Philippe Jottard
Pour une Défense européenne qui se fait respecter et une diplomatie européenne qui parle d’une seule voix (carte blanche)
Pour l’ambassadeur honoraire Philippe Jottard, la crise en Ukraine vient de souligner la faiblesse de l’Union européenne en matière de sécurité et de politique extérieures face à la Russie et aux Etats-Unis qui ont examiné entre eux la sécurité du continent sans inviter les Européens à la table des négociations.
Les échanges avec la Russie dans le cadre de l’OTAN et de l’OSCE ne peuvent occulter cette absence des Européens quand il s’agit de leur propre sécurité. Certains d’entre eux s’en accommodent. D’autres plus ambitieux veulent y remédier.
Depuis sa création il y a 73 ans pour faire face à l’Union soviétique, c’est l’OTAN qui assure principalement la sécurité de l’Europe. Cette alliance a rempli sa mission avec en prime un coût limité pour les Européens puisque le plus gros de l’effort militaire est américain. Cette réussite incontestable a toutefois des conséquences moins positives pour l’Europe dont la prépondérance excessive des Etats-Unis au sein de l’alliance. Ceux-ci ne tiennent pas toujours compte de leurs alliés et, à la suite de plusieurs déboires extérieurs, se montrent réticents à s’engager dans de nouveaux conflits. Dans le cas très hypothétique d’une guerre nucléaire, certains posent même la question de savoir s’ils exposeraient New York pour défendre Berlin ou Rome. L’extension du théâtre d’opération de l’OTAN en dehors de la zone euro-atlantique a aussi conduit à des échecs comme en Libye et en Afghanistan. On ne peut taire non plus la vive concurrence des armements américains pour l’industrie militaire européenne qui n’exporte aux Etats-Unis que le dixième des fournitures américaines d’armes à l’Europe. Dans ce bilan de l’OTAN, ajoutons l’attitude de la Turquie qui n’est pas celle attendue d’un allié.
Au bout du compte, l’OTAN a d’une certaine manière déresponsabilisé les Européens tout en assurant la prédominance des Etats-Unis en Europe au grand dam d’ailleurs de la Russie de Poutine. Les Européens ont leur part de responsabilité dans cette dépendance, conséquence sans doute inévitable de la protection dont ils bénéficient. Malgré sa richesse et en dépit de dépenses militaires nationales considérables si on les additionne, l‘Europe est en effet incapable de se défendre elle-même. La Russie, avec un P.I.B. équivalent à celui de l’Italie, dispose d’une armée qui se fait respecter. Depuis l’époque lointaine où l’Assemblée nationale française a rejeté la Communauté européenne de Défense, les Européens ont progressivement tenté de remédier à leur faiblesse et effectué des progrès vers davantage de coopération militaire. Malheureusement le constat d’inadéquation de la défense strictement européenne reste d’actualité. Aussi, pour ceux d’entre les Européens qui souhaitent y mettre fin, l’heure est-elle venue d’assurer l’autonomie stratégique de l’Europe sans pour autant renoncer à l’alliance atlantique. La réforme est délicate car il convient à la fois de rééquilibrer l’OTAN en faveur de l’Europe sans affaiblir l’alliance. Or Poutine veut réduire la présence des Etats-Unis en Europe et endiguer son expansion vers ses frontières tout en court-circuitant l’Union européenne. A ses yeux l’intervention de l’OTAN en Libye montre que l’alliance atlantique peut sortir de son caractère défensif et outrepasser une résolution du Conseil de Sécurité.
L’intégration européenne s’est réalisée sous la protection de l’OTAN. L’U.E. doit dorénavant effectuer un nouveau saut qualitatif sous la forme d’une intégration de sa défense comme de sa politique extérieure en mettant un terme à ses divisions. Il convient de saluer les progrès enregistrés grâce à la nomination d’un Haut-Représentant pour la politique extérieure et la politique de sécurité commune et la création du Service européen d’Action extérieure. Toutefois ces institutions n’ont pas encore conféré à l’Union l’efficacité suffisante pour défendre les intérêts des Européens sur la scène mondiale et ne jouissent pas de la visibilité nécessaire dans l’opinion. La raison en est leur caractère principalement intergouvernemental et le fait qu’elles coexistent avec les diplomaties nationales sans limitation des compétences de celles-ci en dehors du champ propre à la Commission. Aussi l’U.E. doit-elle progresser vers une politique extérieure unique qui soit de la compétence principalement de cette dernière avec la nomination d’un ministre européen des Affaires étrangères. Il importe aussi d’unifier la représentation extérieure de l’Union comme l’a démontré le regrettable incident du canapé à Ankara en abolissant le rôle du président du Conseil européen dans ce domaine et la préséance qu’il détient sur la présidente de la Commission. Le Service d’Action extérieure doit aussi perdre son caractère hybride pour se transformer en un véritable ministère européen des affaires étrangères. Ces réformes ne vont pas signifier la disparition de la représentation et des compétences extérieures des Etats-membres pour autant que la prééminence de la Commission dans la politique étrangère de l’Union soit reconnue.
Tout comme la défense nationale, la diplomatie a une valeur symbolique énorme pour les Etats, notamment les plus grands. Toutefois, pris individuellement les pays de l’Union européenne, y compris la France avec son siège au Conseil de Sécurité et son arme nucléaire, n’ont plus la dimension suffisante face à la Chine, aux Etats-Unis et à la Russie. La part globale des Européens dans la démographie et la richesse mondiales va d’ailleurs régresser inexorablement. Pour être crédible, l’unification de la politique étrangère de l’Union doit s’appuyer sur une capacité de défense autonome. Il est clair que ces réformes n’aboutiront pleinement que dans une étape ultime sous l’autorité d’un pouvoir européen élu au suffrage universel.
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