Trump veut posséder Gaza, voici ses intentions cachées: «Les Etats-Unis abandonneraient une idée»
Donald Trump a créé une nouvelle vague de stupéfaction mondiale en affirmant que les Etats-Unis allaient prendre «possession» de la bande de Gaza. L’annonce, au-delà de son côté grotesque, n’a que peu de logique stratégique. Elle détourne surtout l’attention d’autres enjeux cruciaux au Moyen-Orient.
Si chaque semaine de son mandat devait s’accompagner d’un nouvel objectif hors-sol, alors Trump fait là preuve d’assiduité. Une habitude qui lui permet, à force, de briser tous les codes internationaux en vigueur.
Et de quelle manière. Le républicain a à nouveau créé la stupéfaction, en ce début février, en déclarant vouloir «posséder» la bande de Gaza pour en faire «une côte d’Azur du Moyen-Orient». Le tout en transférant ses habitants vers d’autres pays.
Le décalage est tel avec la réalité du terrain qu’il pourrait d’abord laisser penser à une mauvaise blague, «mais Trump reste Trump, et il faut reconnaître qu’il a au moins cette capacité à nous surprendre», rit (jaune) Michel Liégeois, professeur de relations internationales (UCLouvain).
Face au défi immense de la reconstruction de Gaza, Trump retrouve donc, de façon surréaliste, ses anciens réflexes de (mauvais) magnat de l’immobilier. Il avait en réalité déjà évoqué le sujet en réponse à un journaliste – entre deux signatures de décrets -, estimant que la zone de Gaza était «ensoleillée» et avait du «potentiel», s’imaginant que le territoire était une terre propice pour la construction d’hôtels de luxe. Dans sa nouvelle déclaration, il confirme donc que sa «solution miracle» est le fruit, peut-être, d’un simple échange avec la presse. Et que transformer cette terre disputée en eldorado à l’américaine serait la seule issue au conflit.
Les Etats-Unis abandonneraient de facto la solution à deux Etats
«Ce raisonnement purement immobilier passe par pertes et profits les aspirations légitimes du peuple palestinien, à savoir créer un Etat sur une partie de l’ancienne Palestine, recadre Michel Liégeois. Toute proposition unilatérale proposée par un acteur extérieur fait donc office d’ingérence qui ne tient pas compte des réalités.»
Ce raisonnement purement immobilier passe par pertes et profits les aspirations légitimes du peuple palestinien.
Michel Liégeois
Professeur en relations internationales (UCLouvain)
Indépendamment de l’énormité de la proposition, «le message sous-jacent est qu’il n’y aurait plus d’Etat palestinien, alerte l’expert. Le peuple palestinien serait forcé de se rendre en Jordanie ou en Egypte, ce qui signifie aussi que les Etats-Unis abandonneraient complètement l’idée d’une solution à deux Etats.»
Trump veut contrôler Gaza: nettoyage ethnique
Pour Tanguy Struye (Institut Egmont et UCLouvain), la sortie de Trump est irréaliste à plus d’un titre. «D’un point de vue juridique, vouloir prendre le contrôle d’un territoire et en évacuer sa population serait clairement un nettoyage ethnique. Deuxièmement, ni les fonds d’investissement des pays du Golfe, ni le Congrès américain – même du côté républicain – ne souhaiteront financer cette proposition.» Pour le spécialiste des relations internationales, évacuer 1,7 million de personnes vers la Jordanie ou l’Egypte «créerait encore plus de tensions et pourrait renforcer l’islamisme radical dans deux pays eux-mêmes partenaires des Etats-Unis, et donc au détriment de la sécurité d’Israël.»
L’idée d’envoyer des milliers de soldats à Gaza serait en totale contradiction avec la stratégie de l’administration Trump, qui souhaite mettre la priorité sur la Chine et l’indopacifique.
Tanguy Struye
Institut Egmont et UCLouvain
D’autant plus que, dans l’hypothèse où Trump souhaite aller au bout, il mettrait sa propre armée dans une position vulnérable, qui serait alors la cible facile d’attentats terroristes. «L’idée d’envoyer des milliers de soldats à Gaza serait en totale contradiction avec la stratégie de l’administration Trump, qui souhaite mettre la priorité sur la Chine et l’indopacifique», rappelle Tanguy Struye.
