Carte blanche
« Nicaragua – Israël: deux poids, deux mesures ? Les cas d’Amaya Coppens et de Mustapha Awad »
Amaya et Mustapha. Deux ressortissants belges dans des situations similaires mais dont la prise en charge par nos services diplomatiques diverge considérablement jusqu’au plus haut niveau.
Lundi 10 septembre, Amaya Coppens, une jeune étudiante en médecine belgo-nicaraguayenne, était arrêtée dans la ville de Leon, au Nicaragua, par la police locale. Elle était engagée dans le Mouvement étudiant du 19 avril, fer de lance de la contestation du régime de Daniel Ortega. Les chefs d’accusation utilisés pour justifier sa détention ont été rapidement connus : terrorisme, port d’arme illégal, incendie criminel, séquestration, tous fermement rejetés par les proches d’Amaya. Son père note en effet que les accusations de terrorisme sont, dans le cadre de la répression du régime, utilisées abusivement, y compris pour les rassemblements les plus pacifiques. Amaya, ajoute son père, est « très motivée par la lutte contre l’injustice et contre l’autoritarisme » du régime en place [1].
Deux jours après son arrestation, le ministre des Affaires étrangères, Didier Reynders, intervenait en personne, afin de faire savoir que « s’il n’arrivait pas à avoir un contact efficace dans les jours qui venaient, il prendrait évidemment aussi contact avec son collègue (homologue) nicaraguayen au moment de l’Assemblée générale des Nations unies » [2]. C’est effectivement ce qu’il a fait, après que les autorités consulaires avaient préalablement obtenu une rencontre entre la jeune fille et son père. Celle-ci fut brève, certes, mais on peut imaginer le soulagement qu’elle a pu procurer à Amaya, et l’influence positive qu’elle a pu avoir sur son moral ainsi que sur celui de ses proches.
En ce moment, Amaya est encore dans l’incertitude quant à son sort, mais le vice-Premier ministre Reynders a, vendredi dernier, déclaré que « si les déclarations qui lui avaient été faites étaient correctes« , il avait « l’impression qu’Amaya serait l’une des premières prisonnières à être libérées » [3].
Mustapha Awad a, quant à lui, été arrêté par les forces armées israéliennes le 19 juillet dernier, soit il y a plus de deux mois, à la frontière jordano-palestinienne, après plusieurs heures d’interrogatoire. Ce jeune artiste et travailleur belge d’origine palestinienne a lui aussi été accusé de terrorisme par l’État israélien, bien qu’il n’ait jamais mis les pieds en Palestine ni en Israël auparavant, et qu’il soit lui aussi connu en Belgique pour son engagement citoyen en faveur des droits humains. Les chefs d’accusation qui lui étaient imputés ont été dissimulés un long moment, et plusieurs semaines se sont écoulées avant que Mustapha ne les apprenne. Il a également rapporté avoir été victime de mauvais traitements. Mustapha n’a pu voir son avocat que 20 jours après son arrestation en même temps que le consul, qui n’a pu lui rendre visite que deux fois depuis son arrestation. Tout contact avec ses proches lui a été refusé, la justice israélienne prétextant des raisons de « sécurité ».
Notre ministre des Affaires étrangères est resté étrangement silencieux sur le cas de Mustapha, et on attend encore une prise de position officielle de sa part condamnant les traitements inhumains auxquels il est soumis. Au vu des conditions floues de son arrestation et des techniques illégales d’interrogatoire utilisées contre lui, sa libération immédiate devait être réclamée.
Au surplus, il est à noter qu’Amaya possède la double nationalité belgo-nicaraguayenne, ce qui complique théoriquement les efforts entrepris par notre corps diplomatique pour sa libération. Mustapha, lui, est exclusivement citoyen belge. Il s’ensuit qu’Israël ne retient donc pas dans ses prisons un de ses ressortissants ou même un ressortissant palestinien, mais bien un ressortissant étranger, en l’occurrence, un Belge. Si la diplomatie belge, et en particulier son chef, ne réagissent pas avec la plus grande fermeté pour Mustapha, chacun d’entre nous serait désormais en droit d’estimer qu’en cas d’arrestation arbitraire dans un pays quelconque, il ne trouverait aucun soutien auprès des autorités belges. Ce serait là un dangereux précédent que nous ne pouvons accepter.
Amaya et Mustapha. Deux ressortissants belges dans des situations similaires mais dont la prise en charge par nos services diplomatiques diverge considérablement jusqu’au plus haut niveau. Tout à fait louable, voire exemplaire dans un cas, partielle et imparfaite, voire inexistante dans l’autre. Nous sommes en droit de demander que soit respectée l’égalité entre chacun et chacune de nos citoyens, y compris hors de nos frontières.
L’engagement de la Belgique pour les droits de ses ressortissants à l’étranger ne peut être tributaire des intérêts géopolitiques ni des calculs diplomatiques liés à la nature du pays en face, que ce soit le Nicaragua ou Israël. Nous demandons donc à notre ministre des Affaires étrangères Didier Reynders de se positionner publiquement en faveur du respect du droit et de la libération de Mustapha auprès des autorités israéliennes comme il l’a fait pour Amaya auprès des autorités nicaraguayennes.
[1] https://www.rtbf.be/info/monde/detail_pere-de-la-belge-emprisonnee-au-nicaragua-les-accusation-sont-montees-de-toute-piece?id=10016832
[2] https://www.rtl.be/info/monde/international/amaya-coppens-etudiante-en-medecine-de-23-ans-arretee-au-nicaragua-la-belgique-suit-de-pres-sa-situation-1058563.aspx
[3] http://www.lalibre.be/actu/belgique/assemblee-generale-de-l-onu-reynders-evoque-l-arrestation-de-l-etudiante-amaya-coppens-soupconnee-d-actes-terroristes-5baf09b3cd70a16d811d0beb
Signataires de la carte blanche
Ludo Abicht, professeur à l’Université d’Anvers
Marc Abramowicz, fondateur du centre Aimer à l’ULB
Mateo Alaluf, professeur honoraire à l’ULB
Karel Arnaut, professeur d’anthropologie à la KULeuven
Jos Beni, enseignant honoraire
France Blanmailland, avocate
Johannes Blum, enseignant à la retraite
Francine Bolle, maître de conférence ULB
Jean Bricmont, professeur émérite de l’UCL
Fabienne Brion, professeur à la Faculté de droit et de criminologie de l’UCLouvain
Gregorio Carboni Maestri, maître de conférences invité, UCLouvain ; enseignant en projet d’architecture, ULB
Lucie Cauwe, journaliste
Marie-Christine Closon, professeure emérite UCL en Economie de la santé
Michel Collon, auteur et journaliste d’investigation
Hélène Crokart, avocate
Ludo De Brabander, porte-parole Vrede asbl
Lieven De Cauter, philosophe, historien de l’art et auteur, RITCS, school of arts, & department of Architecture KULeuven
Herman De Ley, professeur émérite à l’Université de Gand
Marc David, professeur émérite à l’Université d’Anvers
Paul Delmotte, professeur retraité de l’IHECS, Bruxelles
Jean-Marie Dermagne, avocat et ancien bâtonnier à Louvain-la-Neuve
Serge Deruette, professeur de sciences politiques à l’Université de Mons
Alexis Deswaef, avocat au Barreau de Bruxelles et président d’honneur de la Ligue des droits de l’Homme
Ruddy Doom, professeur émérite à l’UGent
Charles Ducal, écrivain
Baudouin Dupret, CNRS/UCLouvain
Fabrice Eeklaer, secrétaire fédéral CSC Charleroi-Sambre & Meuse
El Battiui Mohamed, ancien président de l’Assemblée Mondiale Amazigh
Pierre Galand, ancien sénateur
Michel Gevers, professeur émérite à l’UCLouvain
Pierre Gillis, professeur à l’UMons
Corinne Gobin, politologue à l’Université libre de Bruxelles
Johan Grimonprez, artiste et cinéaste
Gwenaelle Grovonius, députée fédérale et conseillère communale PS à Namur
Mejed Hamzaoui, président de la filière Master en sciences du travail à l’ULB
Kristien Hemmerechts, écrivaine
Hilde Heynen, professeur à la KULeuven, département architecture
Wouter Hillaert, journaliste et porte-parole de Hart boven Hard
Perrine Humblet, professeure honoraire ULB
Heinz Hurwitz, professeur émérite à l’ULB
David Jamar, sociologue Umons
Marc Jacquemain, professeur à l’ULiège
Gabrielle Lefèvre, journaliste
Vincent Legrand, professeur à l’UCLouvain
Marc Lenaerts, professeur à l’ULB et à l’Académie des Beaux-Arts de Bruxelles
Madeline Lutjeharms, professeure émérite à la VUB
Frédéric Ligot, secrétaire politique du Mouvement Ouvrier Chrétien
Paul Lootens, ancien président de la Centrale générale FGTB
Victor Matteucci, Mediter -Réseau euro-méditerranéen pour la cooperation
Xavier May, chercheur à l’ULB
Anne Morelli, professeure émérite à l’ULB
Jan Orbie, directeur Centre for EU Studies (CEUS), Dept of Political Science, à l’UGent
Rosa-Rosso Nadine, enseignante
Ryckmans Hélène, députée ECOLO au Parlement wallon et au Parlement de la fédération Wallonie-Bruxelles, sénatrice
Christiane Schomblond, professeure émerite ULB
Dominique Surleau, secrétaire générale de Présence et Action Culturelles
Dirk Tuypens, acteur
Dirk Vandermaelen, président de la Commission des Affaires étrangères, député fédéral SP.a
Claude Veraart, professeur émérite à l’UCL
Véronique Vercheval, photographe
Erik Vlaminck, auteur, président du PEN-Vlaanderen
Luk Vervaet, ancient enseignant dans les prisons
Dominique Willaert, Victoria Deluxe
Karim Zahidi, philosophe à l’Université d’Anvers
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