Patrimoine: les trésors cachés du passé congolais (reportage à Kinshasa)
Que reste-t-il, à Kinshasa, de l’héritage culturel congolais? Comment sont conservées les oeuvres qui ont échappé aux voleurs et survécu à l’humidité et aux termites? Plongée dans l’histoire, des hangars de stockage du Musée du mont Ngaliema aux réserves du nouveau Musée national.
Le parc du mont Ngaliema, à l’ouest de Kinshasa, est un havre de paix dans une capitale en perpétuel mouvement. Un petit paradis qui offre une vue panoramique imprenable sur le fleuve Congo. Cet écrin de verdure de l‘Institut des musées nationaux du Congo (IMNC) est un lieu chargé d’histoire. A la fin des années 1960, Mobutu, qui a élu domicile et travaillé sur ces hauteurs, a fait du parc son jardin personnel et l’a doté d’un zoo privé, dont il subsiste des cages aux toits défoncés. Si le poids du passé se fait sentir dans les allées, c’est aussi et surtout parce que la colline surplombe un lieu hautement symbolique de l’entreprise coloniale, situé sur la rive sud du fleuve: Stanley y a établi, le 1er décembre 1881, son premier campement dans la région qui deviendra Léopoldville, capitale du Congo, rebaptisée Kinshasa en 1966.
Félix Tshisekedi convoite le parc du Mont Ngaliema, pour l’inclure dans la résidence présidentielle.
Une statue de l’explorateur anglo-américain, érigée en 1956 et déboulonnée en 1971, gisait ces dernières années dans la cour de l’IMNC, amputée de ses jambes. Elle a été restaurée par l’ONU et installée devant l’Institut. A un jet de pierre, d’autres monuments coloniaux en bronze jouent à cache-cache avec les arbres séculaires du parc: une statue équestre de Léopold II haute de six mètres, une statue de son successeur Albert Ier et un bas-relief de 1948 célébrant le cinquantième anniversaire de l’achèvement de la ligne de chemin de fer Matadi – Léopoldville.
Les entrepôts de l’Institut, eux, abritent le patrimoine congolais: des trésors de l’art Kuba, Songye, Yaka, Kongo, Hemba, Pende, Luba, Mangbetu, etc. récoltés aux quatre coins du pays, dont des masques, statuettes, armes, tambours et objets de la vie quotidienne. La plupart des pièces sont en mauvais état, rongées par l’humidité et les termites. Les locaux de l’IMNC ont été pillés lors de la chute du régime de Mobutu, en mai 1997, puis laissés à l’abandon pendant plusieurs années. Des milliers d’oeuvres ont été volées, vendues à l’étranger (notamment à Bruxelles) ou jetées. Les toitures des hangars, trouées laissent la pluie s’infiltrer. Les fonctionnaires chargés de veiller sur les collections ont abandonné leur poste, leur salaire n’étant plus payé. Aujourd’hui, une petite équipe est à l’oeuvre pour réparer, traiter, protéger ce qui subsiste, avec des moyens très limités. L’un de ses membres, Eric, ne cache pas son dépit: « Aucun d’entre nous n’a bénéficié de la formation professionnelle requise pour le travail de restauration. »
Déménagement en perspective
Pour les visiteurs, l’une des ailes de l’Institut a été aménagée en musée. Quelques pièces illustrent l’histoire du pays, de l’arrivée des premiers Européens, portugais, jusqu’à la dictature de Mobutu. Devant les vitrines vétustes, deux fauteuils de l’ancien chef d’Etat sont exposés, récupérés il y a vingt-cinq ans dans son palais, niché à proximité. L’actuel président, Félix Tshisekedi, convoite toute cette zone du mont Ngaliema, parc compris, pour en faire la résidence présidentielle. L’Institut et son personnel sont menacés d’expulsion.