Le risque de combats entre le Hamas et les Américains «serait une certitude absolue», ajoute Michel Liégeois. Si les Etats-Unis déploient des troupes à Gaza, elles seront ciblées. Par le Hamas, mais aussi à distance par les Houthis, avec l’Iran en support. «Un historique existe déjà: lors des attentats de Beyrouth de 1983, commis par le Hezbollah, les USA et la France, membres de la force internationale déployée, avaient perdu plusieurs centaines de soldats», retrace l’expert.
L’Arabie saoudite, le vrai focus américain
Avec une telle déclaration, Trump lance aussi un débat mondial, de sorte que l’opinion publique se détourne de ce qui compte vraiment à ses yeux. «Une sorte d’écran de fumée», redoute Michel Liégeois, qui rappelle que «l’objectif de Trump à court terme est aussi de finaliser le processus des accords d’Abraham, dont l’idée reste de normaliser les relations entre Israël et les pays arabes, aux dépens des Palestiniens.»
Par exemple, Trump tient beaucoup à la normalisation des relations entre Israël et l’Arabie saoudite. «C’est sur ce dossier qu’il souhaite vraiment travailler, et pour y parvenir, il tente peut-être de mettre de côté le conflit israélo-palestinien.»
La relation avec les Saoudiens est primordiale pour les Américains.
Tanguy Struye
Institut Egmont et UCLouvain
La relation avec les Saoudiens «est primordiale pour les Américains, abonde Tanguy Struye. Les fonds d’investissement saoudiens investissent fortement dans toutes les matières premières liées aux nouvelles technologies américaines.»
Mais cette normalisation des relations entre Israël et les pays du Golfe «enterrerait toute perspective de processus de paix, selon Michel Liégeois. Car ce qui empêchait la normalisation, c’était précisément ce désaccord entre pays arabes et Israël sur l’issue du conflit israélo-palestinien.»
Trump veut contrôler Gaza: aucune logique au regard des intérêts américains
Hormis l’extrême droite israélienne, personne n’y gagnerait, estime Tanguy Struye. «Trump continue de sortir des énormités sans réfléchir, et donne beaucoup de travail à ses conseillers en communication et son propre gouvernement, qui s’adonnent ensuite à du «damage control». Car cette déclaration ne rencontre aucune logique au regard des intérêts américains dans la région. La seule logique serait de reconstruire Gaza, d’en faire une sorte de Beyrouth des années 70, et de veiller à ce que la population gazaouie puisse revenir dans ce nouveau Gaza. Mais ce n’est pas le plan que Trump a énoncé.»
«Trump a la naïveté de penser que sa proposition pourrait arranger tout le monde. Mais il ne s’est même pas posé la question du statut juridique que prendrait ce territoire sous contrôle américain, relève Michel Liégeois. Sur le plan strictement matériel, et au vu du niveau de destruction à Gaza, il est vrai que les réfugiés trouveraient des meilleures conditions ailleurs. Mais les Palestiniens, par principe, ne l’accepteront jamais. D’une certaine façon, on a atteint un point de non-retour. Il n’y a aucune chance que cette solution soit consensuelle.»
Le danger serait de se dire que le bon sens simpliste est peut-être une solution, partant du postulat que toutes les autres propositions n’ont jamais fonctionné.
Michel Liégeois
Professeur en relations internationales (UCLouvain)
Steve Witkoff, l’émissaire de Trump au Moyen-Orient, a lui-même jugé «grotesque» l’idée selon laquelle la bande de Gaza redeviendrait habitable d’ici cinq ans. «Les déclarations de Trump sont dangereuses car elles pourraient pousser le Hamas à remettre en cause l’accord de cessez-le-feu», note encore Tanguy Struye. Et «s’il ne reste plus que la Cisjordanie grignotée par les colonies israéliennes, il ne resterait plus aucune possibilité géographique de créer un Etat palestinien, avance aussi Michel Liégeois. Le danger serait de se dire que le bon sens simpliste est peut-être une solution, partant du postulat que toutes les autres propositions n’ont jamais fonctionné. Malheureusement pour Trump, la réalité est plus complexe.»
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici