Pape François à Kinshasa : le poids de l’Eglise
La visite du pape François à Kinshasa est l’occasion pour l’Eglise catholique congolaise d’insister sur l’importance d’organiser des élections transparentes fin décembre en RDC.
Des danses, 700 choristes, le Gloria chanté en lingala… : la messe célébrée ce 1er février sur le tarmac de l’aéroport de Ndolo, en centre-ville de Kinshasa, restera l’un des temps forts du 40ème voyage apostolique du pape hors d’Italie (le cinquième en Afrique), commencé la veille. Devant plus d’un million de fidèles, le pape a livré une homélie centrée sur la paix et le pardon. « Esengo ! » (« joie » en lingala), a lancé le souverain pontife. « J’ai beaucoup désiré ce moment », a-t-il ajouté, sept mois après le report de son voyage, pour raison de santé selon le Vatican. Plus tard dans la journée, François devait rencontrer des victimes venues d’Ituri, du Nord et du Sud-Kivu, régions ravagées par des groupes armés. La veille, dans les jardins du palais présidentiel, le pape a dénoncé le « colonialisme économique » en Afrique et en RDC, « pays largement pillé », « qui ne parvient pas à profiter suffisamment de ses immenses ressources. »
Jamais vu le pape
C’est peu dire que la visite du pape François à Kinshasa était attendue avec impatience par les Congolais, alors que l’insécurité persiste dans l’Est du pays et que la plupart des habitants vivent dans la précarité. Une majorité écrasante de Kinois n’a jamais vu le pape : le dernier à avoir fait le déplacement en RDC est Jean-Paul II, venu sur place il y a trente-huit ans, après une première visite en 1980. L’Eglise catholique, très puissante au Congo, n’a pas ménagé ses efforts, depuis l’an dernier, pour faire monter la fièvre parmi les fidèles. Lors du séjour de Philippe et Mathilde en RDC, en juin 2022, les panneaux géants et banderoles de bienvenue au souverain pontife – sa visite était alors prévue le mois suivant – ornaient les grands axes de la mégalopole, faisant concurrence à ceux, plus rares, installés en l’honneur du roi et de la reine des Belges.
Un Etat dans l’Etat
Sur près de 110 millions de Congolais, 40 % sont catholiques (soit un peu plus de 45 millions de fidèles), 35 % fréquentent des églises évangéliques, pentecôtistes ou néo-protestantes, 10 % sont kimbanguistes – mouvement prophétique chrétien né au Congo – et 9 % sont musulmans. La religion imprègne toute la société congolaise, l’éducation, la vie publique. Plus de 60 % des écoles, deux universités et des hôpitaux sont gérés par l’Eglise catholique. Les frontières entre les cultes sont poreuses : des catholiques qui se rendent à la messe le dimanche consultent volontiers des pasteurs charismatiques ou des prophètes autoproclamés qui prétendent guérir leurs ouailles du covid, du sida… Toutefois, les mouvements évangéliques pèsent peu sur la vie politique nationale. L’Eglise catholique reste un Etat dans l’Etat. Un cardinal détient un pouvoir institutionnel qu’aucun pasteur évangélique ne peut concurrencer. La Conférence épiscopale catholique congolaise (Cenco) joue un rôle dans le processus électoral (elle déploie des dizaines de milliers d’observateurs dans les bureaux de vote ) et intervient dans les crises politiques.
Plus de transparence
Félix Tshisekedi en est bien conscient. Il y a trois ans, en visite au Vatican, le président congolais a tenu à apaiser les relations entre le gouvernement congolais et le Saint-Siège. Elles avaient souffert des positions critiques de l’Eglise catholique congolaise sur le déroulement du dernier scrutin présidentiel. Les résultats des élections de décembre 2018 étaient en contradiction avec le décompte effectué par la Conférence épiscopale nationale du Congo (Cenco), selon laquelle la victoire devait revenir non pas à Félix Tshisekedi (qui s’était allié à l’époque à son prédécesseur Joseph Kabila), mais à un autre opposant, Martin Fayulu. Force d’opposition sous le régime kabiliste, l’Eglise catholique réclame aujourd’hui encore plus de transparence dans le processus électoral. Les prochaines présidentielles sont prévues le 20 décembre.
A la fin de la messe de Ndolo, le cardinal Fridolin Ambongo, archevêque de Kinshasa, a prononcé, devant le Saint-Père, un discours résolument politique : « Votre visite intervient durant une année électorale, qui est souvent source de tensions sociales et politiques dans notre pays », a-t-il rappelé, insistant aussi sur l’importance d’organiser « des élections libres, transparentes, inclusives et apaisées ». Le petit speech était aussi adressé aux principaux acteurs politiques congolais, présents à la messe : Félix Tshisekedi, Moïse Katumbi, Martin Fayulu…
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