Laurent Raphaël
Pour une fois, c’est pas drôle…
Tristesse, fureur, dégoût, angoisse… L’attentat contre Charlie Hebdo n’a pas seulement décimé une rédaction entière, et endeuillé douze familles, il a aussi massacré un bien précieux de la démocratie, la liberté d’expression, et endeuillé du même coups des millions d’êtres épris de justice et de liberté.
Héritage des Lumières et clé de voûte universelle de cet Occident qui a certes des défauts mais aussi d’énormes qualités -on s’en rend compte quand ses acquis sont soudainement menacés-, le droit de se moquer des excès, des flatulences, des magouilles, des dérives de la part des puissants ou des cons n’est pas une concession allouée à quelques rigolos, c’est l’un des poumons de notre mode de vie pacifié et ouvert.
Les caricaturistes sont ces canaris qu’on trouve dans les mines. S’ils chantent c’est que tout va bien, s’ils meurent, c’est qu’il faut s’attendre au pire…
Que l’ignorance, l’obscurantisme, la haine ou le désespoir qui ont armé les assassins s’en prennent à ce symbole de la laïcité ne doit rien au hasard. Les caricaturistes, comme les artistes ou les intellectuels, sont ces canaris qu’on trouve dans les mines pour avertir du coup de grisou. S’ils chantent c’est que tout va bien, s’ils meurent, c’est qu’il faut s’attendre au pire… Voilà pourquoi le coeur de tous les démocrates saigne aujourd’hui. Charlie Hebdo est plus qu’un journal satirique, c’est une zone sensible de notre anatomie sociale.
Exposés et fragiles, les chevaliers de l’humour font office de rempart contre tous les fanatismes. Les barbares ont profané un sanctuaire. Un sanctuaire laïc, mais sacré pour tous ceux qui, quelles que soient leurs convictions, estiment que la démocratie est le moins pire des régimes. Et celui qui offre la meilleure protection à toutes ses composantes, en particulier celles qui dans le passé ou ailleurs sur la planète vivent au rabais, dans la peur et les souffrances: les femmes, les enfants, les pédés, les faibles…
On a envie de crier « No Pasaran! », comme les Républicains espagnols en 1936. Nous sommes tous orphelins , que l’on ait été ou pas nourri à l’esprit vachard de Cabu, Wolinski, Charb et Tignous -on frémit en écrivant tous ces noms à la suite… Une digue entière vient de céder sous les balles de l’ignominie. Mais parce que c’est ce qu’auraient voulu ces martyrs de la démocratie, nous ravalons notre chagrin pour nous tenir debout et clamer haut et fort notre attachement indéfectible à ces valeurs qu’ils défendaient contre vents et marées, et qui sont les meilleurs antidotes contre le poison de l’inhumanité. La flamme de la dérision a vacillé en ce jour funeste mais elle ne s’éteindra pas…
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici