Plongée au coeur de la « jungle de l’enfer » de Dunkerque

Naomi Skoutariotis Journaliste pour Knack.be

Le camp de migrants de Calais a été rebaptisé la « jungle ». Celui de Dunkerque a écopé du doux nom de « jungle de l’enfer ». L’endroit où la boue froide et la galle éteignent les dernières lueurs d’espoir. Pourtant, comme à Calais, les 3 000 migrants du camp de Dunkerque ne veulent qu’une seule chose : Londres. Reportage.

Le camp de tentes dans la ville française de Dunkerque, non loin de la frontière belge, n’est qu’un triste ramassis de clichés sinistres. On s’y enfonce jusqu’aux chevilles dans la boue, les rats pullulent et l’eau des flaques a une étrange teinte rouge. Lorsqu’il pleut, tout est inondé et les gens souffrent d’infections respiratoires et de la galle.

Plongée au coeur de la
© Wouter Van Vaerenbergh

« Il va bientôt geler, ce qui va encore compliquer les choses. C’est tout simplement honteux. Il n’y a ici pratiquement que des bénévoles alors que ceux qui sont payés pour agir ne font rien. Il n’y a personne des Nations Unies, de la croix rouge ou encore de Save the children » selon Marnie de Aid Box Convoy (ABC). Effectivement, on ne remarque que peu d’organisation officielle sur le terrain. Seules l’ONG Salaam et la section française de Médecins Sans Frontières semblent actives. MSF a d’ailleurs transféré 15 de ses 30 collaborateurs de Calais vers Dunkerque.

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© Wouter Van Vaerenbergh

On ignore également le nombre exact de gens présents dans le camp. Selon les bénévoles, il y en a entre 2 600 et 3 000. Ce qui est certain, c’est que, chaque jour, de nouveaux migrants affluent dans le camp. Rien que ce mercredi (le 6 janvier 2015 NDLR) , le camp a accueilli près de 100 nouveaux arrivants. En août, ils n’étaient que 80 personnes à occuper ce même camp.

Les dernières semaines, l’humidité et le froid ont rendu les conditions de vie encore plus difficiles. Pour tenter d’y remédier, chaque nouvel arrivant reçoit un paquet avec draps et sacs de couchage. Et le personnel est très attentif à éviter que des épidémies de galle se propagent comme à Calais. Seulement, le gros problème de ce camp est qu’il n’est pas reconnu : « Ce territoire est en réalité un no mans land » nous raconte Michel Janssens de MSF.

La situation du camp est, en effet, particulière puisqu’il est bordé par un quartier résidentiel aux maisons proprettes. En face, des centaines de tentes qui sont dans le meilleur des cas recouvertes de bâches publicitaires et pour la plupart écroulées et sales. Dans le camp tout est embourbé et à certains endroits l’odeur est insupportable. Des volontaires hollandais ont même jeté des cailloux à certains endroits pour éviter que le campement ne se transforme en marécage.

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© Wouter Van Vaerenbergh

Les bénévoles déplorent qu’il n’y ait pas de lieu « en dur » pour accueillir ces personnes. Pourtant, de tels endroits existent selon le sous-préfet Henri Jean. « Il y a des centres d’accueil, mais les gens ne veulent pas y aller. Tout ce qu’ils souhaitent, c’est se rendre le plus vite possible en Angleterre ». C’est effectivement l’avis de nombreux habitants du camp.

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© Wouter Van Vaerenbergh

Il est très difficile de coordonner l’aide: « par exemple lorsque certains migrants refusent de la nourriture, c’est souvent vu comme de l’ingratitude. Mais les gens oublient qu’il pleut souvent et que nourriture et humidité attirent les rats. Il y a peu, une tente était en feu. Lorsqu’on a essayé de la soulever, une centaine de rats s’en est échappée » .

Les repas sont préparés dans d'énormes casseroles. Les gens peuvent venir chercher à manger toute la journée, mais souvent ils font leur propre tambouille. De la nourriture leur étant fournie notamment par l'ONG française Salaam. Des Belges viennent aussi déposer des vêtements, de la nourriture ou du matériel
Les repas sont préparés dans d’énormes casseroles. Les gens peuvent venir chercher à manger toute la journée, mais souvent ils font leur propre tambouille. De la nourriture leur étant fournie notamment par l’ONG française Salaam. Des Belges viennent aussi déposer des vêtements, de la nourriture ou du matériel© Wouter Van Vaerenbergh

Les autorités françaises veulent vider le camp d’ici deux semaines. Michel Janssens doute que cela soit possible. « À moins qu’ils ne viennent avec des bulldozers, ils n’y parviendront pas. Admettons que cela soit le cas. Après quoi ? Ils vont disparaître dans la nature ? »

Tous dans le camp semblent d’accord: ils iront jusqu’au bout. Serti, un jeune homme est arrivé il y a deux jours au camp. Son jeans est encore propre et ses baskets rutilantes. Contrairement à la plupart de ceux qui l’entourent, la flamme de l’espoir brille encore dans ces yeux. Il en est certain: il sera bientôt en Angleterre.

Ceux qui essayent depuis des mois ne les savent que trop bien : son rêve londonien risque bien de s’embourber en France. Sous une tente recouverte d’une publicité à l’effigie de Justin Bieber.

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© Wouter Van Vaerenbergh

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