Thierry Bellefroid
Nina Simone, de la chanteuse star à l’icône féministe de la cause afro-américaine
Chère Eunice Kathleen Waymon, Ou peut-être pourrais-je vous appeler par votre nom de scène, mieux connu de nos lecteurs ? Chère Nina Simone,…
Ainsi donc, vous voilà panthéonisée. Enfin, c’est tout comme. Entrer au Rock’n Roll Hall of Fame de Cleveland, c’est la consécration. Certes, c’est encore plus fort quand on y arrive de son vivant, comme l’ont fait ces jours-ci Bon Jovi, Dire Straits, The Cars ou quatre des cinq Moody Blues (aah, Nights in White Satin, quel morceau !). Mais voilà, votre mort, en 2003, est survenue quinze ans trop tôt. C’est à se demander comment il a fallu tout ce temps au temple du rock pour s’apercevoir que vous étiez célèbre.
Si vous n’aviez été qu’une pianiste surdouée doublée d’une chanteuse de jazz et de soul hors catégorie, vous auriez déjà mérité cent fois d’y figurer. Mais vous incarnez autre chose. Militante des droits civiques des Afro-Américains, vous avez su vous servir de votre statut et de votre art pour faire avancer votre cause. En 1963, vous écrivez Mississippi Goddam afin de rendre hommage à Medgar Wiley Evers, un militant des droits civiques assassiné par un membre du Ku Klux Klan. Deux ans plus tard, on vous retrouve à Montgomery, au beau milieu des manifestants des trois Marches de Selma, emmenées par Martin Luther King dont vous vous distancierez au sujet des moyens à mettre en oeuvre pour faire la révolution. Vous, la fille de pieux Noirs de Caroline du Nord, qui aviez rêvé d’être la première pianiste classique de couleur de l’Amérique, vous prônerez un temps l’insurrection violente afin de créer un Etat indépendant de celui des Blancs.
C’est donc tout ça que l’Amérique de Trump vient de panthéoniser, dites donc, heureusement que le Hall of Fame n’est pas subventionné par l’administration ! Quoi qu’il en soit, vous avez une disciple qui a éclipsé votre sacre : la Texane Beyoncé Giselle Knowles. Beyoncé, on aime ou on n’aime pas. Personnellement, chère Eunice-Nina, je n’en suis pas fou, pas plus que je ne l’étais des Destiny’s Child. Mais savez-vous qu’au lendemain de votre entrée au Hall of Fame de Cleveland, elle était la première femme afro-américaine à être en tête d’affiche du célèbre festival californien de Coachella ? Le show était spectaculaire : une centaine de danseurs et de musiciens sur scène. Mais tout ça, ce n’est que du showbiz, me direz-vous ! Oui, si ce n’est qu’elle a diffusé un discours de Malcolm X daté de 1962 pendant son concert, harangué les femmes présentes sur place avec des : » Ne sommes-nous pas intelligentes ? Ne sommes-nous pas fortes ? N’en avons-nous pas assez ? « , chanté votre Lilac Wine, Nina, en guise d’hommage politique. Un concert si engagé que de CNN au New York Times, on l’a considéré comme historique.
C’est ça que j’aime, avec la musique. Sans en avoir l’air, elle abolit les frontières, déplace les montagnes, conquiert les libertés. Sans qu’on s’en rende compte, elle transforme une chanteuse au succès planétaire – plus de 100 millions d’albums vendus – , apparent produit jetable et innocent de la société de consommation… en icône féministe de la cause afro-américaine.
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