Hervé Hasquin
Pérou. Un maoïste sanguinaire passe l’arme à gauche (carte blanche)
« La disparition du « Pol Pot des Andes » éloigne-t-elle définitivement le spectre d’une guerre civile sauvage?, interroge l’académicien et historien Hervé Hasquin. La réponse n’est pas évidente. »
Lima. Début de soirée. Vers 18h30. Les grandes allées bourgeoises sont totalement calmes. Pourtant, la tension est perceptible. Le passager de la voiture est stressé. Quel n’est pas son étonnement alors qu’il se rend pour une conférence à l’Université San Marcos – la plus ancienne du continent. Fondée par Charles Quint en 1551. Soupçonnée en cette fin des années 1980 d’avoir été un foyer de propagation intellectuelle des idées démentes du Sentier Lumineux. Le stress? Parlons-en. Connaissez-vous beaucoup de villes où à la nuit tombante votre sécurité commande de brûler les feux de signalisation? De ne respecter aucun feu rouge? Le chauffeur explique benoîtement qu’à ce moment de la journée, c’est le remède le plus efficace pour échapper aux attentats … Lima est surprenante. C’est le seul endroit où les policiers qui règlent la circulation portent nuit et jour un gilet pare-balles! En moyenne, au moins l’un d’entre eux est assassiné quotidiennement.
Cuzco. Le lieu de passage obligé pour aller découvrir le Machu Picchu. Deux policiers en civil, mais armés, attendent l’Européen ou l’Américain du nord à la sortie de l’avion. Ce seront vos compagnons obligés de route, nuit et jour, pendant les 24 ou 36 heures que vous séjournerez dans la région. En dépit du luxe de précaution, l’un ou l’autre « étranger » est périodiquement éliminé.
En 1990, l’inflation est au maximum. 2 700 % par rapport au dollar US! Un impératif. Suivre les taux de change à l’hôtel à 8 h., à 13 h. et à 19 h. !
Voilà le Pérou à la veille de l’élection présidentielle de juin 1990. Elle oppose le romancier Mario Vargas Llosa, ancien castriste, devenu adepte de la démocratie libérale et Alberto Fujimori, d’origine japonaise. Jugé arrogant et totalement étranger à leurs problèmes par les populations indiennes – elles descendent des Incas, soit au moins la moitié des habitants -, le premier perd.
Pourquoi ce chaos péruvien dans les années 80? Depuis le début de la décennie, les groupuscules maoïstes du Sentier Lumineux déclenchent « la guerre populaire » dans les régions montagnardes. La base. Ayacucho. A presque trois mille mètres d’altitude. Le chef. Un professeur de philosophie de l’Université. Abimael Guzmán. Son nom de guerre. « Camarade » ou « président Gonzalo ». Il organise la « Terreur »! A l’époque, il est à peu près le seul à se revendiquer de Mao. Il a été deux fois en Chine. La première fois en 1965. La même année qu’un autre grand criminel, le khmer Pol Pot, le génocidaire du Cambodge dans les années 70. Le péruvien affiche un mépris total à l’égard de l’URSS. La « déstalinisation » l’insupporte. Il couvre tout autant de son mépris la succession de Mao. Bref, honte aux révisionnistes!
Au Pérou, « Gonzalo » développe une mystique de la révolution, de la lutte armée des pauvres contre les nantis. Sans pitié! Le commerce des drogues finance son mouvement. Qui n’est pas avec lui est contre lui. Des villages entiers qui n’ont pas voulu entrer en servitude maoïste sont passés par les armes. Le Sentier lumineux n’a pas le monopole de l’opposition violente. Les communistes de « Tupac Amaru », du nom du dernier empereur Incas, contrôlent l’énorme bidonville qui jouxte Lima. Ils mènent aussi des opérations de guerilleros. Sans commune mesure avec celles du Sentier.
Au pouvoir, Fujimori mène une lutte sans merci contre le Sentier. La contre-guerilla a également son cortège de cruauté… La présidence devient de plus en plus autoritaire. 1992. « Gonzalo » est arrêté. A l’époque, son organisation compte environ 25 000 membres. Un coup déstabilisateur est donc porté au Sentier. Mais il continuera à vivoter. Le « camarade Gonzalo » est décédé le 11 septembre dernier. Après 29 ans de prison.
La disparition du « Pol Pot des Andes » éloigne-t-elle définitivement le spectre d’une guerre civile sauvage? La réponse n’est pas évidente. Les récentes élections présidentielles ont propulsé au pouvoir un quasi inconnu. Instituteur. Brave homme en apparence. Porte-parole des moins nantis. Soutenu par la gauche et, en sous-main, par les courants les plus extrémistes. Pedro Castillo a battu au second tour la fille de Fujimori. D’un souffle. 40 000 voix pour un peu plus de 17 millions de votants, mais 25 millions d’électeurs inscrits. Grâce aux voix de l’Amazonie péruvienne. Impossible de se prononcer sur la régularité du vote dans ce territoire plus grand que la France et peuplé de moins de deux millions d’habitants … Un indice pour le futur? Le nouveau gouvernement de Pedro Castillo comporte deux ou trois « très anciens ». Ex-compagnons de route de Guzmán! A suivre …
Hervé Hasquin
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