Peter Piot: « Ce n’est que le début de la crise du coronavirus »
« Même avec un vaccin, nous n’arrêterons pas la crise », déclare Peter Piot, une sommité en virologie. En outre, il faut espérer qu’entre-temps il n’y ait pas un autre virus qui fasse son apparition.
Peter Piot, connu pour ses travaux sur le virus Ebola et son rôle de pionnier en matière de sida aux Nations-Unies, est une autorité mondiale en virologie. Mais même une sommité comme Piot a été surpris par la pandémie. « L’une de mes conférences régulières s’intitulait ‘sommes-nous prêts pour la prochaine pandémie ?' ». La réponse était « non ». Cependant, je ne pensais pas à un coronavirus, mais à un nouveau virus de la grippe. Je n’avais donc pas tout à fait raison », explique Piot, qui est directeur de la London School of Hygiene and Tropical Medicine. Depuis mai, il est aussi conseiller corona de la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen. Âgé de 71 ans, Piot ne connaît que trop bien les conséquences du Covid -19 : il a été infecté en mars et est tombé gravement malade. Entre-temps, Piot est à nouveau un homme très occupé. Il est en Belgique pour un entretien avec Ursula Von der Leyen et Solvay l’a nommé président d’honneur du fonds de solidarité fondé par le groupe chimique pour les employés touchés par la crise.
Où en est la pandémie ?
Peter Piot: Aujourd’hui, environ 100 millions de personnes sont infectées. Cela signifie que près de 8 milliards d’autres ne sont pas encore infectées. Pour un virus, c’est fantastique, c’est une fête. Il peut encore infecter des milliards de gens. Cela signifie que nous ne sommes qu’au début de la crise. Nous n’en sortirons pas sans vaccin, et même avec un vaccin nous n’allons pas l’arrêter. Bon, je ne suis pas un prophète de malheur, mais il y aura peut-être autre chose qui va s’ajouter.
Un autre virus en plus du covid-19 et de la grippe ?
Un autre virus, oui. C’est toujours possible. Nous sommes à une période où nous allons voir de plus en plus d’épidémies suite à la pression démographique sur l’écosystème, l’interaction croissante entre animaux et humains et la mobilité qui ne fait qu’augmenter.
Et la bonne nouvelle ?
En Europe, la plupart des pays ont réussi à fortement freiner la propagation à coup de mesures draconiennes, même s’ils ne réussissent pas à l’éliminer. Même la Nouvelle-Zélande, qui s’est totalement isolée, ne réussit pas. Il n’y a qu’un seul virus que nous ayons réussi à éliminer et c’est la variole.
Nous savons également mieux soigner les malades, et mieux protéger les maisons de repos, nous testons plus etc. Ce sera moins dramatique d’être infecté, et je ne m’attends pas à ce qu’on revienne à un confinement. L’économie n’y survivrait pas.
On attend énormément des vaccins contre le covid-19?
Je suis assez optimiste. Dans un an, vous et moi serons vaccinés, et j’espère avant. Mais ces vaccins ne protégeront pas à 100%. La FDA américaine a décrété que jusqu’à nouvel ordre 50% de protection suffisait. Par conséquent, ce vaccin protégera probablement contre les cas graves et les décès. Il en va de même pour le vaccin de la grippe qui protège surtout contre les pneumonies et les décès. Mais si vous pensez qu’il résoudra tout et qu’on reviendra à la situation d’avant la crise, vous en attendez trop. Certains comportements changeront pour toujours. Il est très probable que les poignées de main appartiennent définitivement au passé. Nous aurons une nouvelle culture, à l’instar du Japon où l’on porte un masque quand on est enrhumé ou quand on a le nez qui coule, pour protéger les autres. Ici, nous trouvons que c’est une atteinte à la liberté, mais la société devra s’adapter.
Il y a quatre technologies pour développer des vaccins. Certaines seront-elles plus efficaces que les autres ?
Certains vaccins ne seront peut-être pas efficaces, et certains oui. Certains auront peut-être des effets secondaires, et d’autres non. Quoi qu’il en soit, nous ne pouvons pas prendre un raccourci. Espérons que nous soyons fixés fin octobre ou début novembre sur l’efficacité des premiers vaccins, même si je m’attends plus à ce que ce soit début de l’année prochaine. Et il faut être sûr de ne pas avoir d’effets secondaires. Vous injectez du matériel biologique dans des millions, peut-être des milliards de personnes. Vous ne pouvez pas prendre de risques. Cela demande du temps.
Est-ce possible d’avoir un vaccin qui soit 100% efficace ?
Nous savons que c’est possible. Les vaccins contre la rougeole ou la polio sont efficaces à 90% ou plus. La grande question, c’est si le vaccin évitera uniquement le décès et la maladie, ou s’il évitera également l’infection. Ce serait l’idéal. Espérons qu’on soit fixé d’ici la fin de cette année.
L’immunité collective est-elle une stratégie envisageable ?
