au sud-est de la ville de Zaporijia. Le premier de ces deux fronts se développe sur une ligne allant de la localité de Kamyanske, en bordure du Dniepr, jusqu’à celle de Mala Tokmachka. Lobkove est le premier village repris dans cette zone. L’avancée sur le deuxième de ces fronts, au sud-est de Zaporijia, s’avérait, le 13 juin, plus profonde. Au sud de la ville de Vremivka, ce sont six villages qui ont été conquis par l’armée ukrainienne, dont ceux de Novodarivka et Levadne sur un premier axe, et ceux de Storozheve, Neskuchne et Makarivka sur un second. On est là à la frontière entre les oblasts de Zaporijia et de Donetsk. La percée ukrainienne dans cette région semble avoir pour premier objectif de s’emparer de la ville de Tokmak, première étape avant une percée rêvée vers la ville de Melitopol, sur la mer d’Azov. Mais l’armée russe y oppose une résistance vigoureuse. L’Institut pour l’étude de la guerre, à Washington, faisait état, le 12 juin, d’une contre-offensive dans la contre-offensive, de la part des Russes au niveau de Vremivka. Ils ont aussi détruit un barrage sur la rivière Mokri Yaly dans le village de Staromlynikva, sur le flanc sud de l’avancée ukrainienne.

Les débuts de la contre-offensive ukrainienne
Les débuts de la contre-offensive ukrainienne © National

Le comportement des troupes russes dans cette région semble démontrer que le combat ne sera pas aussi aisé pour la partie ukrainienne en 2023 qu’il l’avait été à l’automne 2022 quand elle avait couronné sa double offensive à l’est et au sud-ouest du pays de succès dans l’oblast de Kharkiv et à Kherson, première grande ville reprise à l’occupant. «Les Russes se sont adaptés et ont davantage de drones et de systèmes électroniques», témoignait un officier du renseignement ukrainien au Monde. L’artillerie, le soutien aérien, le brouillage électronique et l’usage des drones semble mieux coordonné. Surtout, ce qu’a repris entre les 7 et 13 juin l’armée de Kiev entre les provinces de Zaporijia et de Donetsk n’est qu’une première ligne de défense peu étoffée avant cinq autres qui, elles, seront constituées d’un attirail autrement plus fourni et solide, formé de tranchées, de champs de mines, d’abris en béton, de dents de dragon et étalé sur une profondeur d’une trentaine de kilomètres… «L’armée russe a non seulement construit un dispositif de défense en profondeur, mais elle semble pour l’heure le gérer convenablement. Les errements du printemps 2022 (NDLR: prélude à l’offensive ukrainienne de l’automne) semblent avoir laissé place à une conduite plus méthodique, en terrain plus prévisible», commente Stéphane Audrand, consultant et expert en questions de défense, dans une note publiée le 13 juin sur Theatrum Belli, le site indépendant d’information sur les conflits.

L’armée russe a construit un dispositif de défense en profondeur et semble pour l’heure le gérer convenablement.

Comme pour asseoir la force de cette résistance, le ministère russe de la Défense a annoncé la prise aux Ukrainiens de chars de combat allemands Leopard, de chars légers français AMX-10 RC et de véhicules de transport américains Bradley. De quoi, espère Moscou, faire réfléchir les Occidentaux sur la pertinence de leur assistance à l’Ukraine jusqu’à la victoire, et quoi qu’il en coûte…

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Des brigades en réserve

La solide opposition de l’armée russe ne doit pas pour autant inspirer un questionnement particulier sur la capacité de l’Ukraine à mener à bien sa reconquête. Les débuts de pareille opération exposent naturellement le camp qui est à l’offensive à des pertes humaines et à des dommages matériels. Pour Stéphane Audrand, «l’effort ukrainien est encore limité, à la fois en volume de forces engagées, mais aussi en taux d’engagement des unités engagées». Neuf brigades participeraient à ce stade à la contre-offensive, cinq du côté de Zaporijia, quatre sur le front du Donbass. Neuf autres n’auraient pas encore été engagées, ce qui laisse deux possibilités, soit renforcer les effectifs déjà opérationnels, soit déployer ces brigades en attente sur d’autres axes, en créant, le cas échéant, un effet de surprise. Il faut cependant constater que l’inondation du territoire du sud-ouest de l’Ukraine à la suite de la destruction du barrage de Kakhovka prive l’Ukraine d’un théâtre d’opérations long de trois cents kilomètres.

«La route de Melitopol est longue et de grandes incertitudes demeurent: l’état des stocks d’obus ukrainiens, l’état des stocks russes, la capacité de l’armée russe à mener des contre-attaques mobiles et le potentiel de l’aviation russe face à celui de la défense sol-air ukrainienne, insiste Stéphane Audrand. L’offensive s’étalera sans doute sur plusieurs semaines, et le succès ou l’échec sera fonction de la quantité de terrain repris et (surtout) des pertes subies pour ce faire. Une armée ukrainienne «relativement» préservée avec des gains modestes serait sans doute un bien meilleur résultat qu’une armée saignée par une offensive pour quelques kilomètres de plus.»

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