En octobre dernier, le directeur général de l’IMNC, Placide Mumbembele, a demandé au gouvernement de doter son établissement d’un nouveau siège, puisque l’actuel, reconnaissait-il, « occupe un site présidentiel qu’il doit libérer sur ordre des autorités du pays ». L’Institut aurait requis un moratoire de deux ans, qui ne satisferait pas les services du président. « Une solution provisoire est à l’étude, glisse l’un des responsables des collections. Il est question d’aménager pour nous le rez-de-chaussée de la tour de l’échangeur de Limete, à l’autre bout de la ville. » Cet édifice emblématique de Kinshasa, haut de 210 mètres, est un chantier du début des années 1970 jamais achevé. « Voilà cinquante ans que l’Institut occupe un siège provisoire sur le mont Ngaliema, reconnaît notre interlocuteur. Les espaces de stockage y sont totalement inadaptés. »
A terme, il est prévu de construire le siège définitif de l’IMNC en centre-ville, à côté du Palais du peuple, derrière le nouveau Musée national érigé et financé par la Corée du Sud – vingt-et-un millions de dollars. « Le terrain est déjà acquis, indique Jean-Damascène Bwiza, directeur adjoint du musée. Reste à trouver un bailleur de fonds pour financer l’opération, dont le coût est évalué à trente millions de dollars. Ce siège disposera d’espaces de stockage et de restauration permettant d’accueillir une partie des 33 000 pièces toujours entreposées dans les vieux hangars du parc du mont Ngaliema. Les autres oeuvres seront réparties dans une dizaine de musées de province, à condition qu’ils soient préalablement modernisés, rééquipés et sécurisés. »
Inauguré le 23 novembre 2019 par le président Tshisekedi, le Musée national de la RDC, consacré à l’histoire des groupes ethniques du pays, comprend trois salles d’exposition de six mille mètres carrés, où sont présentés quatre cents oeuvres majeures du patrimoine congolais et des vestiges archéologiques. « Quelque douze mille pièces parmi celles conservées sur le mont Ngaliema ont été transférées dans les réserves du nouveau musée, signale Placide Mumbembele, le directeur général. C’est un maximum: les salles de stockage sont pleines. » Autre problème: « Le Musée national est privé de budget de fonctionnement depuis plusieurs mois », glisse un responsable de l’institution.
Former le personnel
C’est dans ce contexte que Thomas Dermine (PS), secrétaire d’Etat chargé de la Politique scientifique, poursuit son projet de restituer à la RDC des oeuvres spoliées pendant la période coloniale et conservées dans les collections fédérales. Il nous revient que la Coopération belge au développement exclut de financer la construction de réserves supplémentaires et autres infrastructures permettant de garantir la bonne conservation des pièces qui seront envoyées au Congo. Thomas Dermine plaide plutôt pour la formation, par la Belgique, de conservateurs, de spécialistes de la restauration et de guides congolais. « Former des hommes, transmettre des compétences, aura plus d’impact qu’offrir des briques », assure-t-il. « Un renforcement des capacités s’impose« , confirme Guido Gryseels, directeur général de l’ Africa Museum de Tervuren.
Former des hommes, transmettre des compétences, aura plus d’impact qu’offrir des briques.
Faut-il s’attendre à la restitution, à brève échéance, de certains objets? Thomas Dermine n’envisage pas, excepté l’une ou l’autre demande spécifique, de geste spectaculaire comme celui du président Emmanuel Macron qui, en novembre dernier, a remis au Bénin vingt-six oeuvres des trésors royaux d’ Abomey. Le secrétaire d’Etat belge a adopté une politique plus globale de transfert de propriété juridique à la RDC de toutes les pièces acquises illégalement. « Nos homologues congolais nous ont fait savoir que leur priorité n’est pas le rapatriement d’oeuvres conservées en Belgique, mais plutôt l’établissement d’un inventaire numérisé des pièces qui se trouvent au Congo », signale Guido Gryseels.
Parallèlement, une commission scientifique mixte belgo-congolaise sera prochainement constituée, qui pourra être saisie de toute demande de restitution et vérifier si l’objet visé a bien été spolié. Guido Gryseels estime que les deux tiers des quelque 1 500 objets récoltés à l’époque de l’Etat indépendant du Congo (1885-1908) ont été emportés avec violence et peuvent être restitués sur demande. « Pour les quarante mille pièces du musée de Tervuren dont on ne peut déterminer à ce jour si elles ont été acquises dans des conditions correctes, une recherche de provenance pourra être entreprise, remarque-t-il. Un budget de 2,5 millions d’euros, réparti sur quatre ans, sera affecté à ces études. Il permet l’engagement de quatre ou cinq consultants congolais, qui viendront étoffer notre propre équipe de chercheurs. Ils devront se concentrer sur les principaux objets, car il y en a beaucoup et le travail se révèle complexe. Deux des pièces du MRAC ont été analysées pendant six mois sans que cela livre un résultat clair. »
Si l’initiative belge de restituer des pièces relève d’une volonté d’exorciser le passé colonial et de refonder les relations avec la RDC, le point de vue de Kinshasa est à prendre en compte: Dermine et Gryseels ont constaté, lors de leur récent séjour sur place, que les autorités culturelles congolaises abordent la question non pas sous l’angle de la « restitution » mais sous celui de la « reconstitution ». En clair, plus que le retour d’objets spoliés, elles cherchent à compléter les collections congolaises pour disposer d’ensembles représentatifs du patrimoine de toutes les ethnies du pays. « Ce n’est pas un problème, assure Guido Gryseels. Si nos partenaires congolais demandent des masques Yaka et d’ autres oeuvres manquantes en RDC, nous leur en céderons volontiers, même si ce sont des pièces acquises de façon légitime par la Belgique. »
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