L’action des opposants à Vladimir Poutine sur le sol russe déstabilise l’armée de Moscou. © getty images

Opposition russe à Belgorod: quel intérêt pour l’Ukraine ?

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

Les attaques dans la région russe de Belgorod ont des conséquences en chaîne. Le profit pour l’armée ukrainienne reste incertain.

La région de Belgorod, à l’ouest de la Russie, est devenue un foyer de confrontation de la guerre en Ukraine. Les attaques qu’y mènent deux groupes d’opposants à Vladimir Poutine, la légion Liberté de la Russie et le Corps des volontaires russes, servent a priori les intérêts des Ukrainiens dans la guerre que les Russes ont déclenchée le 24 février 2022 sur leur territoire.

Pour les experts militaires, le nouveau front mobilise inévitablement une partie des forces armées russes. Même s’il ne s’agissait que de troupes de réserve, ce seraient déjà des forces que l’état-major russe ne pourrait pas déployer en appui de l’armée plus aguerrie sur le théâtre d’opération ukrainien. La tactique des Ukrainiens semble fonctionner puisque, après avoir conquis la ville de Bakhmout dans le Donbass ukrainien et avoir annoncé le retrait de ses hommes, le groupe Wagner, par la voix de son patron Evgueni Prigojine, a fait des offres de service pour renforcer la défense russe dans l’oblast de Belgorod. Un reportage de la chaîne télé LCI, diffusé le 5 juin, a révélé que, déjà, des mercenaires de cette société formaient la population civile à se défendre dans les environs de Belgorod.

L’hypothèse d’un déploiement de Wagner à Belgorod pose la question des capacités de l’armée à défendre la Russie.

L’hypothèse d’un déploiement des combattants de Wagner vers cette région attaquée de Russie pose clairement la question des capacités de l’armée régulière à défendre le territoire de la grande Russie. Les faits tendent à démontrer qu’elles ne sont pas optimales.

Du 1er au 5 juin, des villages situés entre la frontière ukrainienne et la ville de Belgorod ont à nouveau été la cible d’attaques des groupes d’opposition russes. Les mêmes, et d’autres, l’avaient déjà été le 22 mai. Des installations militaires et énergétiques de cette région ont été régulièrement bombardées par l’armée ukrainienne depuis avril 2022. La hiérarchie de l’armée russe ne peut donc pas plaider la surprise pour expliquer les failles dans son dispositif. Pire, la répétition de deux attaques au sol en quinze jours tend à prouver que le renforcement attendu de la défense russe n’a pas encore été suivi d’effets.

En attendant, les pertes humaines même réduites, les destructions aux infrastructures, l’évacuation de populations, le sentiment d’abandon par un pouvoir central lointain ressenti par celles-ci installent la réalité de la guerre en Russie et érodent la confiance en la capacité de la gagner. Non seulement les Russes ne progressent plus sur le front ukrainien, hors l’épisode de Bakhmout, et sont sur la défensive mais, en plus, ils doivent faire face à une incursion sur leur sol. Quel Russe aurait imaginé ce scénario le 24 février 2022, lors du lancement de l’«opération militaire spéciale» du côté de Kiev?

Dans le cadre de cette guerre d’agression, les Ukrainiens sont fondés à projeter des attaques sur les lignes arrière russes en zones ukrainiennes occupées et même sur le territoire de l’ennemi. Nombre d’Occidentaux ont clamé qu’ils accompagneraient les Ukrainiens jusqu’à la victoire. Ils ne condamnent donc pas les opérations qui y contribuent, y compris dans des localités russes. Mais comme les mêmes ont assuré qu’ils n’étaient pas en guerre contre la Russie, les attaques des groupes d’opposants russes dans la province de Belgorod sont commentées différemment.

Américains et Européens ne soutiennent pas ces incursions en territoire ennemi et, en vertu du cadre fixé à l’utilisation des armements fournis à l’armée ukrainienne, ils interrogent leur partenaire quand des armes occidentales sont repérées dans les mains des combattants de la légion Liberté de la Russie et du Corps des volontaires russes. Ceux-ci bénéficient incontestablement des bases arrière et de la logistique de l’armée ukrainienne, et potentiellement d’une très petite partie de ses armes. La révélation par le Washington Post, le 6 juin, de l’utilisation par les opposants russes actifs dans la région de Belgorod de fusils d’assaut belges, des FN Scar, à côté d’autres armes tchèques, de véhicules polonais et de blindés américains, a logiquement amené le gouvernement belge à demander des éclaircissements aux autorités de Kiev. «La règle est claire, a plaidé le Premier ministre Alexander De Croo. Naturellement, nos armes, qui sont fournies à l’Ukraine, c’est pour des objectifs défensifs du territoire ukrainien.» Dans un première réaction, les Ukrainiens ont assuré que ces armes avaient été prises par les groupes en question aux Russes qui, eux-mêmes, les avaient acquises sur du matériel saisi à l’armée de Kiev…

C’est un fusil belge de ce type, le FN Scar, qui a été repéré aux mains des assaillants en Russie.
C’est un fusil belge de ce type, le FN Scar, qui a été repéré aux mains des assaillants en Russie. © reuters

Au-delà des récriminations officielles de circonstance, il faudra évaluer l’éventuelle tolérance dont feront preuve les Occidentaux à l’égard d’un pouvoir ukrainien qui peut considérer que tous les moyens sont bons pour vaincre l’ennemi et à l’égard d’opposants russes, pas nécessairement tous recommandables (le Corps des volontaires russes a été créé par un militant néonazi), si leur action finit par servir les intérêts de leur allié. On devrait notamment observer dans les prochaines semaines si l’incursion vers Belgorod est un des volets de la contre- offensive imaginée par l’état-major ukrainien, comme le suggèrent certains observateurs.

Les Ukrainiens en font-ils trop? Il est difficile de faire la leçon à une armée et à un peuple qui subissent depuis quinze mois des pertes humaines et des dévastations en masse. Il est cependant acquis que certaines prétentions des dirigeants de Kiev inquiètent les chancelleries occidentales. «Ce que nous voyons à Chebekino (NDLR: la localité russe ciblée par l’attaque du 2 juin) est la porte d’entrée d’une guerre qui s’étendra à toute la Russie», a prédit Mykhaïlo Podoliak, le conseiller du président Zelensky. Mais les Européens, et plus encore les Américains, ont les moyens de ramener leurs alliés à la «raison», notamment par le «chantage» des armes, tant convoitées.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire