Neymar, Ronaldo… : en Arabie Saoudite, le football est d’abord un intérêt économique
Quelques clubs de football saoudiens font une irruption fracassante sur le marché en achetant de bons joueurs à tout va. Histoire aussi de contenter la jeunesse.
Le transfert de Cristiano Ronaldo, en décembre 2022, n’était qu’un avant-goût. Cet été, ceux de Karim Benzema, Kalidou Koulibaly, Riyad Mahrez, N’Golo Kanté, Neymar et bien d’autres ont installé l’Arabie saoudite sur la carte du football international. Pourquoi cette stratégie et pourquoi maintenant? Eléments de réponse avec Raphaël Le Magoariec, chercheur à l’université de Tours et spécialiste du sport dans le Golfe.
Le développement du football en Arabie saoudite participe-t-il d’une politique de soft power pour améliorer l’image de marque du pays?
Le but premier de cette stratégie est de développer un marché. Celui du divertissement, qui n’était pas exploité, et sur lequel Riyad veut s’appuyer pour accroître ses rentrées économiques. L’arrivée de toutes ces stars sert cet objectif. Ensuite, elle s’adresse à la jeunesse saoudienne. La population compte 65% de personnes de moins de 30 ans. Le pouvoir saoudien a besoin du soutien de ces jeunes pour assurer la restructuration de la société. Ensuite, oui, il y a la volonté d’améliorer l’image du pays. On voit bien qu’en Europe, notamment, on parle du mercato des joueurs à propos de l’Arabie saoudite et moins des droits humains.
Pourquoi le football s’est-il imposé dans cette stratégie de diversification économique?
L’Arabie saoudite s’est construite sur deux piliers, l’un politique, l’autre religieux. Le deuxième a donné sa légitimité au premier. Le sport n’a jamais été trop bien perçu par les dignitaires de la région dominante du centre de l’Arabie d’où vient la famille régnante. Développer une politique sportive a nécessité des contorsions. Jusqu’en 1950, la pratique du sport était interdite à Riyad. En revanche, le football a pénétré à Djeddah, sur la mer Rouge, dans ce qui est devenu le Royaume saoudien, dès les années 1920. Le pays n’est pas un bloc monolithique. Djeddah est la porte d’entrée vers La Mecque. Donc, il y a énormément de flux culturels qui ont fait que le football s’est implanté là. Al-Ittihad, le club de Karim Benzema à Djeddah, est le premier à avoir été créé en Arabie saoudite, en 1927. Donc, contrairement à ce que l’on dit globalement à propos des Etats du Golfe, l’Arabie saoudite est un pays de football. Mais elle a connu une rigidification de la politique des mœurs, notamment à l’encontre du droit des femmes, à la suite de la prise d’otages de La Mecque en 1979. A ce moment-là, les divertissements ont disparu de l’espace public. L’un des seuls auquel pouvait accéder la jeunesse saoudienne masculine était le football. Résultat: la culture du football est aussi grande en Arabie saoudite qu’en Europe. Les kops de supporters sont très organisés.
Les Saoudiens désirent renverser la table et rompre avec l’hégémonie européenne.
Les principaux clubs sont-ils la propriété d’investisseurs privés ou étatiques?
Le sport s’est construit sur la base de la politique de l’Etat-providence. Mais le plan Vision 2030 du prince héritier Mohammed ben Salmane a permis de le libéraliser pour en faire un marché. Un début de processus de libéralisation des clubs est en cours. Ceux qui achètent des joueurs en Europe appartiennent en fait au Public Investment Fund, le fonds souverain saoudien, alors qu’avant, ils appartenaient au ministère des Sports.
Le championnat saoudien pourrait-il atteindre le niveau des plus huppés d’Europe?
Complètement. Les Saoudiens étaient en retard en raison de la structure étatique d’organisation du sport. Ils ont eu des problèmes pour réformer le système. Ils n’ont donc pas pu se mettre dans le sillage de Doha ou d’Abu Dhabi. Aujourd’hui, pour rattraper leur retard, ils sont en train de renverser la table. Ils veulent rompre l’hégémonie européenne. Le niveau du championnat saoudien, en fait, est déjà bon. Les joueurs locaux sont d’un très bon niveau. La ligue des champions asiatique est régulièrement gagnée par le club saoudien d’Al-Hilal (NDLR: vainqueur en 2019 et 2020, finaliste malheureux en 2017 et 2022). Leur handicap était qu’ils restaient dans leur ligue afin d’être toujours à la disposition de la sélection nationale et de l’Etat. En plus, ils gagnent mieux leur vie qu’en Europe, notamment par l’absence d’impôts, même si ce principe commence à être revu. L’émulation avec les nouveaux joueurs venus d’Europe contribuera à améliorer encore leur talent.
Quel a été le déclic pour la mise en œuvre de cette politique?
Après la Coupe du monde 2022 au Qatar, est venu le moment de l’Arabie saoudite. L’objectif final est d’obtenir l’organisation de grands événements. Avec le Qatar, elle est le seul Etat de la région à vouloir prendre en charge ces événements de masse. Les Saoudiens investissent dans le sport, dont le football, dans cette optique. On m’a toujours dit dans les ministères qu’ils veulent tout. Pour eux, il n’y a pas de limite. On le voit avec le feu vert donné à la tenue des Jeux asiatiques d’hiver à la ville de Neom, en 2029, dont la construction n’est pas encore terminée. Il s’agit donc de montrer aux opérateurs de l’industrie du sport et du divertissement qu’ils sont capables d’aller très loin pour devenir un acteur important du secteur.
Cette stratégie s’inscrit-elle dans une rivalité avec le Qatar et les Emirats arabes unis?
Je ne l’inscrirais pas dans ce cadre. Les voir s’affronter est une idée surtout véhiculée en Europe. La politique de l’Arabie saoudite est centrée sur son agenda, à l’aune de son programme de réformes économiques. Les politiques des Etats du Golfe ne suivent pas du tout les mêmes cheminements ni ne poursuivent les mêmes objectifs. La concurrence n’est pas aussi intense. Elle l’a été au moment où le Qatar a obtenu l’organisation du Mondial 2022. On est passé là dans une autre dimension sportive, quittant le terrain pour entrer dans le domaine politique. Le Qatar voulait s’affirmer hors de l’ordre établi par l’Arabie saoudite et les Emirats arabes unis. De quoi déplaire aux Saoudiens. Quand la réalité du Mondial 2022 qatari s’est imposée, les tensions sont retombées.
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