Mozambique: l’entremise des al-Shabaabs, affilié à Daech, inquiéte
La prise de la ville de Mocimboa da Praia par le groupe al-Shabaab, affilié à Daech, marque un tournant dans le conflit avec le gouvernement de Maputo. Et fait craindre un effet de contagion dans la sous-région.
Quand on évoque les foyers du djihadisme armé en Afrique, on songe d’abord à la Somalie et aux shebabs, au Nigeria et à Boko Haram et aux divers groupes qui sévissent dans la zone sahélienne. L’assassinat au Niger, le dimanche 9 août à l’est de la capitale Niamey, de six humanitaires français et de leurs deux accompagnateurs locaux a une nouvelle fois illustré la réalité de cette menace. On omet souvent, en revanche, celle qui s’intensifie depuis trois ans au nord du Mozambique par l’entremise des al-Shabaabs (« les jeunes »). Leur montée en puissance, illustrée par la prise le 12 août de la ville portuaire de Mocimboa da Praia, commence pourtant à inquiéter toute la sous-région.
Avec l’AFD ougandais, les al-Shabaabs constituent la u0022provinceu0022 de l’Afrique centrale définie par l’Etat islamique.
Le premier recours à la violence armée du groupe djihadiste remonte à 2017. « Les al-Shabaabs trouvent leur origine dans une secte religieuse datant de la fin des années 2000, explique Eric Morier-Genoud, professeur d’histoire africaine à la Queen’s University de Belfast et spécialiste du Mozambique. Dans une dynamique similaire à celle de Boko Haram au Nigeria, la secte s’est radicalisée. Face à une certaine répression, elle est passée à un agenda islamiste violent, à savoir le projet d’attaquer l’Etat séculier mozambicain afin de lui substituer un Etat islamiste régi par la charia. »
Les violences djihadistes et les affrontements avec l’armée auraient fait en trois ans quelque 1.300 morts et de 200.000 à 300.000 déplacés dans la région septentrionale du pays, frontalière avec la Tanzanie. Mocimboa da Praia est le foyer originel des al-Shabaabs. Avec le recours à la lutte armée, ils se sont déployés dans les campagnes avoisinantes.
L’offensive contre la ville portuaire revêt donc une grande importance, militaire et symbolique. « La prise de Mocimboa da Praia marque un tournant dans le conflit parce, d’une part, elle démontre que l’approche militaire du gouvernement, avec son appui aérien mercenaire, ne suffit plus, souligne Eric Morier-Genoud. D’autre part, parce que les insurgés ont affirmé à la population qu’ils venaient cette fois pour rester dans la ville qu’ils veulent transformer en leur capitale. Il est loin d’être garanti que les insurgés réussissent. Mais il est certain que la dynamique du conflit va prendre une nouvelle direction. »
Le recours aux mercenaires
Les informations, encore parcellaires, sur la chute de Mocimboa da Praia évoquent plutôt la débandade des militaires sur place que leur résistance. Ils se seraient notamment retrouvés à court de munitions. Face à l’insurrection et aux manquements de l’armée, le gouvernement de Maputo a sollicité depuis quelques mois des sociétés militaires privées.
Le groupe russe Wagner y a déployé quelque 200 hommes à partir de septembre 2019, avant de se retirer. Lui a succédé la société Dyck Advisory Group, propriété de Lionel Dyck, un ex-officier de l’ancienne Rhodésie du Nord, aujourd’hui Zimbabwe, qui s’était rallié au président zimbabwéen Robert Mugabe et qui avait déjà soutenu les autorités mozambicaines dans leur lutte contre la rébellion du Renamo (Résistance nationale mozambicaine, transformée en parti politique depuis 1992). Mais le soutien du groupe Dyck et de ses hélicoptères n’a visiblement pas suffi à contenir l’avancée des al-Shabaabs, pourtant prévisible. La conquête du 12 août succédait à quatre tentatives antérieures.
L’insurrection « contenue »
« Il y a beaucoup de critiques contre l’action du gouvernement face aux insurgés, décrypte le spécialiste du Mozambique de la Queen’s University de Belfast. La réponse du gouvernement à l’insurrection a été principalement militaire et policière. Mais il a quand même aussi construit de nouvelles écoles et des postes de santé ; il a tenté de rectifier certaines inégalités, etc. Il pourrait faire plus et mieux. Mais globalement, il a réussi à contenir l’insurrection sur un territoire défini, de quelque 25 000 km2, soit la moitié de la province de Cabo Delgado. Par contre, il n’a pas réussi à y mettre un terme. »
Des projets d’exploitation gazière ont également vu le jour à l’extrême nord de la province de Cabo Delgado, dans la péninsule d’Afungi. Le Français Total et l’Américain ExxonMobil, associé à l’Italien Eni, en sont les maîtres d’oeuvre. Ce chantier aurait-il attisé la vindicte antigouvernementale des djihadistes ? Eric Morier-Genoud nuance : « La secte des al-Shabaabs est apparue avant la découverte du gaz et d’autres richesses au Cabo Delgado, notamment le rubis et le graphite. Il n’y a donc pas de liens directs entre gaz et insurrection. Il est clair, en revanche, que celle-ci s’est développée dans un contexte où le gaz est devenu la première préoccupation du gouvernement. Ce contexte a influencé la réaction du gouvernement tout comme il influencera à terme l’action des insurgés qui, jusqu’à présent, n’ont pas même tenté d’attaquer les installations de l’usine de gaz naturel liquéfié en construction. »
Aux racines de la lutte des al-Shabaabs, figurent d’abord des revendications locales ou nationales. On leur prête pourtant des liens avec des djihadistes tanzaniens et avec le groupe ougandais des Forces démocratiques alliées (AFD) qui a trouvé un sanctuaire dans l’est troublé du Congo-Kinshasa, alimentant son viatique sur la population locale. On estime à un millier le nombre de civils tués en raison de ses agissements depuis 2014.
Le dimanche 16 août, une attaque contre le village de Makele dans la région de Beni a encore fait une douzaine de tués. La dimension supranationale des Shabaabs mozambicains a donc pris une certaine consistance depuis quelques mois. « Ils ont fait allégeance à l’Etat islamique en juin 2019. On pense qu’ils ont des soutiens en Tanzanie frontalière avec la province de Cabo Delgado au Mozambique et, évidemment, au Congo-Kinshasa où existe l’AFD, un autre groupe inféodé à Daech. Ensemble, ils constituent la « province » de l’Afrique centrale telle que définie par l’Etat islamique. »
De quoi inquiéter les puissances de la région. La Tanzanie a envoyé des troupes dans sa partie méridionale. L’Afrique du Sud, surtout, a proposé son soutien à Maputo. La nation arc-en-ciel a connu quelques départs de citoyens vers le théâtre irako-syrien au plus fort de la domination de Daech sur la région. La crainte est donc grande que la contagion djihadiste ne gagne un pays déjà confronté à des problèmes économiques et à des défis liés à une société inégalitaire.
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