Durant des siècles, l’immunité collective ou grégaire a déterminé l’avenir des épidémies, car nous n’avions pas les moyens dont nous disposons aujourd’hui. Avec des millions de morts pour conséquence. Du point de vue éthique, je trouve qu’au 21e siècle c’est inacceptable. Cela reviendrait à massacrer les personnes âgées et d’autres groupes vulnérables. Cependant, nous devons atteindre le plus rapidement possible l’immunité collective par la vaccination, car un vaccin ne protège pas uniquement la personne vaccinée, mais toute la communauté.
Vous attendez-vous à ce que le covid-19 évolue vers un virus saisonnier ?
Ce serait possible. Quand il fait plus froid, nous passons tous plus de temps à l’intérieur, avec les fenêtres fermées, durant les périodes où il y a déjà plus de rhumes et de grippes. C’est ce qui fera que le virus va demeurer, et qu’il flambera régulièrement.
Il y a aussi des cas de recontamination.
Ils semblent rares, mais pourraient augmenter. Nous ne le savons pas. Il se pourrait que quelqu’un qui a été plus gravement malade ait une meilleure immunité que quelqu’un qui était contaminé mais n’avait (pratiquement) aucun symptôme. Nous pouvons aussi espérer une immunité cellulaire, une immunité de base qui fait en sorte que l’on ne tombe probablement pas malade en cas de recontamination. À Singapour, on a examiné des personnes infectées au SARS en 2003, un virus similaire. Elles n’avaient pas d’anticorps, mais peut-être une immunité cellulaire. C’est une hypothèse.
Devons-nous inquiéter du nationalisme vaccinal ?
Oui, ce n’est pas exagéré. Et là, l’Europe a vraiment bien agi. On l’a vu d’abord aux États-Unis où Donald Trump voulait garder tous les vaccins produits par les États-Unis pour les Américains. En Europe, il y a eu l’initiative de l’Allemagne, des Pays-Bas, de la France et de l’Italie qui voulaient faire quelque chose de comparable. Les autres pays européens étaient mécontents. Si chaque pays veut produire un vaccin uniquement pour ses habitants, nous n’y arriverons pas. Alors, les faibles resteront sur la touche. Aujourd’hui, ils coopèrent, et la Commission européenne soutient aussi Covax, une initiative de l’Organisation mondiale de la santé pour acheter des vaccins pour les pays les plus pauvres. Nous ne voyons pas seulement ce nationalisme pour les vaccins, mais aussi pour le médicament remdesivir de Gilead, qui freine le virus, et dont l’Amérique a racheté presque tout le stock.
Vous attendez-vous à un médicament très efficace contre le covid-19 ?
Oui, il y a beaucoup de bonnes études en cours, dont nous saurons plus l’année prochaine. Entre-temps, la mortalité des patients hospitalisés baisse. Il y a plus d’expérience. Les hôpitaux savent quand ils doivent placer les patients sous respirateur et on leur donne de la dexaméthasone pour la ventilation et des corticostéroïdes et des anticoagulants (anticoagulants) qui augmentent les chances de survie, même si le virus reste diabolique.
Il est question de lassitude depuis longtemps. Beaucoup de jeunes, mais aussi de plus âgés, n’écoutent plus les avis.
Si chacun suit les règles, nous n’aurions pas ces problèmes, mais ce n’est pas le cas. Les voyants sont au rouge. Cette nouvelle hausse m’inquiète. Nous ne devons pas reporter les décisions difficiles. Je m’inquiète moins pour les écoles primaires que pour les événements de masse avec les jeunes qui après vont contaminer les personnes âgées.
Êtes-vous surpris par le manque de résilience de notre société face au covid-19 ?
J’avais également sous-estimé l’impact. Je pensais que les pays développés seraient certainement mieux armés. Je n’avais pas réfléchi à l’impact sur l’économie, ou ce que signifie la fermeture des écoles, ou à l’impact sur la santé mentale qui a mené à une hausse de dizaines de pourcent du nombre de divorces et à une explosion des violences conjugales.
Que peut nous enseigner l’approche étrangère ?
La plupart des pays ont été trop lents, pas seulement la Belgique. Mais personne n’a jamais été confronté à un tel problème. C’est pourquoi je suis assez indulgent à l’égard des autorités, même si des pays comme l’Allemagne et le Danemark s’en sont mieux tirés que d’autres. L’Allemagne par exemple, a commencé à tester massivement très tôt, travaille de manière très décentralisée, et est dirigée par une chancelière qui a été scientifique. Mais bon, il y avait une sorte de classement de préparation à la pandémie. Et quels pays étaient en tête ? Les États-Unis, où c’est le chaos total, et le Royaume-Uni, qui a fait bien pire que la Belgique.
La leçon principale, c’est que ça peut encore arriver. Nous devons investir massivement dans des systèmes qui détecteront rapidement les foyers. Nous devons disposer de pompiers et espérer qu’ils ne devront jamais intervenir. Cependant il est très difficile de convaincre des autorités et une société d’investir en quelque chose qui ne sera peut-être pas nécessaire. Le budget des soins de santé augmente chaque année. C’est difficile de faire passer l’idée de dépenser de l’argent pour des gens qui ne sont pas encore malades.
Votre regard sur la vie a-t-il change depuis votre maladie ?
Absolument. J’essaie de vivre plus sainement. Je fais plus de fitness, je cours tous les matins, et je fais plus attention à mon alimentation. Et j’apprécie beaucoup plus la vie.
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