Bert Bultinck
« Nous ne voulons pas voir en face notre dureté envers les réfugiés «
« L’accord avec la Turquie a fonctionné, en ce sens qu’il a évité à des milliers de gens de se noyer », constate le rédacteur en chef de Knack, Bert Bultinck. « Mais il ne résout pas la crise. Sur tous les autres plans, l’accord avec la Turquie est un échec. »
« À l’avenir, nous devrons nous charger nous-mêmes de la sécurité européenne » : au cours d’une interview exclusive accordée à Knack, le premier ministre Charles Michel s’est montré particulièrement critique au sujet de l’accord avec la Turquie. Michel critique vivement le président turc, mais s’en prend également à l’Europe, qui a mal négocié. Pour les normes européennes, l’accord conclu le 18 mars 2016 entre le Conseil européen et la Turquie était un genre de bourse d’échange, mais avec des humains. La Turquie reprendrait toute personne qui navigue sans les bons papiers des côtes turques aux îles grecques. En échange, l’Europe accueillerait un réfugié syrien arrivé en Turquie pour chaque Syrien renvoyé. Ce n’est pas tout : la Turquie a bénéficié d’un solide soutien financier – environ 3 milliards par an – et les Turcs pouvaient se rendre dans l’UE sans visa (pour l’instant, ce n’est pas prévu). Un marché de réfugiés avec quelques points de bonus : l’accord a été accueilli ici et là comme un modèle de coopération internationale.
L’accord avec la Turquie a fonctionné. Du moins en ce sens qu’il a évité à des milliers de gens de se noyer et que l’affluence vers les îles grecques a été freinée efficacement – même si le week-end dernier au moins 362 personnes ont tenté leur chance. Sur pratiquement tous les autres plans, l’accord avec la Turquie est un échec. L’accord a été conclu sous la pression de l’opinion publique européenne qui s’est indignée des images d’enfants noyés dans la Méditerranée. En même temps, les dirigeants avaient peur pour leur carrière de voir les réfugiés continuer à arriver. La solution semblait simple : fermez la porte et donnez la clé à Recep Tayyip Erdogan. La nonchalance du président turc à l’égard des droits de l’homme n’était qu’un détail. Les plans de répartition ambitieux, qui devaient partager 160 000 réfugiés parmi les états membres, ont lamentablement échoué. En outre, ladite réinstallation a permis à peu de réfugiés syriens de Turquie de s’établir en Europe : en janvier dernier, la Commission européenne parlait d’un total de 2935. À titre de comparaison, la Turquie accueille environ 2,8 millions de Syriens. Pire encore : sur les 27 000 personnes venues vers les îles depuis l’entrée en vigueur de l’accord, à peine 865 ont été renvoyées en Turquie.
Nous ne voulons pas voir en face notre dureté envers les réfugiés
Amnesty International est allé voir « l’accueil » grec – les critiques parlent de prisons en plein air – et vient de publier ses conclusions poignantes. Dans le camp Moria, à Lesbos, il n’y a que trois médecins pour 3150 personnes. La nourriture y est mauvaise, il y a trop peu de couvertures et pratiquement pas de vie privée. Il n’y a ni chauffage, ni eau chaude, même quand il gèle. Sommes-nous devenus insensibles à cette misère ? Les dirigeants européens ne prennent pas leurs responsabilités et les Européens semblent trouver ça parfait. Les limites de notre empathie sont plus marquées que celles de l’Europe. Nous voulons être durs à l’égard des « chercheurs d’or », mais nous ne voulons pas regarder notre dureté en face.
L’économiste politique autrichien Gerald Knaus, considéré comme l’inventeur de l’accord avec la Turquie, déclare que sa proposition a fonctionné, mais il ne peut cacher sa déception sur sa réalisation : « Quand il s’agit de réfugiés et de migrants, Bruxelles n’a aucune idée de ce qu’elle fait », a-t-il déclaré récemment au quotidien néerlandais Trouw. « Quand le nombre de réfugiés s’est mis à baisser rapidement, tout sentiment d’urgence a disparu, y compris les plans de répartition et l’accueil digne aux frontières extérieures ». Pourtant, Knaus est convaincu qu’ « à l’exception de 10 à 15% de radicaux qui se rencontrent partout », beaucoup d’Européens ne sont pas favorables aux dits « push-back ». Les politiques sont-ils plus impitoyables que la population ?
La virulence du premier ministre Michel contre l’accord avec la Turquie n’a pas beaucoup de rapport avec son anniversaire, mais plutôt avec les provocations bon marché d’Erdogan, qui a cru bon d’accuser la chancelière Angela Merkel de « pratiques nazies ». Elles présentent un avantage : peu à peu personne ne peut encore ignorer notre attitude dissociée avec la Turquie. « Nous devons nous charger nous-mêmes de nos frontières », a déclaré Michel. Si nous accueillons bien les réfugiés, l’Europe pourra à nouveau se regarder dans le miroir.
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